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Dante et Goethe: dialogues. Daniel Stern
Читать онлайн.Название Dante et Goethe: dialogues
Год выпуска 0
isbn 4064066083069
Автор произведения Daniel Stern
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
ÉLIE.
Je croirais qu'il a quelque peu forcé les couleurs. Cet enfer ne paraît pas avoir été trop horrible. On s'y divertissait passablement, si je m'en rapporte à Villani, qui a vu les choses d'aussi près que Dino Compagni. Que dites-vous de ces fêtes dont il nous fait la description avec tant de complaisance? Que vous semble de ces belles dames, de ces galants cavaliers vêtus de blanc et couronnés de fleurs, qui se réunissaient deux mois durant sous la présidence d'un Seigneur d'amour, qui dansaient, chantaient, rimaient, riaient sans fin; s'en allaient cavalcadant par la ville, au son des instruments de musique; tenaient soir et matin table ouverte où venaient, des deux bouts de l'Italie, des baladins, des jongleurs, des gentilshommes, allègres et plaisants à voir?
DIOTIME.
C'était le temps des contrastes. Malgré la fureur des guerres civiles, ou plutôt à cause de ces fureurs, qui faisaient la vie si précaire, on avait hâte de jouir. Chateaubriand a dit sur la Révolution française un mot qui m'a frappée, et qu'on pourrait appliquer à presque tous les moments tragiques de l'histoire: «En ce temps-là, il y avait beaucoup de vie, parce qu'il y avait beaucoup de mort.»
Disons aussi, à l'honneur du peuple florentin, qu'il avait le goût inné des élégances, et que, tout en chassant des conseils de la république une aristocratie oppressive et insolente, tout en fondant une démocratie dont le travail était la loi, il avait su y garder les grâces patriciennes, l'amour du beau parler, des belles manières, l'instinct des plaisirs délicats. Florence, où le commerce amenait la richesse et qui, dès cette époque, surpassait Rome en population, était le lieu privilégié des compagnies agréables. L'amour, la poésie amoureuse, y semblaient, même aux hommes les plus graves, la principale affaire. Selon Dante, qui devait le savoir, la poésie italienne avait pour origine le désir de dire d'amour aux femmes qui n'entendaient pas le latin; Dante ajoute qu'il était malséant d'y parler d'autre chose. La beauté, à qui les chroniqueurs florentins rapportaient la première occasion des guerres civiles, y était, comme dans Athènes, l'objet d'un culte. Les femmes intervenaient partout, même dans les délibérations guerrières. Leurs bonnes grâces étaient le prix suprême ambitionné par la valeur et par le talent. À l'âge de neuf ans, sans étonner personne, Dante tombait éperdument épris d'une enfant de même âge. À dix-huit ans, fidèle et malheureux, il célébrait ses amours dans un énigmatique sonnet qu'il adressait aux poëtes de son temps, en les provoquant à des réponses rimées. Et les artisans de Florence, plus cultivés dans leur petite cité que ne le sont aujourd'hui ceux des plus grandes capitales, charmaient leur travail en récitant ou en chantant ces sonnets, ces canzoni, qui les intéressaient à la vie intime de leurs concitoyens fameux.
On aurait peine à se figurer chez nous, où le sentiment de la beauté est le partage d'un si petit nombre de personnes, l'exquise sensibilité de la population florentine pour les arts, et son enthousiasme pour le talent. Quand je lis les récits contemporains, il me semble le voir, ce peuple aimable, transporté d'admiration devant la madone de Cimabue, courir au palais du roi Charles et l'entraîner avec lui, «à tumulte de joie,» a tumulto di gioja, aux jardins solitaires, à l'atelier du peintre; puis, quelques jours après, porter en triomphe cette Vierge d'invention nouvelle, telle qu'on n'en avait point encore vue, disent les chroniqueurs, et la placer sur l'autel, dans l'église qui porte son nom, avec le plus gracieux et le plus florentin des attributs: Sainte Marie de la fleur, Santa Maria del fiore. C'est pour plaire à cette démocratie magnifique, qui voulait la gloire et savait la donner, qu'Arnolfo Lapi construisait, non loin des nobles maisons des Uberti, renversées par le courroux populaire, un édifice qu'on nommait le Palais du Peuple. C'est pour elle encore qu'il bâtissait Santa-Croce, ce panthéon italien qui devait un jour abriter les monuments funèbres de Machiavel, de Galilée, de Dante, de Michel-Ange, d'Alfieri, de Cavour. C'est sur l'ordre des marchands de laine que le grand architecte avait jeté, pour l'église de Santa Maria del fiore, des fondements solides à ce point que, deux siècles plus tard, Brunelleschi n'hésitait pas à leur faire porter cette coupole fameuse dont Michel-Ange, en ses rêves de gloire, désespérait de surpasser la hardiesse. C'est pour enlever les suffrages de ce peuple épris du beau que la sculpture, l'art des mosaïstes et des enlumineurs, la musique, dans les cloîtres et hors des cloîtres, parmi les disciples d'Épicure et la gaie milice des frati Gaudenti, célébraient à l'envi l'amour divin et l'amour profane, et, dans leur élan juvénile, rivalisaient d'inventions charmantes.
Les études aussi, les études graves et fortes se poursuivaient dans les Universités de Bologne, la Mater Studiorum, de Padoue, de Naples, d'Arezzo, de Crémone. C'était partout, de ville à ville, de contrée à contrée, une émulation passionnée de savoir et de gloire. La science était petite encore et peu expérimentée; mais elle était bien vivante et promettait beaucoup. Elle n'enseignait pas tristement, le front penché sur les livres; elle parlait de bouche à bouche, de cœur à cœur, dans de belles enceintes sonores, en plein air, à une jeunesse ardente, qui, de loin, à travers mille dangers, accourait l'épée au poing comme pour la bataille. La science voyageait, elle s'offrait à tous généreusement. Elle donnait des franchises et des immunités; elle décernait avec magnificence des palmes et des couronnes. Elle aimait. Plutôt que de quitter leurs élèves, des professeurs refusaient la souveraineté. Le premier qui fut docteur à Florence, le jurisconsulte Francesco da Barberino, fut gradué après avoir écrit les Documents d'Amour: I Documenti d'Amore.
Des hommes éloquents, des orateurs, vous imaginez s'il en devait naître là où chaque jour, à toute heure, pour le salut de la république ou pour le triomphe de son parti, il fallait s'efforcer de convaincre ou d'entraîner le peuple!
Les écrivains non plus, en vers et en prose, ne manquaient pas. Ils ne s'étaient pas laissé devancer par les artistes. La poésie chevaleresque, venue de la Provence dans les cours de Sicile où elle avait jeté un vif éclat, la troratoria, comme on disait alors, s'était répandue dans l'Italie entière. Elle y avait rencontré une poésie populaire qui se dégageait du latin et s'essayait en de nombreux dialectes (Dante n'en compte pas moins de quatorze principaux). À ce contact, elle s'était modifiée, italianisée. On rapporte à saint François d'Assise l'honneur d'avoir un des premiers chanté dans l'italien naissant son hymne au soleil, que les «Jongleurs du Christ,» Joculatores Cristi, s'en allaient disant par toute l'Italie. Après lui, on nomme Guido Guinicelli, de Bologne, que Dante, en l'accostant dans le Purgatoire, appelle Padre mio, et qui fut bientôt suivi de Cino da Pistoia et du grand Florentin Guido Cavalcanti. Aussitôt que la poésie a touché le sol toscan, y trouvant à la fois le plus beau des idiomes et ce génie si subtil que le pape Boniface l'appelait le cinquième élément de l'univers, elle s'épanouit et l'on voit rapidement fleurir un groupe nombreux de poëtes dont les œuvres, écrites dans le vulgaire illustre (c'est l'expression de Dante), assurent à la patrie dans les lettres la prééminence qu'elle avait conquise déjà dans la politique. C'étaient, entre autres, Guittone d'Arezzo, Dino dei Frescobaldi, Dante da Maiano qui correspondait en vers avec une poétesse sicilienne qu'il appelait «sa noble panthère,» et qui s'était éprise de lui ou de sa gloire jusqu'à se faire appeler la Nina di Dante.
VIVIANE.
Eh quoi! cette Nina n'est pas la Nina du grand Dante?
DIOTIME.
Le grand Dante, Viviane, c'était alors Dante da Maiano. Il était très-fameux, tandis que Dante Allighieri n'avait encore qu'une très-humble part dans la gloire. L'illustre Sicilienne, dont le monument se voit à Palerme, entre celui d'Empédocle et celui d'Archimède, ignorait peut-être jusqu'à l'existence du futur auteur de la Vita Nuova.
La renommée fait souvent de ces méprises. J'ai ouï conter à M. de Lamartine que, arrivant à Paris, jeune et plein de respect, il aspirait, sans trop oser y prétendre, à l'honneur d'approcher, mais d'un peu loin, dans quelque salon, le poëte fameux dont