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pas encore entamé leurs hautes futaies, véritable bois seigneurial, dont les propriétaires successifs avaient dû se montrer jaloux presque autant de la vétusté de leurs chênes, que de celle de leurs parchemins.

      Ceux qui connaissent cette partie de la rive droite de la Loire, ce quadrilatère naturel formé par la Loire, la Vilaine, l'Erdre et l'Isac, seront sans doute prêts à nous accuser d'inexactitude en lisant les lignes précédentes. Aujourd'hui, en effet, que la rage du déboisement s'est par malheur emparée de la population des exploiteurs territoriaux, c'est à peine si, dans la vieille Armorique, on retrouve quelque reste de ces forêts magnifiques plantées par les druides, forêts qui portaient en elles quelque chose de si mystérieux et de si grandement noble, qu'elles ont inspiré les poètes du moyen âge, et qu'ils n'ont pas voulu d'autre séjour pour théâtre des exploits des chevaliers de la Table-Ronde, des amours de la belle Geneviève, et des enchantements du fameux Merlin.

      Avant que la Révolution eût appuyé sur les têtes son niveau égalitaire, coupant avec le fer de la guillotine celles qui demeuraient trop droites, la Bretagne et la Vendée avaient religieusement conservé leur aspect sauvage. Il était rare de pouvoir quitter un chemin creux, bordé d'ajoncs et de genêts, sans donner dans quelque bois épais et touffu, ou dans quelque marais de longue étendue.

      Dans le pays de Vannes surtout, dans la partie septentrionale du département de la Loire-Inférieure, de Nantes à Pont-Château, de Blain même à Guéméné, le sillon de Bretagne forme une série de collines dont la pente, presque insensible sur le versant opposé à la Loire, est beaucoup plus prononcée du côté du fleuve. Sur toute l'étendue de ce vaste coteau, dont le sommet atteint presque Séverac, et où donne le cours inférieur de la Loire qu'on aperçoit jusqu'à son embouchure dans l'Océan, le sol n'offre, sur plus d'un tiers de son parcours, que des forêts, des landes et des marais.

      Avant les premières années de ce siècle, la route de Nantes à Redon ne traversait pour ainsi dire qu'un seul bois, et, de la Loire à la Vilaine, l'œil ne se reposait que sur les hautes futaies, les chênes gigantesques, les champs de bruyères et les cépées séculaires. Au confluent de l'Isac et de la Vilaine, la forêt prenait des proportions véritablement grandioses et pouvait, à bon droit, passer pour l'une des plus belles parties du pays de Vannes, si riche cependant en sites sauvages et pittoresques.

      Aux derniers jours de la terrible année 1793, la guerre de l'Ouest était dans toute sa fureur, et déchirait la Bretagne et la Vendée avec un acharnement sans exemple. Républicains et royalistes, chouans ou sans-culottes se livraient aux plus odieuses et aux plus épouvantables représailles. La terre de France était baignée du sang de ses enfants, et fertilisée par leurs cadavres.

      —Il n'y a qu'un moyen d'en finir, disait un officier républicain, c'est de retourner de trois pieds le sol vendéen et le sol breton!

      C'est que, ainsi que l'avait prédit La Bourdonnaie, la Bretagne et la Vendée étaient tout entières en armes, et que l'armée royaliste s'était augmentée des trois quarts de la population. Jamais, selon Barrère, depuis les croisades, on n'avait vu tant d'hommes se réunir si spontanément. Les paysans s'étaient levés lentement, ainsi que l'avait fait observer Boishardy; mais, une fois levés, ils marchèrent audacieusement en avant.

      Quatre chefs principaux, quatre noms qui resteront éternellement soudés à l'histoire de cette malheureuse guerre, commandaient les royalistes. Selon un historien contemporain, Bonchamp était la tête de cette armée, dont Stofflet et La Rochejacquelein étaient les bras, dont Cathelineau était le cœur.

      On connaît les premiers efforts tentés dès 1791 par les gentilshommes de Bretagne pour opposer une digue à l'influence révolutionnaire. L'avortement de la conspiration de La Rouairie et la mort de ce chef arrêtèrent momentanément l'explosion du vaste complot mûri dans l'ombre. Mais si les bras manquaient encore, les têtes étaient prêtes, et attendaient avec impatience un acte du gouvernement qui excitât les esprits à la révolte. Le décret relatif à la levée des trois cent mille hommes fut l'étincelle qui mit le feu aux poudres.

      Le 10 mars 1793, jour fixé pour le tirage, la guerre commença sur tous les points. Un coup de canon, tiré imprudemment dans la ville de Saint-Florent-le-Vieux sur des conscrits réfractaires, porta la rage dans tous les cœurs. Le soir même, six jeunes gens qui rentraient dans leur famille, traversant le bourg de Pin-en-Mauge, furent accostés par un homme qui leur demanda des nouvelles. Cette homme qui, les bras nus, les manches retroussées, pétrissait le pain de son ménage, était un colporteur marchand de laine, père de cinq enfants, et qui se nommait Cathelineau. Faisant passer son indignation dans l'esprit de ses auditeurs, il se met à leur tête, fait un appel aux gars du pays, recrute des forces de métairie en métairie, et arrive le 14 à la Poitevinière. Bientôt le tocsin sonne de clocher en clocher. A ce signal, tout paysan valide fait sa prière, prend son chapelet et son fusil, ou, s'il n'a pas de fusil, sa faux retournée, embrasse sa mère ou sa femme, et court rejoindre ses frères à travers les haies.

      Le château de Jallais, défendu par un détachement du 84e de ligne et par la garde nationale de Chalonnes, est attaqué. Le médecin Rousseau, qui commande, fait braquer sur les assiégeants une pièce de six; mais les jeunes gens, improvisant la tactique qui leur vaudra tant de victoires, se jettent tous à la fois ventre à terre, laissent passer la mitraille sur leurs têtes, se relèvent, s'élancent, et enlèvent la pièce avec ses artilleurs.

      Ces premiers progrès donnent à la révolte d'énormes et rapides développements qui viennent porter l'inquiétude jusqu'au sein de la capitale. Le 19 mars, la Convention rend un décret dont l'article 6 condamne à mort les prêtres, les ci-devant nobles, les ci-devant seigneurs, leurs agents ou domestiques, ceux qui ont eu des emplois ou qui ont exercé des fonctions publiques sous l'ancien gouvernement ou depuis la Révolution, pour le fait seul de leur présence en pays insurgé. Cette sommation, si elle ne parvenait pas à étouffer la guerre, devait lui donner un caractère ouvertement politique. C'est ce qui arriva.

      Charette, La Rochejacquelein, La Bourdonnaie, de Lescure, d'Elbée, Bonchamp, Dommaigné, Boishardy, Cormatin, Chantereau, se mirent rapidement à la tête des révoltés, les uns habitant la Vendée, les autres arrivant à la hâte de Bretagne. Les ordres de rassemblement, distribués de tous côtés, portaient:

      «Au saint nom de Dieu, de par le roi, la paroisse de *** se rendra tel jour, à tel endroit, avec ses armes et du pain.»

      Là, on s'organisait par compagnie et par clocher. Chaque compagnie choisissait son capitaine par acclamation: c'était d'ordinaire le paysan connu pour être le plus fort et le plus brave. Tous lui juraient l'obéissance jusqu'à la mort. Ceux qui avaient des chevaux formaient la cavalerie. L'aspect de ces troupes était des plus étranges: c'étaient des hommes et des chevaux de toutes tailles et de toutes couleurs; des selles entremêlées de bâts; des chapeaux, des bonnets et des mouchoirs de tête; des reliques attachées à des cocardes blanches, des cordes et des ficelles pour baudriers et pour étriers. Une précaution qu'aucun n'oubliait, c'était d'attacher à sa boutonnière, à côté du chapelet et du sacré cœur, sa cuiller de bois ou d'étain. Les chefs n'avaient guère plus de coquetterie: les capitaines de paroisse n'ajoutaient à leur costume villageois qu'une longue plume blanche fixée à la Henri IV sur le bord relevé de leur chapeau.

      La masse des combattants vendéens se divisait en trois classes. La première se composait de gardes-chasse, de braconniers, de contrebandiers, tous ayant une grande habitude des armes, pour la plupart tireurs excellents, et en grande partie armés de fusils à deux coups et de pistolets. C'était là le corps des éclaireurs, l'infanterie légère, les tirailleurs. Sans officiers pour les commander, ils faisaient la guerre comme ils avaient fait la chasse au gibier ou aux douaniers. Leur tactique était simple: se porter rapidement le long des haies et des ravins sur les ailes de l'ennemi et les dépasser. Alors, se cachant derrière les plus légers obstacles, ne tirant qu'à petite portée, et, grâce à leur adresse, abattant un homme à chaque coup, ils devenaient pour les troupes républicaines des assaillants aussi dangereux qu'invisibles. Souvent une colonne se voyait décimée sans qu'il lui fût permis de combattre l'ennemi qui l'accablait.

      Quinze

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