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qui devient, en empruntant quelques traits au Kobold du foyer domestique, le héros du théâtre des marionnettes, se répand en mille variantes par toute l'Allemagne, et dont l'histoire authentique paraît enfin imprimée à Francfort-sur-le-Mein, pendant la foire d'automne de l'année 1587. Une préface de l'éditeur l'offre en exemple à toute la chrétienté et lui présente, comme un salutaire avertissement, la fin lamentable du téméraire docteur, abominablement trompé par les ruses du diable.

      Le sens de ces deux légendes est exactement le même. Malgré le mélange qui s'y introduit, comme dans presque toutes les créations du moyen âge et de la renaissance, d'éléments empruntés à la mythologie païenne, il est parfaitement chrétien. La vision de l'enfer, du purgatoire et du paradis, a pour objet de ramener par la certitude des récompenses et des châtiments éternels, par une salutaire frayeur et par une espérance vive, les âmes qu'ont entraînées au péché l'orgueil de la science et les concupiscences de la chair. La tentation de Faust, permise par Dieu comme la tentation de Job, et le voyage en enfer ne sont, dans la conscience populaire, autre chose qu'une exhortation à bien vivre.

      C'est en prenant ces données, telles que les avait conçues le génie du peuple, que Dante et Gœthe ont créé chacun un poëme d'une originalité inimitable, dont on peut prédire, à coup sur, qu'il ne cessera jamais d'intéresser les esprits, à moins que, par impossible, les hommes ne cessent un jour de s'intéresser à ce qu'il y a ici-bas de plus divin tout ensemble et de plus humain: au mystère même de l'art dans ses rapports avec cet insatiable désir de l'infini, qui repose au plus profond de la nature humaine.

      Voulez-vous que nous nous arrêtions un moment à considérer ce travail d'appropriation qui s'accomplit de la même manière dans la généreuse intelligence de nos deux poëtes, et que nous nous remettions sous les yeux ce qu'étaient les temps où ils vécurent?

      VIVIANE.

      Assurément. Je suis tout oreilles.

      DIOTIME.

      Je m'engage là bien témérairement, et je crains que ma mémoire ne me fasse défaut.

      ÉLIE.

      De ceci, ne vous mettez point en peine; vous nous avez maintes fois prouvé qu'elle ne se fatigue pas plus que votre imagination.

      DIOTIME.

      Eh bien, soit! Lorsque Dante ou Durante des Allighieri (la coutume florentine voulait qu'on s'appelât tantôt d'un sobriquet, tantôt d'un diminutif: Dante pour Durante; Bice pour Béatrice) naissait à Florence, au mois de mai de l'année 1265, les peuples italiens, comme vous savez, devançaient en culture tous les autres peuples.

      Ils vivaient d'une vie pleine de trouble, mais forte et passionnée, où leur génie inventif s'essayait, sous les formes les plus variées, aux arts de la guerre et de la paix, aux institutions civiles et politiques. L'Italie était alors le centre et comme la force motrice de la civilisation. Il y avait à Rome un pape et un peuple qui tenaient de leur antique et noble origine le droit de faire des empereurs, et qui avaient restauré ce grand nom d'empire romain, le plus grand, dit Fauriel, qui eût été donné à des choses humaines; dans les Deux-Siciles, un royaume féodal, une dynastie florissante qui cherchait la gloire et la gaieté des lettres; à Venise, une oligarchie opulente, et profonde déjà dans sa politique; à Milan, une seigneurie nouvelle, tyrannique, mais remplie d'habileté; à Florence enfin, une démocratie vive et hardie, exercée aux affaires par un gouvernement électif et de courte durée, et chez qui s'éveillaient ces nobles curiosités dont la satisfaction allait prendre dans l'histoire le nom de Renaissance; partout, sous l'action opposée des ambitions papales et impériales, des soulèvements, des ligues, des conjurations, des guerres civiles où se trempait dans le sang italien le tempérament italien; des chocs violents d'où jaillissait la flamme d'un patriotisme exalté; des haines sauvages, des vertus héroïques, tous les excès, tous les emportements d'une société sans règle et sans frein, où se produisaient aussi, par contraste, chez un grand nombre d'âmes, le dégoût des choses d'ici-bas, l'amour contemplatif, mystique et visionnaire des choses éternelles.

      Les dissensions civiles ne faisaient pas de trêves sur les bords de l'Arno. Au dire des chroniqueurs, le sang étrusque de Fiesole et le sang romain de Florence n'avaient jamais pu ni se mêler ni s'accommoder. Fondée sous l'invocation du dieu Mars, qui devait à jamais la rendre inexpugnable, l'antique cité païenne n'avait subi qu'en frémissant la loi tardive de saint Jean-Baptiste, et l'idole offensée du dieu, chassé de son temple, se vengeait en soufflant au cœur des Florentins le feu des discordes. Sur les rives d'un fleuve tranquille, entre des collines charmantes où l'abeille faisait son plus doux miel, sous un ciel d'une incomparable sérénité, Florence, retranchée derrière ses murs épais, toute hérissée de tours, de châteaux crénelés qui se défiaient l'un l'autre et provoquaient l'ennemi du dehors, apparaissait au loin dans la campagne, fière et dominatrice.

      Après une longue suite de fortunes diverses, favorable un jour au parti guelfe, un jour au parti gibelin, la cité, vers cette époque, restait aux guelfes. Ils y avaient établi le gouvernement populaire. La commune, organisée en corporations armées, souveraine en ses délibérations, mais ombrageuse à l'excès et pleine de ressentiments, avait exclu les grands de presque toutes les magistratures. Elle infligeait, comme un châtiment, la noblesse aux familles qui encouraient sa disgrâce. On devenait noble ou Magnat, Sopra Grande, comme on disait, pour cause d'empoisonnement, de vol, d'inceste. Toute personne noble, si elle voulait se rendre apte au gouvernement de la chose publique, devait renier son ordre en se faisant inscrire dans les corporations sur les registres des arts.

      C'est là, sur un registre des arts majeurs (celui des médecins et des apothicaires), que se lisait, de 1297 à 1300, le nom patricien de Dante d'Aldighiero degli Aldighieri, poeta fiorentino.

      MARCEL.

      Dante médecin! peut-être apothicaire! Voici qui me gâte furieusement ses lauriers et sa Béatrice!

      DIOTIME.

      Aux temps dont nous parlons, Molière lui-même n'eût pas trouvé là le plus petit mot pour rire. Les apothicaires étaient lettrés. C'est chez eux que l'on achetait les livres, chose alors si rare et si respectée. La médecine était considérée, avec la théologie et la jurisprudence, comme une science à part, au-dessus de toutes les autres. Elle était venue des Arabes avec l'algèbre; elle en parlait la langue abstraite. Un chirurgien qui remettait un membre, faisait une équation, il s'appelait alors, en Italie, comme encore aujourd'hui en Espagne et en Portugal, un algebrista. Comme les médecins orientaux, les médecins italiens entourés du prestige de l'astrologie qu'ils pratiquaient presque tous, étaient très-influents dans l'État. Ils devenaient ambassadeurs, évêques. Ils portaient un costume d'une grande richesse, on les comblait d'honneurs. On les persécutait aussi; l'Inquisition avait l'œil sur eux, craignant ce qu'elle appelait les profanations de l'anatomie, sévèrement interdite par le souverain pontife. Le célèbre Pierre d'Abano fut deux fois condamné par les inquisiteurs. Après sa mort, pour sauver ses restes des flammes, il ne fallut rien de moins que les sollicitations du peuple de Padoue et l'intervention directe du pape, à qui Pierre d'Abano avait donné des soins dans une grave maladie.

      ÉLIE.

      Serait-ce, par hasard, en sa qualité de médecin, que Dante fut menacé et forcé d'écrire son Credo?

      DIOTIME.

      Non. Ce fut pour avoir mis des papes en enfer et des païens en paradis, que, pendant son exil à Ravenne, il fut mandé et interrogé par l'inquisiteur. J'ajoute que ce Credo est d'origine suspecte, bien qu'il figure dans quelques éditions très-anciennes des œuvres de Dante.—Mais retournons à Florence. Vous rappelez-vous, Élie, le tableau que fait Dino Compagni de cette période animée qui s'écoule entre la venue

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