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cela?

      DIOTIME.

      Je veux dire… mais ce serait un long discours.

      ÉLIE.

      Ne sommes-nous pas de loisir?

      DIOTIME.

      Nous avons beaucoup marché sans nous en apercevoir; je me sens un peu lasse.

      ÉLIE.

      Arrêtons-nous ici. Le vent se calme, l'Océan s'apaise. La marée ne dépasse jamais ce rocher. Voici mon plaid étendu sur le sable. Asseyez-vous, Diotime. Prenez quelqu'une de ces figues que j'ai apportées pour vous dans ce panier. Je les crois mûres, bien que venues sous un ciel inclément.

      DIOTIME.

      Depuis les figues que je cueillais sur les bords du lac de Côme, dans les jardins de la villa Melzi, je n'en avais pas goûté d'aussi savoureuses.

      ÉLIE.

      Vous le voyez, notre soleil du Nord a ses caresses; nos landes, âpres et rudes, ont leur douceur. Ce matin, en venant de Portrieux, vos regards s'arrêtaient avec plaisir sur la pourpre de nos bruyères et sur les tons rosés de nos champs de blés noirs. Ne me disiez-vous pas aussi que la lumière qui descendait à ce moment sur nos campagnes vous rappelait les brumes transparentes qui, à certains jours d'automne, enveloppent le Lido?

      DIOTIME.

      En effet, la nature, en ses diversités les plus frappantes, a des rappels soudains à la grande unité. Il en est ainsi des hommes de génie: c'est le même Dieu, c'est le Dieu unique, éternel, qui parle par leur voix sur des modes divers. Il ne tiendrait qu'à nous de l'y reconnaître.

      ÉLIE.

      Je vois où vous voulez en venir; et, si vous restez dans ces généralités, je me garderai de vous contredire. Mais précisons davantage et dites-moi, je vous prie, quels sont ces rappels, ces analogies, que vous avez su découvrir entre deux œuvres où je n'ai jamais pu voir qu'opposition et contraste?

      Élie parlait encore, qu'on vit surgir à l'extrémité de la grève, en pleine lumière, un point noir. Ce point noir se mouvait et venait vers eux rapidement. Presque aussitôt, on put distinguer un cavalier et une amazone, dont la robe flottante semblait poussée par le vent et le défier de vitesse. Un lévrier de grande taille courait devant les chevaux. Il bondissait de rocher en rocher. Tout d'un coup, il s'arrête: il venait d'apercevoir son maître, assis aux pieds de Diotime; et peut-être aussi, qui sait? le panier ouvert entre eux deux, qui promettait à son appétit quelques reliefs. Quoi qu'il eu soit, d'un trait, Grifagno franchit l'espace; il se jette sur Élie avec une impétuosité folle, renverse le panier, les figues, et, de son long museau désappointé, les culbute sur le sable. Tout cela avait été l'affaire d'un clin d'œil. Dans le même temps, la svelte amazone arrivait à fond de train. Elle sautait lestement à bas de son cheval, détachait de la selle une gerbe de fleurs sauvages, et s'avançait vers Diotime avec un air gracieux.

      DIOTIME.

      Quelle surprise! Nous ne vous attendions plus.

      VIVIANE.

      C'est par hasard que nous vous rejoignons. Nous reprenions la route de Portrieux, pensant vous y trouver, quand Marcel s'est avisé de demander au garde-côtes s'il ne vous aurait point vus. C'est ce brave douanier qui nous a dit que vous aviez laissé la voiture à Tréveneuc et que vous deviez être encore par ici quelque part.

      ÉLIE.

      Le cap Plouha a exercé sur nous sa magie. Diotime a eu des visions, j'ai fait des rêves. Les heures ont glissé sans bruit, comme ces voiles qui disparaissent là-bas à l'horizon. Et quand nous nous en sommes aperçus, au lieu de hâter le retour, nous avons décidé de rester ici jusqu'au soir.

      MARCEL.

      Et l'on vous dérangerait en y restant avec vous?

      Viviane n'attendit pas la réponse. Prenant des mains de son frère un épais manteau qu'elle roula en coussin, elle s'assit auprès de Diotime. Marcel fit signe à des enfants de pêcheurs, qui cherchaient des crabes dans les rochers, de venir tenir les chevaux. Le lévrier haletant s'étendit tout de son long sur le bout du plaid d'Élie. Et, chacun ainsi établi à sa guise, la conversation reprit son cours.

      VIVIANE.

      De quoi parliez-vous donc quand nous vous avons surpris? Vous m'aviez tout l'air de dire de fort belles choses.

      ÉLIE.

      Voilà qui s'appelle deviner. Diotime était en verve. Elle entreprenait de me persuader que la Comédie de Dante et le Faust de Gœthe sont deux œuvres tout à fait semblables.

      DIOTIME.

      Je n'ai pas dit tout à fait, mais très-semblables.

      VIVIANE.

      À la bonne heure. Vive le paradoxe! Depuis quelques jours, ne vous déplaise, nous échangions avec une satisfaction assez plate des vérités incontestables. J'ai grand besoin de stimuler mes esprits… Eh bien! Diotime, parlez. Persuadez-nous. Par Apollon et les Muses! je jure de vous décerner le prix d'éloquence. Si je n'ai pas pour vous couronner les violettes et les bandelettes d'Alcibiade, je saurai du moins tresser ces verveines avec assez d'art pour qu'elles n'offusquent point votre grand front lumineux.

      DIOTIME.

      Une couronne, des belles mains de la fée Viviane! voilà de quoi tenter mon ambition. «Les ailes m'en viennent au dos,» auraient dit vos amis d'Athènes.

      VIVIANE.

      Eh bien! déployez-les. Parlez.

      DIOTIME.

      Laissez-moi me recueillir un peu.

      Viviane mit un doigt sur sa bouche. Chacun se tut. Après quelques instants, Diotime continua d'un ton grave.

      DIOTIME.

      L'analogie première que je vois entre le poëme de Dante et le poëme de Gœthe, c'est que tous deux ils embrassent, ils élèvent à son expression la plus haute l'idée la plus vaste qu'il soit donné à l'homme de concevoir: la notion de sa propre destinée dans le monde terrestre et dans le monde céleste; le mystère, l'intérêt suprême de son existence en deçà de la tombe et au delà; le salut de son âme immortelle. Le sujet de la Comédie et le sujet de Faust, ce n'est plus, comme dans l'épopée antique, une expédition guerrière et nationale, la fondation de la cité ou de l'État; c'est la représentation des rapports de l'homme avec Dieu dans le fini et dans l'infini; c'est le grand problème du bien et du mal, tel qu'il s'est agité de tout temps dans la conscience humaine, avec la réponse qu'y donnent, selon la différence des âges, la religion, la philosophie, la science, la politique.

      ÉLIE.

      Pardon. Ce que vous dites ne s'appliquerait-il pas également bien au Paradis perdu de Milton, à la Messiade de Klopstock?

      DIOTIME.

      Pas entièrement. D'ailleurs, ce n'est là qu'un point

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