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Le marquis de Loc-Ronan. Ernest Capendu
Читать онлайн.Название Le marquis de Loc-Ronan
Год выпуска 0
isbn 4064066085971
Автор произведения Ernest Capendu
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
—Tu as été attaqué?
—J'ai passé au milieu des avant-postes du général Guillaume.
—Et tu n'as pas été blessé, Keinec?
—Non, Fleur-de-Chêne.
—Ils ont tiré sur toi, pourtant?
—Les balles m'ont sifflé aux oreilles.
—Le pauvre Jahoua va être bien heureux de te revoir; depuis douze jours que tu es parti, il ne parle que de toi.
—Comment va-t-il?
—Mieux.
—Sa blessure est fermée?
—Pas encore, mais cela ne tardera pas.
—Tant mieux.
—Ah çà! vous vous aimez donc bien?
—Comme deux gars qui ont voulu se tuer jadis et qui maintenant sacrifieraient leur existence pour se sauver mutuellement.
—C'est donc ça qu'on vous appelle les inséparables?
—Oui.
—Veux-tu venir le voir?
—Non, il faut que je parle à M. de Boishardy.
—Cela ne se peut pas, il est en conférence avec trois autres chefs.
—Lesquels?
—Tu les verras tout à l'heure quand ils vont sortir.
—Dis toujours leurs noms!
—Non! fit Fleur-de-Chêne en souriant avec finesse.
—Pourquoi ne veux-tu pas parler?
—Je tiens à te faire une surprise.
—Je ne te comprends pas, dit Keinec avec étonnement. Que peuvent me faire les noms des chefs qui sont là?
—J'ai idée qu'il y en aura un qui te fera sauter de joie.
—Eh bien, dis-le donc!
—Tu le veux?
—Oui.
—Allons! je ne veux pas te faire languir. D'abord, il y a Obéissant[1].
—Après?
—Serviteur[2].
—Et puis?...
—Devine!
—Comment veux-tu que je devine?
—Un ancien ami à toi.
—Marcof? s'écria Keinec dont les yeux brillèrent de joie.
—Lui-même!
—Oh! le ciel soit béni! Depuis quand est-il ici?
—Depuis deux heures.
—Et son lougre?
—Il est près de Poenestin.
—Mène-moi près de Marcof, Fleur-de-Chêne!
—Tout à l'heure, mon gars. Je t'ai dit qu'il y avait conférence. Attends un peu!
—Eh bien, répondit Keinec, je vais voir Jahoua. Tu m'appelleras dès que je pourrai entrer.
—Sois calme, mon gars.
Keinec remercia son compagnon, et se dirigea vers une petite cabane à la porte de laquelle travaillait une jeune fille.
—Bonjour, Mariic, dit Keinec.
—Bonjour, Keinec, répondit la Bretonne.
—Jahoua est au lit?
—Hélas! oui, puisqu'il ne peut pas se lever.
—Tu le soignes toujours bien?
—Je fais ce que je puis, Keinec, et ton ami est content.
—Merci, ma fille.
Keinec entra. Une petite table en bois blanc, et quelques matelas entassés dans un coin, formaient tout l'ameublement de la cabane. Une petite lampe éclairait ce modeste réduit.
Jahoua était étendu sur le lit. Sa figure, pâle et amaigrie, décelait la souffrance. Un linge ensanglanté lui entourait la tête et cachait une partie de son front. Un autre lui bandait le bras droit. En voyant entrer Keinec, sa figure exprima un profond sentiment de joie, et, se soulevant avec peine, il lui tendit les deux bras.
—Comment vas-tu? demanda Keinec en s'asseyant sur le pied du lit.
—Aussi bien que possible, et mieux encore depuis que je te vois revenu.
—Brave Jahoua!
—Dame! Keinec, c'est que je t'aime maintenant autant que je t'ai détesté autrefois.
—Et moi, Jahoua, quand je songe que j'ai failli te tuer, j'ai envie de me couper le poignet.
—Ne pensons plus à nous. Tu viens de la Cornouaille?
—Oui.
—Eh bien? Aucune nouvelle?
—Aucune!
—Elle sera morte!
—Assassinée par les bleus, peut-être!
—Pauvre Yvonne! murmura le blessé.
Deux grosses larmes coulèrent lentement sur ses joues, tandis que Keinec fermait si violemment ses mains que les ongles de ses doigts s'enfonçaient dans les chairs. Les deux hommes étaient plongés dans de sombres pensées.
Après un silence, Jahoua leva la tête.
—Tu as été à Fouesnan? demanda-t-il.
—Oui, dit Keinec.
—Et tu n'as rien entendu dire?
—Le village est brûlé, les gars sont sauvés, je n'ai vu personne.
—Et à Plogastel?
—Rien non plus.
—Et le vieil Yvon?
—Il est mort.
—Mort! répéta Jahoua.
—Mort! il y a sept mois.
—Pauvre homme! le chagrin l'aura tué!
—Non, dit sourdement le jeune Breton, il n'est pas mort de chagrin dans son lit, il a été assassiné dans les genêts.
—Assassiné! s'écria Jahoua; par qui donc?
—Par les patriotes de Rosporden! Un soir que le pauvre vieux revenait de Quimper, où il s'était rendu, espérant toujours recueillir quelques nouvelles de sa fille, il a été arrêté par une troupe de sans-culottes de Rosporden, qui rentraient en ville après avoir été fraterniser, comme ils disent, avec les brigands de Quimper. Ils ont voulu lui faire crier: «Vive la République!» Yvon n'a pas voulu. Les autres ont insisté. Tu connaissais le vieux pêcheur; tu penses si on pouvait le faire céder facilement. Aux sommations des autres, il répondit invariablement par les cris de: «Vive le roi!» Les bandits exaspérés le contraignirent à se mettre à genoux, et comme Yvon ne se rendait pas à leurs ordres réitérés de crier comme eux et avec eux, trois patriotes se jetèrent sur lui, le terrassèrent, le garrottèrent, et, l'attachant ensuite à un arbre, le prirent pour cible. Les lâches déchargèrent en riant leurs fusils sur le vieillard. Le lendemain, on retrouvait son cadavre, et les trois patriotes se vantaient hautement dans le pays de leur expédition.
—Ah!