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des Blancs et des Noirs, déchiraient et ensanglantaient la malheureuse ville. Mais Florence, en rétablissant l'ordre dans Pistoie décimée par la plus effroyable guerre intestine, prit elle-même le mal qu'elle venait guérir et bientôt les Blancs et les Noirs remplaçaient les Guelfes et les Gibelins et la livraient à toutes les horreurs des guerres civiles.

      Les Blancs, c'est-à-dire les Gibelins, étant au pouvoir, les manœuvres des exilés guelfes, conspirant sous la conduite du pape Boniface VIII et de leur chef Corso Donati, ouvraient Florence à Charles de Valois, troisième fils de Philippe le Hardi, décoré pour la circonstance des titres de vicaire général de l'Église et de défenseur de l'Italie.

      Le jour de la Toussaint 1301, Charles faisait son entrée triomphale dans la ville où son premier acte fut naturellement un parjure, car après avoir juré de respecter les biens et les propriétés, il ouvrait les portes à Corso Donati et aux Noirs triomphants, et livrait au massacre, au pillage et à la plus affreuse proscription ceux qui avaient eu foi en ses serments.

      C'est vers 1300, au milieu de luttes désolantes, qu'apparaît pour la première fois le nom de Dante Alighieri, membre de l'art des apothicaires et l'un des prieurs. Par ses ascendants, le Dante était guelfe, car un de ses ancêtres avait figuré avec honneur à la sanglante défaite de Montaperto, comme garde du corps du fameux «Caroccio», le palladium de Florence, et cet événement avait jeté les Alighieri dans l'exil.

      L'éducation de Dante fut des plus soignées: Brunetto Latini lui enseigna les lettres latines; adolescent, il étudia la philosophie à Florence; homme fait, la théologie à Paris. Il rentra ensuite dans sa patrie où l'attendait la guerre civile.

      Dante exerça les premières charges de la République, il fut nommé quatorze fois ambassadeur et mena à bien les négociations les plus difficiles; bien qu'il fut guelfe, le Pape n'eut pas à Florence de plus acharné adversaire contre ses demandes d'hommes et d'argent. Son opposition alla même si loin que Boniface VIII, irrité, frappa Florence d'interdit.

      Par un de ces retours trop communs dans l'histoire des gouvernements populaires, Dante, alors en ambassade à Rome, fut accusé de concussion et condamné à une amende considérable, faute du paiement de laquelle «seraient prononcées la dévastation et la confiscation de ses biens, jointes à l'exil éternel». Comme Dante ne voulut pas reconnaître le crime dont on l'accusait injustement, il abandonna sa patrie, sa fortune, ses amis, ses emplois; et ses biens furent vendus au profit de l'État, tandis qu'on passait la charrue et qu'on semait le sel sur le terrain où s'était élevée sa maison. Comme si ces mesures iniques ne suffisaient pas encore, on le condamna à mort par contumace et on le brûla en effigie à la place même où, deux siècles plus tard, on devait brûler Savonarole!

      Guelfe de naissance, devenu gibelin par haine, Dante allait errer dix-neuf ans loin de sa patrie. Le dédain et la soif de la vengeance firent de lui le poète sublime de la Divine Comédie, celui qui, nouvel Homère, devait peupler l'enfer de ses haines et le paradis de ses amours.

      Il avait écrit l'Enfer à Vérone, il composa le Purgatoire à Gagagnano et acheva l'œuvre au château de Tolmino dans le Frioul. Il se rendit ensuite à Ravenne où il devait mourir, et c'est dans cette ville qu'il publia son poème tout entier, dont l'Italie fut révolutionnée à tel point qu'on se demanda si c'était un vivant qui avait été capable de raconter de pareilles choses.

      C'est de cette année 1302 qui voyait Charles de Valois et les Noirs maîtres de Florence, que date l'exil de l'homme destiné à flageller si impitoyablement une patrie injuste et ingrate. Dans un intérêt mal entendu, Dante en était venu à souhaiter l'Empereur maître du monde et de l'Italie. Il maintenait dans son système la suprématie spirituelle du Pape et faisait de l'Empereur l'ouaille du Pape, et de la Papauté la vassale de l'Empire, théorie inapplicable et toute scolastique qu'il expose et qu'il développe dans son livre de la Monarchie.

      Les années 1328 et 1329 furent des plus désastreuses pour Florence. Les mauvaises récoltes, la disette, les banqueroutes, jointes au fléau des invasions et aux difficultés intérieures de tout ordre, la mettaient dans la situation la plus critique. De 1340 à 1346, elle fut en proie aux mêmes calamités. Gênes et Pise ayant accaparé les blés, la Seigneurie dut acheter au poids de l'or les grains nécessaires à la subsistance de la ville.

      Dans l'année 1347, Florence eut à pourvoir aux besoins de plus de cent mille personnes, mais l'insuffisance et la mauvaise qualité du pain augmentèrent la mortalité dans une telle proportion qu'on en vint à ne plus sonner les cloches et à ne plus annoncer les décès. Pour comble de maux, la peste se mit de la partie et les corps épuisés par la famine n'étaient que trop prédisposés à la contagion. Du reste, au printemps de 1348, l'épidémie gagna toute l'Europe, et quelques cités alpestres de la Suisse, du Milanais ou du Tyrol échappèrent seules au fléau.

      Les malades, à peine atteints, étaient couverts de bubons charbonneux accompagnés d'hémorragies, et bientôt personne ne voulut plus les soigner. Au premier symptôme du mal, la maison était abandonnée et il ne restait au malade d'autre ressource que de mourir dans l'isolement, bien heureux encore si, avant de le quitter, on laissait à sa portée de quoi calmer la soif qui le dévorait ou, en cas de mieux, de quoi ne pas mourir de faim. Quand la mort survenait, ce n'était parfois qu'au bout de plusieurs jours que l'on s'en apercevait et que l'on venait enlever un cadavre souvent en pleine décomposition, ce qui ne contribuait pas médiocrement à entretenir l'épidémie. Des fortunes colossales furent acquises alors; les drapiers qui avaient en magasin des stocks de drap noir, s'enrichirent subitement; tout ce qui touchait à la mort se payait au poids de l'or.

      Aux cimetières, on creusait de grandes fosses où les cadavres étaient couchés par centaines et où, selon l'expression tragico-macabre de Villani, «on jetait sur chaque rangée de corps une légère pelletée de terre, comme on saupoudre de fromage les vermicelles».

      Dans les campagnes, la peste était encore plus redoutable que dans les villes. Boccace, dans un récit plein d'horreur, montre les paysans mourant dans leurs maisons ouvertes ou sur les chemins, et leurs cadavres empestant l'air, car personne ne se souciait de les ensevelir, tandis que le bétail, errant sans berger, rentrait de lui-même aux étables, ou bien gagnait la contagion en rôdant autour du maître mort. A la longue, on reconnut que le plus sage était encore d'éviter les exagérations, et les moribonds purent retrouver quelques soins.

      Même en 1352, la peste n'avait pas disparu complètement de l'Europe, et dix ans plus tard, on ne s'était pas encore remis des perturbations sociales qui en étaient résultées. La fortune publique se trouvait entièrement déplacée; on voyait dans l'opulence médecins, apothicaires, garde-malades, marchands d'herbes médicinales, de volailles et de pâtisseries, tandis que beaucoup d'anciennes familles, ruinées par la cherté des denrées, se trouvaient presque dans la misère. Ce qu'il y eut de plus singulier au milieu de ces calamités publiques, ce fut la poursuite effrénée des plaisirs, ce fut la folle gaieté à laquelle on se livrait pour échapper, semblait-il, au spectre menaçant de la mort. Au moment où la peste noire faisait à Florence ses plus effroyables ravages, les citoyens tremblants, désespérés, cherchaient à s'étourdir dans de folles orgies, et Boccace, après en avoir tracé le lugubre tableau, commence les charmants récits de son Décaméron. C'est un étrange contraste, quand on est encore sous l'impression de la terreur laissée par le début, de voir ces jeunes cavaliers et ces jeunes femmes, assis sur de verts gazons, se livrer à de joyeux devis, sans jeter en arrière aucun regard de compassion vers la ville qu'ils ont fuie et dont on entend les gémissements dans le lointain. Le présent est tout pour eux, et, dans la jouissance du moment, ils veulent oublier que, le lendemain peut-être, ils seront atteints â leur tour.

      Parmi tant d'épreuves, les dispositions des partis, les sentiments de la bourgeoisie et du peuple avaient bien changé. Deux classes se partageaient alors la République: «le peuple gras», où se recrutait l'aristocratie nouvelle sortie des banques et des comptoirs, et le «menu peuple», composé des artisans, des ouvriers, des manœuvres de toute espèce, et animé contre le «popolo grasso» de toute la haine de gens lésés dans leurs intérêts. Bientôt la question des salaires vint encore compliquer la situation,

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