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parties contendantes. Le malheur, l'intérêt commun, les instances du pape, l'intervention même des empereurs, à ce qu'on assure, réunirent encore une fois ces rivaux. Dans les montagnes qui communiquent de Gênes à la Toscane, étaient des seigneurs vassaux de l'empire, tels que les Malaspina. Ils se joignirent aux deux républiques, car des peuples qui n'étaient que navigateurs avaient besoin de l'assistance des chefs militaires et des gens que ceux-ci pouvaient armer. Les Sarrasins furent détruits; Muza prisonnier alla finir ses jours dans les prisons de Pise.

      Le récit des Génois est différent. Suivant eux, le premier traité n'était pas tel qu'on le dit à Pise. D'ailleurs leurs exploits furent si éclatants qu'on ne pouvait leur en dénier le prix le plus ample. Eux seuls firent Muza prisonnier; ils l'envoyèrent, disent-ils, en hommage à l'empereur. Ce fait, dont on ne trouve aucune trace sinon que les Génois s'en vantaient 250 ans après, en plaidant devant un autre empereur, est en pleine contradiction avec la détention et la mort du prince more dans les murs de Pise, et ce sont là des circonstances sur lesquelles il est difficile de taxer d'erreur des chroniques locales. Les écrivains génois ne sont pas contemporains, et ils avouent qu'il y a peu de certitude dans les traditions des faits antérieurs à leurs annales régulières. Il est constant qu'après l'expulsion des Mores de la Sardaigne, les Pisans en restèrent les principaux possesseurs, mais qu'ils y abandonnèrent à leurs confédérés des domaines considérables. Des Génois s'établirent dans les environs d'Algheri et s'y maintinrent.

      La Corse paraît avoir eu de bonne heure des relations avec Gênes. À l'extinction d'une branche des Colonna romains qui avaient gouverné l'île, quelques possesseurs de châteaux se disputant cet héritage, un gouvernement populaire se forma (1030). Alors les Corses, pour avoir des juges impartiaux, en demandèrent à Gênes, et, dit-on, avec le temps ces arbitres devinrent des seigneurs15. Cette tradition corse n'est pas rapportée dans les historiens génois, le fait serait antérieur à l'époque des annales de leur pays. Un tel emprunt de magistrats devint bientôt si commun en Italie que sa singularité n'est pas un motif de le nier. Mais les Génois étaient probablement alors fort peu en état de fournir des jurisconsultes à leurs voisins: ils n'avaient encore eux-mêmes ni chanceliers ni officiers de justice. Quoi qu'il en soit, les Sarrasins avaient fait de fréquentes descentes en Corse. Il fallait les chasser, et les papes y exhortaient les Génois; ceux-ci ont même prétendu que c'était leur propriété qu'ils avaient à reprendre et que dès les premières années du XIe siècle une bulle leur avait concédé l'île; car les papes s'en prétendaient suzerains, ainsi que de la Sardaigne, par la libéralité soit de Constantin, soit de Pépin ou de Charlemagne. N'abandonnant jamais ce qu'ils semblaient octroyer, il n'est pas impossible que les papes, en termes plus ou moins exprès, aient flatté les Génois de la possession d'une lie où ils les envoyaient combattre, ou qu'ils aient donné, à cette occasion, ce que nous les verrons peu après vendre et revendre. Cependant cette première investiture de la Corse reste sans preuve. On dit au contraire que les Génois s'étant emparés d'une portion de l'île, Grégoire VII, qui s'en prétendait toujours maître, les traita d'infidèles, d'usurpateurs des biens de saint Pierre, et commanda de les chasser.

      Dans les premières tentatives faites par les Mores pour reprendre la Sardaigne, ils revinrent en Corse (1070). Les Pisans qui les y poursuivirent leur ayant arraché cette conquête entreprirent de la retenir à leur profit. Les Génois en conçurent une jalousie nouvelle. Ils alléguèrent l'ancienne concession, qu'ils attribuèrent à Benoît VIII, et la guerre recommença entre les rivaux. Ces faits marqués dans quelques histoires participent de l'obscurité répandue sur tout ce qui précède les chroniques certaines. On perd de même la trace d'une expédition en Afrique, pour laquelle les papes réunirent presque tous les peuples d'Italie (1088). Les Génois et les Pisans y concoururent ensemble; ce fut le prélude des croisades16.

      Avant de raconter quelle part les Génois prirent à ces grandes et singulières expéditions, comment ils y acquirent l'opulence et enfin l'importance politique, il convient de reconnaître le point de départ de ces heureux efforts. Il faut rechercher ce qu'était Gênes à la fin du onzième siècle. C'est précisément à cette époque que commencent ses chroniques écrites contemporaines et publiques. Sèches et brèves, destinées à constater en peu de mots devant les témoins oculaires l'événement du jour, négligeant les circonstances, quelquefois les dissimulant, car elles sont officielles; toujours supposant connus les antécédents sans s'interrompre ni remonter pour les rappeler, nulle part ces annales ne montrent, en résumé, le tableau que nous leur demanderions. Mais en les lisant attentivement, nous y recueillons assez de traits pour le recomposer ou pour nous donner une idée passablement distincte d'une si petite république qui fit de si grandes choses.

      Nous voyons d'abord qu'elle était tout entière contenue dans la ville seule; sans autorité sur ses plus proches voisins; dépendante elle-même de l'empire, elle savait plutôt échapper à la soumission qu'elle n'osait la désavouer.

      La ville était resserrée dans une enceinte fort étroite. Elle était bien loin de border de ses quais et d'entourer de ses édifices la vaste sinuosité dont on a fait depuis le port de Gênes17. Cependant cette ville sans territoire, autour de laquelle nous serions en peine de trouver la place de ces champs et de ces prés dont ci-devant les rois d'Italie confirmaient la possession à ses habitants, commençait à être riche. Ces fruits venus uniquement de la course et du trafic maritime, étaient encore entièrement consacrés à l'aliment et à l'activité croissante des entreprises d'outre-mer. Les expéditions des Génois en Syrie eurent pour fond ce que, corsaires à la fois et marchands, ils s'étaient partagé de dépouilles et de gains. Cette industrie, la seule qui fut à la portée de ce peuple, l'avait rendu non-seulement hardi et expert, mais patient et ingénieux dans la recherche de son profit. Il était économe et avide comme doivent l'être ceux que l'amour du gain fait s'exposer sur la mer. La valeur des richesses était appréciée par la peine au prix de laquelle ils les acquéraient et par l'expérience des fruits progressifs d'une épargne bien employée.

      Dès ces temps anciens, ils y gagnèrent surtout l'esprit d'association mercantile qui n'a jamais abandonné Gênes. On s'associa pour construire la première galère; son équipement, son armement donnèrent naissance à d'autres sociétés, et cet usage dure toujours. Par la plus constante des habitudes les hommes de mer génois naviguent non pas pour un loyer, mais pour une part dans les profits de l'entreprise. Les monuments ne nous permettent pas de douter que cette coutume ne vienne de l'époque dont nous traçons l'histoire. Quand, au lieu d'une galère, on eût à expédier des flottes, la société entre les armateurs s'agrandissant dut exiger le concours des bourses et des bras: en un mot, elle dut comprendre toutes les ressources et tous les intérêts. Dans cette communauté, l'un mettait un peu d'argent, l'autre apportait pour mise son habileté à manier la voile ou même à tirer la rame. Des aventuriers s'offraient pour prêter main-forte. Une proportion connue décidait du droit de chacun au partage des bénéfices; et nul n'avait eu tant à fournir qu'il put être le maître de ses associés. C'est ainsi qu'un intérêt unique les occupait tous et réunissait les volontés. Et, chose remarquable, l'esprit d'association était le plus fort de lents liens. La commune, dont les affaires se décidaient ou plutôt se concertaient sur la place publique, n'était qu'une société de commerce maritime18. A l'ouverture des chroniques génoises nous lisons qu'une expédition en Syrie étant résolue on fit la compagnie pour trois ans. On lui donna six consuls qui, tous, furent aussi les consuls de la commune. C'est qu'en effet cette entreprise était l'intérêt dominant, universel. Avoir fait les affaires sociales de l'armement, c'était avoir fait celles de tout le monde, c'était avoir pourvu aux affaires de la république; il n'y avait qu'à laisser les unes et les autres aux mêmes mains.

      Ce mélange des intérêts entretenait l'égalité; nous avons la certitude qu'elle régnait à Gênes. C'était en ce temps une démocratie simple; tout y était populaire. Sans possession à l'extérieur, ses bourgeois ne pouvaient connaître les droits de la féodalité. Au dedans, on ne rencontre rien qui annonce parmi eux la moindre trace d'une classe héréditaire de notables. Dans leur consulat électif, on voit bien moins une magistrature relevée par ses fonctions publiques que le syndicat des intérêts pécuniaires des particuliers. Le consulat même paraît alors d'institution assez récente. Les consuls n'étaient pas encore

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