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roi de Naples et des prêtres de Volterra exaspérés par le sac infâme de leur ville. La mort de Laurent fut décidée, mais comment et à quel moment s'exécuterait le meurtre? Frapperait-on les deux frères ensemble ou séparément? A qui des conjurés incomberait ce soin? Autant de questions pour lesquelles chacun préconisait sa solution. Enfin, après maintes hésitations, on résolut de se débarrasser d'eux ensemble et l'on arrêta qu'on les frapperait au Dôme, le jour de l'investiture du nouveau cardinal, nommé par le Pape à la place de Julien, cérémonie à laquelle ils devaient nécessairement assister l'un et l'autre. Ainsi qu'il avait été convenu, au moment de l'élévation, les conjurés se précipitèrent sur les Médicis et Julien, mortellement frappé, fut achevé avec férocité par François Pazzi et Baroncelli.

      A cette vue, les deux prêtres de Volterra chargés d'en finir avec Laurent, eurent un instant d'hésitation qui lui permit, entraîné par ses amis les Cavalcanti, de se jeter dans le chœur et de gagner la sacristie, dont les portes de bronze, chef-d'œuvre de Luca della Robbia, refermées à point nommé, le mirent hors de toute atteinte.

      Dans ces circonstances, Laurent se montra fort piètre, et après l'échec de la conjuration, ses amis eurent toutes les peines du monde à lui persuader de quitter son asile pour rentrer dans son palais; mais la populace, toujours portée à se prononcer en faveur du succès, l'ayant acclamé, il dut se montrer, le cou enveloppé de linges couvrant une légère blessure.

      Il n'entrait pas dans les principes des Médicis d'user de clémence envers les vaincus; aussi la férocité des représailles fut effroyable et frappa dans les familles jusqu'aux membres qui non seulement n'avaient pris aucune part au complot, mais avaient encore ignoré son existence. Il n'y a pas dans l'histoire d'exemple d'un pareil acharnement; deux années ne suffirent pas à assouvir les vengeances, et au bout de ce temps, on refusait encore la sépulture aux victimes. Comme de raison, Julien eut de somptueuses obsèques, et son frère, ayant appris qu'une femme restait enceinte de lui, recueillit et éleva l'enfant qui fut plus tard le pape Clément VII.

      Parvenu au comble de sa fortune, Laurent se voyait, grâce à la tentative des Pazzi, couronné de l'auréole du martyre et du même coup délivré d'un frère qu'il aurait fait disparaître, si ce frère avait jamais prétendu au partage du pouvoir. Il exploita les circonstances avec astuce pour obtenir des prérogatives presque royales, et la conjuration lui fournit un admirable prétexte pour se défaire de quiconque le gênait.

      Les trois années suivantes virent croître sans arrêt la fortune de Laurent; en 1480, il faisait sa paix avec le Pape, et Florence, réconciliée avec l'Église, le portait aux nues; il obtenait ensuite de faciles avantages sur des voisins peu redoutables, et, comme dit Machiavel, «les paix lui faisaient gagner ce que lui faisaient perdre les guerres». Enfin, en 1488, il devenait l'arbitre et le protecteur de l'Italie, tandis que, pour cimenter encore mieux sa paix avec Innocent VIII, sa fille Madeleine épousait le bâtard du pape, François Cybo, et le Pape donnait le chapeau de cardinal à Jules de Médicis, bâtard puîné de son frère Julien.

      Par un revirement singulier et fréquent dans l'histoire des Médicis, pendant que la fortune ne cessait de sourire à Laurent dans sa vie publique, sa vie privée était assombrie de chagrins domestiques; il perdait coup sur coup sa fille Louise, sa femme Clarisse, sa sœur Blanche. Pour se distraire de ces deuils, il trama l'assassinat de Riario, seigneur de Forli, dont le Pape lui avait promis la principauté, s'il venait à mourir. Il était devenu si redoutable que personne n'osa l'accuser de ce crime et que Catherine Sforza, la veuve de la victime, dut se résigner à épouser le cousin du meurtrier de son mari, Jean de Médicis. De cette union devait bientôt naître le fameux Jean des Bandes Noires, père du grand-duc Cosme Ier: ainsi, par un juste retour des choses d'ici-bas, la postérité de Catherine était destinée à remplacer celle de Laurent prématurément éteinte.

      Même à cette époque où Laurent occupait une situation si prépondérante et où Florence bénéficiait d'une paix inconnue jusqu'alors, la susceptibilité d'un peuple jaloux de son indépendance était telle qu'il ne pouvait s'avancer que pas à pas et avec la plus extrême prudence, tant se maintenaient vivaces les défiances florentines sans cesse en éveil à l'égard de tout ce qui ressemblait à de l'arbitraire. Il se voyait réduit à biaiser, à n'acquérir l'autorité que peu à peu, à n'imposer que ce qu'il pouvait en faire accepter, et cela, à l'aide de précautions, de ménagements infinis, et presque à l'insu de ceux qui devaient porter le joug.

      Quand on parle des trois premiers Médicis comme protecteurs des lettres et des arts, c'est un tort, semble-t-il, de les mettre sur la même ligne, alors qu'il y a lieu d'établir des distinctions capitales dans la manière dont chacun d'eux remplit ce rôle. Si leurs tendances ont le même objet, les résultats sont pourtant tout autres et le splendide essor des arts sous Cosme n'a rien qui puisse lui être comparé sous son petit-fils. L'éducation littéraire de Laurent avait été très soignée, mais la multiplicité des professeurs appelés à y contribuer amena dans son esprit de singulières disparates, et créa une étrange opposition entre un certain nombre d'opinions religieuses qu'il appelait «ses principes» et ses mœurs étrangement débauchées.

      Dans le cours entier de son existence, il est impossible de citer un acte de générosité, et cela, aussi bien à l'égard de sa famille que de son pays. S'il fut le protecteur des arts et des lettres, ce fut bien plutôt pour le profit qu'il en tirait que par amour pur et désintéressé, et il savait parfaitement combien il lui était avantageux de donner cette direction aux esprits, qu'il détournait ainsi du souci plus grave des affaires publiques. Rien de curieux comme cette vie en partie double, où, après avoir sévi, assassiné, confisqué, il entrait à l'Académie platonicienne et dissertait sur l'immortalité de l'âme, avant de se mêler à la jeunesse dissolue ou de composer des chansons érotiques au milieu des orgies. Il faut, malgré tout, rendre à Laurent la justice que son esprit ouvert et curieux le porta vraiment à s'entourer de toutes les illustrations de son époque. Passionné pour le Dante, pour Pétrarque et pour Boccace, il l'était principalement pour tout ce qui touchait à la Grèce où Platon était son dieu. Il fît les efforts les plus louables pour répandre la science, et il acheta partout au poids de l'or les manuscrits les plus rares, ceux mêmes qui étaient destinés à former l'admirable bibliothèque qui porte son nom. La renommée de Laurent attira à Florence les savants de l'Europe entière; mais ceux-ci ne devaient pas éclipser les anciens clients de la «Casa Médicis», les Ange Politien, les Marsile Ficin, les Pulci et les Pic de la Mirandole, alors dans toute leur gloire.

      Quant aux beaux-arts, Laurent ne sut en rien prévenir la décadence déjà sensible à son époque. En effet, quand il prit le pouvoir, en 1448, les Masaccio, les Angelico, les Brunelleschi et les Ghiberti avaient disparu, tandis que les Lippi, les Ghirlandajo et les Botticelli étaient déjà en pleine floraison. Il n'eut en vérité qu'à exploiter des talents arrivés à leur apogée et il ne sut les faire servir qu'à son apothéose ou à la glorification de sa maison. Sa théorie sur les arts était étrange, car il n'admettait pas qu'un artiste pût atteindre la perfection si sa naissance n'était pas relevée et son éducation distinguée, préjugé qui lui fit dédaigner Léonard de Vinci et refuser ses services à cause de sa naissance illégitime.

      Les derniers jours de Laurent furent empoisonnés par la sourde opposition qu'il rencontrait partout et dont le chef s'était enfin trouvé dans un moine dominicain, Jérôme Savonarole.

      Frère Jérôme Savonarole, né à Ferrare en 1452, manifesta dès son enfance une irrésistible vocation religieuse. Après les plus sérieuses études de philosophie et de théologie, il entra, à vingt-deux ans, chez les dominicains de Bologne, et dès 1483, on l'envoyait à Florence où ses prédications eurent un insuccès notoire dû à sa parole difficile et embarrassée; mais, sans se décourager, il se retira dans un couvent de la Lombardie où il se livra à des études d'éloquence et à la lecture approfondie de la Bible et des Écritures. Aussi, quand, au bout de sept ans de réclusion, le dominicain revint à Florence, il était persuadé de sa mission et convaincu que Dieu l'avait élu pour parler au peuple. Ses premiers essais le confirmèrent dans sa croyance. Les temps étaient bons pour s'ériger en prophète, l'Italie était pleine de factions, l'Église de scandales, Innocent

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