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elle en est l'âme. Cette contrée peu étendue mais privilégiée, comme autrefois la Grèce, par la beauté des sites, la fertilité du sol, la sérénité du climat, semble, comme elle, avoir réuni à un degré unique toutes les conditions propices au développement de l'esprit humain.

      La première fois que, dans les temps antiques, un peuple digne de mémoire se rencontre en Italie, c'est en Toscane. Les Étrusques, venus des plateaux de l'Asie centrale, comme tous les immigrants par lesquels fut colonisée l'Europe, y apportaient les bienfaits de toutes les civilisations rencontrées par eux dans leurs étapes successives, soit en Asie Mineure, soit en Grèce ou en Sicile. C'est dans ce fait que réside assurément l'explication toute naturelle de la culture politique, de la culture artistique, si prématurément développées chez le peuple toscan.

      Entre l'Etrusque et le Toscan existent les mêmes affinités qu'entre le Gaulois et le Français, c'est-à-dire que l'influence de la souche primitive est si persistante, si profondément enracinée qu'on la retrouve encore par delà les siècles. En effet, la forme massive, pélasgique, pour ainsi dire, des murs imposants de Cortone ou de Volterra ne se reconnaît-elle pas dans les lourdes constructions florentines, et leur bossage même ne rappelle-t-il pas l'appareil étrusque, attestant la perpétuité d'une forte et puissante race sur le sol toscan?

      La domination romaine amena une nouvelle colonisation de l'Étrurie et couvrit le pays de villes importantes égales aux anciennes cités, déjà en pleine prospérité.

      Ce ne fut pourtant que lorsque Antoine et Octave fondèrent leurs colonies militaires en 50 avant J.-C. que l'une d'elles, s'étant fixée dans la partie du pays réputée la plus fertile, et émerveillée de la richesse de sa nouvelle patrie, appela la ville qu'elle bâtit Florentia, c'est-à-dire la ville des Fleurs.

      Jusque vers le IVe siècle il n'est guère fait mention de la colonie que l'on retrouve à cette époque jouissant de franchises et de droits étendus, en lutte ouverte contre le christianisme, auquel il faudra plus d'un demi-siècle pour devenir la religion définitive du pays.

      Ainsi, dès lors, la destinée semble avoir voué Florence à une suite perpétuelle d'agitations et d'inquiétudes et son histoire tout entière, telle qu'à sa première page, n'offrira qu'une longue succession de luttes et de combats.

      Envahie au Ve siècle par Radagaise, assiégée par Alaric, prise et reprise par Totila et Narsès, il n'en reste plus pierre sur pierre. Relevée de ses ruines par Charlemagne et constituée fief de margraves, elle jouit pendant un siècle et demi d'une tranquillité et d'une paix heureuses; mais à ce calme devait succéder la tempête sous des tyrans cupides et violents. Ce fut alors que toutes les espérances se tournèrent vers le nord, et que l'Empire fut appelé pour la première fois à secourir l'Italie (962). Avec Othon le Grand, les Allemands s'installèrent sans scrupule, comme en pays conquis, chez ceux qui les avaient appelés, et bientôt les évêques et même le Pape ne furent plus que les premiers fonctionnaires de l'Empire.

      Pourtant la Toscane, au IXe siècle, retrouva sous de nouveaux margraves une vie propre; elle étendit alors sa domination autour d'elle, à telle enseigne que le Pape arriva à la considérer comme un rempart contre les ambitions démesurées de l'Empire, tandis que l'Empereur y voyait un avant-poste. Le pays n'avait qu'à gagner à ce jeu de bascule, où chacun lui faisait des avances et lui accordait de véritables avantages pour tacher de le gagner sa cause. Malheureusement pour lui, en 1069, la comtesse Mathilde prenait les rênes du gouvernement et le pape Alexandre II obtenait d'elle l'acte fameux appelé la Renonciation de la comtesse Mathilde, par lequel elle se déclarait simple dépositaire de sa puissance et résolue à n'en user que pour le bien de l'Église; c'était la guerre entre la Papauté et l'Empire, c'était le brandon des luttes terribles qui allaient ensanglanter la Toscane pendant tant d'années, car ce que Mathilde donnait à l'Église, les lois de l'Empire ne lui permettaient pas d'en disposer.

      Aussi Henri IV, malgré Canossa, envahit-il aussi la Toscane. Sienne, Pise, Lucques, se décidèrent en sa faveur; Arezzo et Pistoie se donnèrent à lui et leurs évêques, bien qu'excommuniés, continuèrent à officier (1081). En récompense de leur fidélité Henri IV octroya aux villes d'amples franchises et confirma la fondation des libertés urbaines, tandis que Florence supportait le poids de son attachement au Pape et à la comtesse Mathilde et qu'assiégée, elle ne devait son salut qu'au départ précipité de l'Empereur pour l'Allemagne. Les quatre années qu'il y resta permirent à Mathilde de jeter les bases d'un gouvernement et d'embellir la ville en y édifiant de nombreux monuments, Florence entreprenait alors de petites guerres contre ses voisins et concluait avec eux des alliances où perçait pour la première fois son esprit actif et pratique.

      La mort de Mathilde ouvrit sa difficile succession et ses biens furent disputés âprement par Henri V, le successeur d'Henri IV, et par le pape Pascal II, appuyés, l'un sur les droits du fief, l'autre sur ceux de la donation. Comme tous les deux sollicitaient également l'appui des villes, ils durent, dans le but de se les acquérir, accorder privilèges sur privilèges, créant ainsi leur indépendance, car elles n'avaient garde de se donner et demeuraient platoniquement pour l'Empereur ou pour le Pape.

      Après, des rivalités et des luttes sanglantes entre Sienne, Pise et Florence, l'avènement de Frédéric Barberousse, en 1154, vint rallier tous les intérêts devant le danger commun de l'invasion par l'Empereur d'un pays qu'il considérait comme traître et rebelle. Aussi, à sa mort, les cités s'engagèrent-elles à ne plus accepter d'autre souveraineté que celle du Pape.

      Dès cette époque, la petite ville des «Mark-grafs» et de la comtesse Mathilde était devenue un État puissant avec une organisation intérieure déjà compliquée.

      Les corps des métiers constituaient de puissantes corporations divisées elles-mêmes en métiers nobles et en métiers vils. Les premiers, seuls, au nombre de sept, comptaient pour l'administration ou le gouvernement de la cité.

      D'abord venait l'ancienne et puissante corporation des marchands de laine, fabricants de draps grossiers, de lainages ordinaires, à côté de laquelle s'était formé au XIIIe siècle «l'arte de Calimara», commerçants en draps étrangers, auxquels ils donnaient le fini florentin. Venaient ensuite l'art de la soie, destiné plus tard à un grand développement, et enfin, en toute première ligne, les manieurs d'argent, banquiers, changeurs ou usuriers, qu'on appelait «les maîtres de la Zecca», qui allaient devenir les plus grands bailleurs de fonds du monde entier. Les banquiers florentins étaient les préteurs des souverains et des Papes, par lesquels ils étaient même chargés de percevoir les revenus de l'Eglise en tous lieux. A côté d'eux, la multiplicité et la diversité des monnaies faisaient des changeurs une véritable puissance encore doublée par la prérogative de battre monnaie pour le gouvernement florentin. Les trois autres corporations étaient celles des médecins et apothicaires, des peaussiers et fourreurs, des hommes de loi, juges et notaires. Les chefs des «métiers nobles» firent la police et presque la loi jusqu'au jour où, sans institution nouvelle, par la force des choses, ils devinrent les magistrats communaux et formèrent le premier gouvernement florentin. Ils s'appelèrent successivement recteurs, prieurs et plus tard «capitani» quand ils ne furent plus, sous l'autocratie, que les simples délégués des quartiers qu'ils représentaient. A côté de l'aristocratie marchande, il fallait ménager une place aux nobles, les uns immigrés allemands fixés à Florence, les autres seigneurs féodaux, incommodes voisins qu'on avait fait descendre de leurs châteaux et qui haïssaient et méprisaient également les marchands.

      Ces familles dont les chefs, appelés «Capitani», n'étaient pas justiciables des tribunaux consulaires, se consacraient uniquement à la carrière des armes et en tiraient souvent une gloire dont le prestige amenait une population bourgeoise à choisir des consuls dans leurs rangs. Par suite de cette immixtion dans les affaires de l'État, les nobles prirent une arrogance redoutable et les querelles qui ne cessaient de s'élever entre eux devinrent si terribles, que, pour se mettre en sûreté, ils en arrivèrent à munir leurs palais de tours démesurées et à les transformer en citadelles inexpugnables, quelquefois assez rapprochées pour qu'on pût se frapper de l'une à l'autre. Cet état de guerre n'existait pas seulement de nobles à nobles, et de nobles à marchands, mais ces derniers eux-mêmes

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