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      —C'est à vous de voir, leur disait-il, si vous voulez défendre vos enfants, vos femmes, vos biens et vos corps, et si vous n'aimez pas mieux obéir à un roi qu'à un ramassis de brigands qui forment la Convention nationale.

      La plupart de ceux auxquels il s'adressait n'hésitèrent pas à marcher. Ses premiers et rapides succès contre les bleus entraînèrent les autres, si bien qu'en quinze jours il se trouva à la tête d'une petite armée, et bientôt il alla rejoindre Cathelineau sous les murs de Nantes. Son nom, son titre d'ancien officier, sa force prodigieuse, sa hardiesse et son intrépidité, lui valurent promptement un commandement supérieur dans l'armée vendéenne.

      Après la mort de Cathelineau, lorsque les royalistes furent rejetés de l'autre côté de la Loire, Boishardy fut chargé de la périlleuse mission de garder et d'observer tout le haut pays, de Saint-Nazaire à Redon. La Rochejacquelein, comptant sur lui plus peut-être que sur aucun autre chef, lui confia ses munitions, ses réserves d'artillerie et ses papiers les plus importants, puis il lui ordonna de s'établir à Saint-Gildas, au milieu de la forêt, et de garder ses précieux dépôts jusqu'à ce que la guerre prît une nouvelle face. Les royalistes, tout en marchant à l'est, espéraient toujours repasser bientôt en Vendée et reconquérir le territoire envahi par les bleus. L'espèce de relais formé par Boishardy leur devenait donc de la plus grande utilité. Aussi, en dépit de son ardeur et de sa soif des combats, le brave gentilhomme était-il forcé depuis quelque temps à demeurer dans une inaction presque complète, opposée à sa fiévreuse nature. Le projet de Marcof d'aller à Nantes délivrer le marquis de Loc-Ronan lui souriait donc d'autant mieux qu'il le mettait à même de payer de sa personne et de se rapprocher des ennemis de sa cause.

      A peine venait-il de prendre cette résolution, que Fleur-de-Chêne entra dans la pièce. Il attendait respectueusement que son chef l'interrogeât. Boishardy lui fit signe d'approcher.

      —Ne m'as-tu pas dit que quelqu'un désirait me parler? demanda-t-il.

      —Oui, commandant.

      —Qui cela?

      —Celui de nos gars que vous aviez envoyé en mission il y a près de quinze jours.

      —Il est revenu?

      —Il arrive à l'instant.

      —Bien!

      —Faut-il le faire entrer?

      —Oui, répondit Boishardy, et se retournant vers Marcof: nous allons avoir des nouvelles de la Cornouaille, dit-il.

      —Et de La Bourdonnaie? ajouta Marcof.

      —Oui.

      —Qui donc avez-vous envoyé là?

      —Un homme sûr.

      —Qui se nomme?

      —Keinec.

      —Tonnerre!... qu'il entre vite!

      Fleur-de-Chêne sortit et Keinec pénétra près des deux chefs. En voyant Marcof, le jeune homme ne put retenir un mouvement de joie; le marin lui tendit les mains par un geste tout amical, et comme Keinec les saisit pour les lui baiser, Marcof l'arrêta vivement en le pressant sur sa poitrine. Boishardy les regardait avec étonnement.

      —Vous connaissez donc Keinec? demanda-t-il à Marcof.

      —Oui, répondit le marin; son père m'a arraché à la mort et a été tué en me sauvant; lui-même m'a rendu de grands services; enfin c'est un enfant auquel j'ai appris à combattre et que je regarde comme mon matelot.

      —Tant mieux! car Keinec est un brave cœur et un gars solide. J'ai été, moi aussi, à même de l'apprécier.

      En entendant ce double éloge, Keinec rougit de plaisir. Boishardy s'assit, et, s'adressant au jeune homme:

      —Tu as accompli ta mission? dit-il.

      —Oui, commandant.

      —Tu as vu La Bourdonnaie?

      —Je l'ai vu.

      —Quelles nouvelles de la Cornouaille?

      —Les bleus ravagent toujours le pays; la guillotine est en permanence à Brest comme ailleurs; ils tuent, ils tuent tant que le jour dure.

      —Après?

      —Ceux d'Audierne, de Rosporden et de Quimper ont traqué les gars dans les forêts.

      —Ils les ont pris?

      —Quelques-uns ont été arrêtés et massacrés.

      —Et Yvon? fit Marcof vivement.

      —Il est mort!

      —Tué?

      —Martyrisé par les républicains!

      —Tonnerre! s'écria le marin en prenant sa tête dans ses mains par un magnifique mouvement de colère.

      —Fouesnan, Penmarckh, Plogastel, Plomélin, Tréogat, Plohars, ont été réduits en cendres; les habitants se sont sauvés dans les forêts.

      —Et que fait le comte de La Bourdonnaie? demanda Boishardy.

      —Il ravage aussi les campagnes et détruit tout ce qui appartient aux amis des bleus; il brûle tout et coupe les communications dans l'intérieur; les convois des républicains sont tous arrêtés par nos gars et ne peuvent plus arriver à Brest. Avant un mois, la ville sera prise par la famine.

      —C'est tout?

      —Non.

      —Qu'y a-t-il encore?

      —Un papier que je dois vous remettre.

      Keinec ôta sa veste, déchira la doublure et en retira une feuille de parchemin. Boishardy avança vivement la main pour la prendre; il l'ouvrit et la parcourut avec une attention extrême. C'était une sorte de feuille d'appel disposée d'une façon bizarre. Sur une première colonne, on lisait des noms; sur une seconde, la désignation exacte et détaillée de la position politique et financière de chacun des individus désignés; enfin suivaient les indications nombreuses relatives à la demeure, au pays, à la ville ou au village habités par chacun d'eux. Puis, devant tous les noms sans exception, on voyait, tracée à l'encre rouge, une des lettres: S.—R.—T.

      —Qu'est-ce que cela? fit Marcof en se penchant en avant.

      —Les noms de ceux qui, depuis Brest jusqu'à La Roche-Bernard, en suivant le littoral, s'obstinent à ne vouloir pas prendre les armes.

      —Et que veulent dire ces lettres?

      —S.—R.—T.?

      —Oui.

      —Surveiller, Rançonner, Tuer.

      —Je comprends.

      —Je vais faire copier cette liste et expédier des doubles à tous nos amis du pays de Vannes. Avant trois fois vingt-quatre heures, chaque individu désigné sera traité en conséquence.

      —Est-ce que de pareilles mesures ont déjà été prises?

      —Oui.

      —Avec succès?

      —Certes.

      Marcof fit un geste d'étonnement.

      —Désapprouvez-vous cette façon d'agir? demanda Boishardy.

      —Non, répondit le marin; mais je suis surpris que l'on fasse ainsi marcher des hommes et qu'ils se rallient à ceux qui les menacent ou qui frappent.

      —Que voulez-vous? le résultat est contre vous.

      —C'est possible; mais je n'aurais pas confiance en mes troupes si je commandais à de pareils soldats.

      —Bah! après deux ou trois rencontres avec les bleus, ils se battent aussi bien que

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