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en allant envahir le couvent afin d'en enlever la vénérable dépouille. Les malheureux moines, voyant la résistance impossible et la prière inutile, entrent en explication. Ils révèlent aux Génois un grand secret gardé chez eux sous la foi du serment. Ils ne possèdent nullement les reliques du patron des navigateurs. Sous son nom, leurs anciens, fuyant d'Égypte, avaient déguisé un autre dépôt secrètement dérobé à la profanation des mahométans. Les restes prétendus de saint Nicolas sont, en un mot, les cendres de saint Jean-Baptiste. Mais plus cet aveu, appuyé des serments les plus forts, mérita de croyance, plus l'espoir des religieux fut trompé. Saint Nicolas n'était cher qu'aux matelots; le saint précurseur est pour tous les Génois le médiateur le plus invoqué. Il est, après la Madone, le premier des glorieux protecteurs de leur cité. Les cendres de saint Jean furent enlevées sans pitié ni scrupule, et arrivèrent en triomphe à Gênes. Elles y sont encore. C'est le plus précieux trésor de la cathédrale de Saint-Laurent. Plusieurs fois religieusement conduites au bord de la mer, elles passent pour avoir calmé la tempête. En souvenir de cette merveilleuse assistance, encore aujourd'hui elles sont portées sur le môle une fois l'an avec une sainte solennité. N'oublions pas de dire que, pour mieux fonder la confiance en des reliques si précieuses, le pape Alexandre III en attesta l'authenticité quatre-vingts ans après.

      (1099) Les croisés, maîtres d'Antioche, avaient résisté aux horreurs de la famine et aux efforts de leurs ennemis. Une sanglante bataille, une victoire brillante avaient délivré la ville, ramené l'abondance aux dépens des vaincus, et enfin ouvert les chemins. Bohémond s'était fait adjuger la principauté d'Antioche contre les prétentions du comte de Toulouse. Au printemps, on avait marché. On était enfin parvenu sous les murs de Jérusalem et le siège avait commencé. Mais les opérations étaient lentes. On manquait de secours de toute espèce, surtout de machines de guerre. C'est avec une nouvelle joie qu'on apprit l'arrivée d'une autre flotte génoise entrée au port de Joppé. Une escorte demandée pour conduire au camp les provisions qu'elle apportait se fit jour jusqu'au rivage malgré les obstacles de la route; les croisés affamés partagèrent avec allégresse le vin, le pain, les grossières salaisons des marins. Les cargaisons furent débarquées; ou repartait, quand une flotte égyptienne vint de nuit surprendre le port et attaquer les Génois avec des forces irrésistibles. On eut le temps et le bonheur de mettre à terre les voiles, les agrès, les outils, les provisions de toute espèce; les bâtiments abandonnés furent brûlés par l'ennemi.

      Les hommes des équipages, après la perte des navires, ne balancèrent pas à se joindre aux combattants et à marcher au siège. Leur chef était Guillaume Embriaco6, surnommé par les croisés Tête de Marteau (caput mallei ou malleum), soit à cause de sa bravoure, soit par illusion à son industrie. Les historiens rendent témoignage de son habileté comme ingénieur. Ils reconnaissent que ses compagnons, gens instruits, tenaient de leur profession maritime l'art de travailler le bois, de construire et de manier les machines. Les matériaux sauvés de l'incendie de leurs bâtiments, leurs outils surtout portés avec eux furent un très-utile secours entre leurs mains. Ils mirent en oeuvre les arbres de la célèbre forêt de Tancrède. Au commencement du siège, le soin des engins militaires avait été commis à Gaston de Béarn, attaché au camp de Godefroy de Bouillon. Cette direction fut confiée à Embriaco dans l'armée du comte de Toulouse, car l'attaque de la ville était divisée entre ces deux corps séparés. Mais le secours des Génois fut sans contredit emprunté dans l'une et dans l'autre; et puisqu'il est expressément marqué qu'on fit par leur aide des ouvrages qu'on n'eût osé entreprendre avant eux, ou dont on n'aurait pas espéré le succès, on peut hardiment compter dans ce nombre la machine qui lançait dans la ville des roches d'un poids énorme, et les grandes tours mobiles dont le pont s'abaissait sur la muraille, et d'où s'élancèrent les assaillants qui les premiers plantèrent l'étendard de la croix sur les remparts de Jérusalem7.

      L'archevêque de Varagine ne se fait pas scrupule d'assurer que les Génois, montés sur quarante galères, prirent la ville sainte et y établirent roi Godefroy de Bouillon. Avec plus de critique, les écrivains de Gênes venus après lui, au défaut de leurs chroniques nationales qui ne remontent pas tout à fait si haut, ont cru leur patrie assez honorée en adoptant la relation de Guillaume de Tyr, la même que nous venons de suivre. Quelques-uns, cependant, ont admis qu'une inscription fut gravée sur le saint sépulcre même pour reconnaître la protection très-puissante des Génois; elle subsista, dit-on, jusqu'au règne d'Amaury, qui la fit effacer. Nous trouverons bientôt des documents plus certains des services rendus par les Génois et de la reconnaissance des croisés. Nous avons aussi pour témoignage le langage unanime des mémoires des croisés français, normands, provençaux, qui, d'accord sur l'assistance prêtée, nous mettent sur la voie d'en apprécier le mobile et la récompense. Ils peignent à chaque arrivée des vaisseaux de Gênes la joie qu'en ressentait l'armée, condamnée aux privations et souvent à la disette de vivres. Non- seulement ce sont des provisions qu'on apporte à ces Occidentaux, et pour ainsi dire des fruits de leur pays, mais à peine les arrivants ont débarqué et vendu leurs cargaisons qu'ils vont en chercher d'autres sur les mêmes navires en Chypre, à Rhodes, sur toutes les côtes les plus voisines où l'on peut négocier. Ils reviennent aussitôt, suivant toujours les mouvements de l'armée, ils abordent sur tous les points où l'on peut établir une communication avec le camp; ils entretiennent aussi des approvisionnements journaliers tant que la saison permet cette navigation continue et ces stations sur le rivage. L'ardeur du gain, encore plus que le zèle, animait ce commerce, et l'on ne peut douter de l'habileté de ces fournisseurs pour en tirer un large profit. Il suffit de réfléchir à la pénurie de toutes choses où les croisés se virent si souvent réduits, à leur nombre immense, à leur légèreté, à l'insouciante imprévoyance de ces chevaliers, alliée à une extrême avidité de jouissances. Les ressources apportées avec eux bientôt épuisées, ils pillaient et détruisaient pour avoir de quoi satisfaire les besoins et les fantaisies, et tous les trésors pris par leurs mains tombaient dans celles des marchands, surtout des Génois; ces richesses venaient incessamment se mettre en sûreté sur les vaisseaux, et les armateurs ne tardaient guère à les aller déposer dans leur patrie. Ainsi ils ne laissaient rien perdre de ce qu'ils avaient une fois acquis, et ils acquéraient toujours; tandis que les princes et les chevaliers n'ont jamais rien rapporté en Europe, et qu'à chaque occasion on les voit remarquer tristement, que partis de chez eux riches seigneurs, ils repassent la mer et les Alpes en pauvres pèlerins réduits à l'aumône.

      Le retour de la terre sainte mettait tous ces voyageurs dans la dépendance des armateurs. La mer était la seule voie ouverte à ceux qui, venus par terre en grande force, s'en retournaient séparément à mesure que l'impatience de regagner leurs foyers leur persuadait que leur voeu à la croix était assez accompli. Par là les habitants des pays les plus internes apprirent le chemin de la Méditerranée, et il n'y en avait pas d'autre pour les pèlerins nombreux, mais épars, que le zèle envoya gagner des pardons aussitôt que l'Europe eut su le saint sépulcre aux mains des chrétiens. On nous parle de navires chargés de quatre cents et de cinq cents passagers. Ce fut à la fois un profit immense et une vive impulsion donnée aux entreprises maritimes. Les vaisseaux ne faisaient pas sans péril et sans se préparer à de fréquents combats les voyages et le trafic vers des ports qu'on trouvait fréquemment occupés par l'ennemi, ou dans des parages infestés par les Égyptiens. En état d'attaquer pour être prêt à se défendre, tout armateur était corsaire. Le pillage sur mer fut une des branches du commerce. Ce fut l'emploi des navires et l'occupation des hommes dans les intervalles de l'arrivée en Syrie et du retour en Occident. Aussi les gens de mer quittaient rarement leur bord pour se mêler aux combattants. Embriaco et ses compagnons ne vont au siège de Jérusalem qu'après que leurs vaisseaux ont été brûlés; plus tard ce n'est que par des négociations intéressées qu'on les engage à prêter leur assistance aux opérations militaires.

      Un des annalistes de la croisade8 se complaît à comparer les peuples maritimes de l'Italie avec les Français et les Allemands, qu'il appelle la force des nations: ceux-ci plus braves sur terre, guerriers plus habiles, les autres plus forts et plus constants sur la mer. Les hommes d'Italie, dit-il, sont graves, prudents, sobres; ils sont polis et ornés dans leur langage, circonspects dans leurs conseils, actifs dans leurs affaires, calculateurs, prévoyant l'avenir, persévérants dans leurs vues, se défiant de

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