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sans bas, beaucoup même sans souliers; mais si leurs pieds sont pauvrement couverts, il leur reste la superbe consolation de les poser sur une chaussée grandiose; la nouvelle voie a cinquante pieds de large, plus cinquante autres déblayés pour lui faire place.

      Les vendanges peuvent à peine égaler l'animation et le mouvement universel du dépiquage que présentent les villes et les villages du Languedoc. Les gerbes sont empilées grossièrement autour d'une aire où un grand nombre de mules et de chevaux trottent en cercle; une femme tient les rênes, une autre ou bien une ou deux petites filles activent la marche avec des fouets; les hommes alimentent l'aire et la nettoient; d'autres vannent en jetant le grain en l'air pour que les déchets soient emportés. Personne ne reste inoccupé et chacun s'emploie de si bon coeur qu'on dirait les gens aussi joyeux de leurs travaux, que le maître de ses tas de blé. Le tableau est singulièrement animé et joyeux. Je m'arrêtais souvent et je descendais de cheval pour examiner ces travaux; toujours on me traita courtoisement, et mes voeux pour que les prix fussent bons pour le fermier sans l'être trop pour le pauvre, furent toujours bien reçus. Cette méthode avec laquelle on se passe de granges, dépend absolument du climat: depuis mon départ de Bagnères-de-Luchon jusqu'ici, en Catalogne, en Roussillon, en Languedoc, je n'ai pas vu de pluie, mais un ciel toujours clair et un soleil brûlant; la chaleur n'était nullement étouffante et, pour moi, nullement désagréable. Je demandai si l'on n'était pas quelquefois surpris par la pluie; c'est bien rare, me dit-on, et alors, après une violente averse, vient un soleil ardent qui a bientôt fait de tout sécher.

      Le canal de Languedoc est la chose la plus remarquable de cette province. La montagne qu'il traverse de part en part est isolée au milieu d'une grande vallée et à un demi-mille seulement de la route. C'est une oeuvre grandiose et merveilleuse, d'environ trois toises de largeur et creusée sans le secours de puits d'aérage. Quitté le chemin et traversé le canal que je suis jusqu'à Béziers; neuf écluses font descendre l'eau de la montagne pour l'amener à la ville. Superbe ouvrage! Le port est assez large pour porter quatre grandes barques de front, la plus grande jaugeant de 90 à 100 tonnes. Beaucoup étaient amarrées au quai, d'autres en mouvement, signes d'affaires très actives. Voici la plus belle chose que j'aie vue en France. Ici, Louis XIV, tu es vraiment grand! — Ici, d'une main généreuse et bienfaisante, tu dispenses à ton peuple le bien-être et la richesse! — Si sic omnia, ton nom eût été, à juste titre, couvert de vénération. Pour cette réunion des deux mers, moins d'argent fut dépensé que pour assiéger Turin ou se saisir de Strasbourg comme un voleur. Un tel emploi des revenus d'un grand royaume est la seule manière louable dans un monarque de conquérir l'immortalité; les autres ne font revivre leur nom qu'au milieu de ceux des incendiaires, des brigands, des fléaux de l'humanité. Le canal traverse la rivière pendant environ une demi-lieue, séparé d'elle par des murs qui sont couverts en temps d'inondation; il prend ensuite la direction de Sète. Dîné à Béziers. Sachant que M. l'abbé Rozier, le célèbre éditeur du Journal Physique, actuellement en train de publier un dictionnaire d'agriculture, très renommé en France, faisait valoir une ferme près de Béziers, je demandai à l'hôtel le chemin de sa maison. On me dit qu'il avait quitté Béziers depuis deux ans, mais que de la rue on pouvait voir sa maison; on me la montra d'une espèce d'esplanade qui donnait d'un côté sur la campagne ajoutant qu'elle appartenait à un M. de Rieuse qui avait acheté la terre de l'abbé. Il me semblait, en visitant la ferme d'un homme célèbre par ses écrits, que je me mettais en état de mieux saisir, à la lecture de son livre, ses allusions au sol, à l'exposition et aux autres circonstances.

      Je fus fâché d'entendre, à table d'hôte, jeter du ridicule sur l'agriculture de l'abbé Rozier, en prétendant qu'il avait beaucoup de fantaisie, mais rien de solide; on se moquait surtout de son idée de paver une vigne. Je fus enchanté d'avoir connaissance d'une telle expérience, qui me parut trop remarquable pour ne pas la voir. Il arrive ici à l'abbé, comme fermier, ce qui arrivera sûrement à tout homme qui se départ des errements de ses voisins; car il n'est pas dans la nature des paysans d'admettre parmi eux quelqu'un qui pense pour eux. Je m'enquis de la raison qui lui avait fait quitter le pays, et on me répondit par une curieuse anecdote. L'évêque de Béziers voulait, avec l'argent de la province, ouvrir une route qui menât à la porte de sa maîtresse; comme cette route passait sur les domaines de l'abbé, il s'ensuivit une telle querelle que M. Rozier se vit forcé de quitter la place. Voici un joli trait de gouvernement: un homme forcé de vendre son bien et de s'éloigner du pays par des galanteries d'évêques, avec les femmes des voisins, je suppose, car il n'y en a pas d'autres à la mode en France… Laquelle de mes voisines pousserait l'évêque de Norwich à ouvrir une route sur ma ferme et à me forcer de vendre Bradfield? Je donne mon autorité pour cette anecdote: des bavardages de table d'hôte, ayant autant de chances d'être faux que de se trouver véridiques; mais, après tout, les évêques du Languedoc ne sont certainement pas des prélats anglais. — M. de Rieuse me reçut poliment et satisfit à mes réponses comme il put, car il ne savait guère des systèmes de l'abbé que ce qu'en rapportait la voix publique et ce qu'en montrait la ferme elle-même.

      Quant aux vignes pavées, il n'y avait rien de semblable: le conte doit provenir d'un clos de ceps de Bourgogne que l'abbé fit planter d'une façon nouvelle, les plaçant en arc dans un trou qu'il recouvrit seulement de pierres à fusil au lieu de terre, ce qui réunit très bien. Je parcourus la ferme, admirablement située sur le penchant et le sommet d'une hauteur qui domine Béziers, sa riche vallée, ses cours d'eau et un bel horizon de montagnes.

      Béziers a une belle promenade; les Anglais commencent à préférer cette ville à Montpellier à cause de l'air. Pris le chemin de Pézenas. Il gravit une colline d'où l'on découvre la Méditerranée.

      Dans tout ce pays, surtout dans les bois d'oliviers, la cigale fait retentir son cri constant, aigu, monotone; on ne saurait imaginer de compagnie plus odieuse, Pézenas domine un très beau pays, une vallée de six à huit lieues toute cultivée; mélange de vignes, de mûriers, d'oliviers, de villas et de fermes éparses, beaucoup de belles luzernes, le tout encadré de collines cultivées jusqu'au sommet. Au souper, à table d'hôte, nous fûmes servis par une fille sans bas ni souliers, d'une laideur repoussante, et sentant plus fort, mais non pas mieux que roses. Il y avait cependant un chevalier de Saint-Louis et deux ou trois marchands, à en juger par les apparences, bavardant avec elle très familièrement: à un repas de fermiers, dans le marché le plus pauvre et le plus écarté de l'Angleterre, un tel animal ne serait souffert ni par le maître dans sa maison, ni par les hôtes dans leur salle à manger. — 32 milles.

      Le 25. — Magnifique viaduc accompagnant un pont long de plus d'un mille, large de dix yards, haut de huit à douze pieds; de six en six yards de chaque côté s'élèvent des colonnes en pierres; c'est un ouvrage prodigieux. Je ne sais rien d'aussi remarquable pour le voyageur que les routes du Languedoc: nous n'avons pas en Angleterre l'idée de tels efforts; c'est superbe, splendide. Si je pouvais aussi bien chasser de mon esprit le souvenir des taxes injustes qui les soutiennent, j'admirerais sans cesse la magnificence déployée par les États de cette province. Cependant la police est très mauvaise, car je rencontre à peine un charretier qui ne soit pas endormi.

      Suivi la route de Montpellier, à travers une délicieuse campagne, sur une autre immense chaussée soutenue par des murs; elle est large de dix yards et haute de huit à douze pieds, longeant le bord de la mer. Passé à Pijan et près Frontignan et Montbazin, dont les vins sont si célèbres. Les environs de Montpellier, dans un rayon d'une lieue, sont charmants et bien plus coquets que tout ce que j'ai vu en France. Des villas bien bâties, propres, aisées, paraissant être la propriété de personnes riches, sont répandues à profusion dans toute la campagne. Ce sont, en général, de jolis bâtiments carrés, dont quelques-uns sont très spacieux. Montpellier, qui semble plutôt une capitale qu'une ville de province, couvre une colline s'élevant avec hardiesse. L'entrée vous réserve une désillusion par ses rues étroites, mal bâties, tortueuses, mais très peuplées et pleines de l'animation des affaires; il n'y a cependant pas de manufactures considérables; les principales sont celles de vert-de-gris, de foulards, de couvertures, de parfums et de liqueurs.

      La grande curiosité pour l'étranger, c'est une promenade ou une place (car on y trouve les caractères de l'un et de l'autre) qu'on appelle le Pérou (Peyrou). Un magnifique aqueduc,

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