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l'annonce que tous ces événements s'accompliraient avant la mort de celui qui les prédisait.

      De tels sermons eurent un retentissement énorme et tout Florence se précipita pour entendre la parole de ce moine bientôt considéré comme un saint. Esprit indépendant et vigoureux, Savonarole avait résisté au double courant païen et classique dont il voyait également les dangers, et telle était l'inflexibilité de son caractère, qu'il refusa d'aller, selon la coutume, rendre hommage à Laurent, lors de sa nomination au siège de prieur de San Marco, en 1490. Depuis l'échec de la conjuration des Pazzi, c'était la première opposition dressée devant Laurent, aussi son orgueil fut-il blessé au vif. Il fit avertir le moine d'avoir ou à modérer sa fougue ou à interrompre ses prédications, défi auquel répondit Savonarole en prophétisant la mort de Laurent, qui survint en réalité dix-huit mois plus tard.

      Hanté par l'idée de cette assignation, Laurent, sur son lit de mort, fit appeler Savonarole, dans l'espoir qu'une réconciliation in extremis avec le moine pourrait le concilier à son fils Pierre. On ne sut jamais ce qui se passa dans cet entretien suprême, où l'on dit que Savonarole refusa au mourant la dernière bénédiction: «Et comme sa mort,» dit Machiavel, «devait être le signal de grandes calamités, Dieu permit qu'elle fût accompagnée de sinistres présages; la foudre tomba sur le Dôme et Roderic Borgia fut nommé pape!»

      Laurent, après avoir déployé toute sa vie ce faste qui lui avait valu le surnom de «Magnifique», fut enseveli sans pompe, d'après ses dernières volontés, tant il craignait, à cause de son fils, de provoquer l'envie.

      Le peuple, oublieux de ses torts, de ses défauts et de ses vices, suivit ses funérailles et pleura celui qu'avec l'exagération italienne on appelait «le père et le maître de la ville», tandis qu'asservi par trois générations de Médicis, il trouvait tout simple de reporter sur le fils de Laurent, âgé de vingt et un ans, un respect dont il ne devait jamais se montrer digne.

      Laurent disparaissait de la scène du monde au moment propice pour sa renommée, alors que l'Italie, atteinte de vieillesse précoce, allait entrer en pleine décadence. Le XVIe siècle montre l'établissement des tyrans dans tous les États et la reconnaissance en leur faveur du principe d'hérédité; il montre Alphonse régnant à Naples, Borgia assis sur le trône pontifical, Ludovic le More gouvernant Milan, avant même d'avoir volé la couronne ducale, et enfin, figure digne de paraître en si illustre compagnie, Pierre II de Médicis succédant à son père.

      Pour l'héritier de Cosme et de Laurent, l'heure était passée de prendre des précautions ou d'user de prudente dissimulation dans l'exercice du pouvoir: il en jouit avec toute l'âpreté de son orgueil, toute la plénitude de sa puissance. On ne se fit pas de longues illusions sur sa valeur personnelle, et il s'attira la haine si générale par sa manière de s'imposer que les conjurations se tramèrent et se nouèrent bientôt sans trêve.

      Tout étroite que fût l'intelligence de Pierre, il était autrement séduisant que son père. Ange Politien avait été chargé de son éducation et, avec le goût des lettres, il lui avait donné la passion de la Grèce et de Rome. Ardent au plaisir, les affaires publiques l'intéressaient médiocrement, mais, quand par hasard il s'en occupait, c'était avec la violence qu'il tenait des Orsini par sa mère et qui le rendait aussi prompt à la colère qu'impuissant à se dominer et implacable dans l'assouvissement de ses vengeances. La famille même de Pierre eut à souffrir de ses emportements. La branche cadette, issue du frère de Cosme l'Ancien, avait jusqu'alors évité par sa prudence tout sujet de suspicion, mais, malgré cette sagesse, les deux cousins de Pierre avec lesquels il avait été élevé, Laurent et Jean de Médicis, ayant provoqué son ressentiment et son envie, furent jetés en prison et condamnés à mort par ses ordres. Il commua cette sentence inique en bannissement perpétuel du territoire florentin avec la confiscation de leurs biens, seul point essentiel pour lui, l'immense fortune de cette branche de sa famille étant une proie bonne à prendre.

      Par cette conduite, il faisait des siens mêmes les chefs de l'opposition, tandis que par ses rigueurs maladroites il s'attirait les anathèmes de Savonarole et excitait la fureur du peuple indigné de voir son idole forcée de quitter Florence sur ses injonctions. C'était une inimitié terrible dressée en face de lui, et la situation extérieure compliquait encore les difficultés qui l'assaillaient de toutes parts. La politique cauteleuse de Laurent, poursuivie par son fils, l'avait fait renoncer aux traditions séculaires de la Toscane et prendre parti contre la France, en poussant le roi de Naples à refuser la paix offerte par Ludovic le More. Celui-ci appela Charles VIII à son secours, lui proposant, pour le défendre, le centre et le sud de l'Italie, à la seule condition que ses États lui fussent laissés. Pendant ces événements, loin de ménager la France, Pierre donnait libre carrière à sa verve satirique et entretenait ainsi les ressentiments du roi encore aggravés par les incitations des cousins de Pierre réfugiés à sa cour. L'effet de cette politique ne tarda pas à se faire durement sentir, car, lorsque Pierre voulut obtenir les subsides nécessaires pour entrer en campagne contre la France, l'âpre parole de Savonarole et sa haine contre les Médicis déchaînèrent une telle opposition qu'il ne put se faire ouvrir aucun crédit. Pitoyable dans cette occasion, sans prendre ni avis, ni conseil de personne, Pierre se rendit au camp de Charles VIII et, après avoir fait au roi les plus plates excuses, il prit, au nom de Florence, les engagements les plus durs, dont l'un des moindres était la remise de Pise aux mains des Français.

      Pierre avait lieu d'être fort inquiet de la façon dont serait acceptée son incartade. En effet, l'émotion publique fut portée à un tel degré que tous se trouvèrent d'accord pour secouer un joug abhorré; on le somma de venir rendre ses comptes à la Seigneurie et, le jour même de la reddition de Pise, le 19 novembre 1494, il osa se rendre à cette injonction, accompagné d'une escorte si nombreuse et si arrogante que la ville entière se souleva contre lui, sans lui laisser d'autre moyen que la fuite pour mettre sa vie en sûreté.

      La réaction contre les Médicis fut terrible, mais la situation extérieure n'en restait pas moins troublée et on était dans l'ignorance la plus grande sur l'entrée de Charles VIII et sur le traité de paix qu'il imposerait. En dépit de tant de sujets d'inquiétude, le bonheur d'avoir échappé aux Médicis était tel que, malgré tout, les Florentins ne pouvaient s'empêcher de manifester leur joie d'avoir reconquis la liberté. Aussi l'entrée de Charles VIII à Florence eut-elle lieu avec une pompe indescriptible. Mais, ce premier moment d'exaltation passé, les Florentins et les Français se regardèrent avec une défiance toujours croissante et Charles, accusé de connivence avec les Médicis, fut forcé d'en rabattre sur les conditions draconiennes qu'il avait primitivement imposées et de se contenter du titre de protecteur de Florence. Les Français enfin partis, le peuple s'abandonna aux transports d'un enthousiasme aussi immodéré qu'il était injustifié, car, les Médicis chassés, il n'en restait pas moins que des ruines, sans que les citoyens possédassent ni la volonté, ni les vertus nécessaires pour relever l'édifice des libertés florentines dont la main de l'absolutisme avait sapé les bases, détruit les œuvres vives et ruiné l'équilibre. Florence se vit alors dans la triste nécessité de faire un retour sur elle-même et de constater combien cinquante années de régime absolu avaient anéanti les institutions et avili les caractères. Pour faire une réforme dans le gouvernement, l'union des intérêts et des idées eût été essentielle; trois factions, au contraire, se trouvaient en présence et se disputaient le pouvoir. Il y avait le parti populaire avec Savonarole pour chef, qui comptait des hommes considérables et de la plus haute intégrité morale, comme Valori et Soderini. En face de lui se dressait la faction oligarchique qui ne voulait après tout que l'autocratie déguisée sous une autre forme; entre les deux partis extrêmes, se groupaient les neutres, «la plaine ou les tièdes», ainsi que les baptisait Savonarole. sorte de gens qui ne pensaient qu'à leurs intérêts et ne cachaient pas leur effroi des théories du Frate. Il y avait encore les partisans nombreux des Médicis, qui, trouvant leur avantage direct à se rallier au parti populaire, venaient grossir et fortifier le groupe de Savonarole. Pendant les deux années suivantes, le moine ne cessa de grandir et son influence était devenue si prépondérante que la Seigneurie le chargea d'organiser un nouveau gouvernement. Libre dès lors de donner carrière à ses idées démocratiques, il établit son système sur la

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