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chaumières, fort bien bâties en pierre et couvertes en tuiles ou ardoises, cependant sans vitres aux fenêtres: y a-t-il apparence qu'un pays soit florissant quand la préoccupation principale est d'éviter la consommation des objets manufacturés? Un autre signe de misère que je remarque, pendant tout le chemin, depuis Calais jusqu'ici, ce sont ces femmes qui vont ramasser dans leur tablier de l'herbe pour leurs vaches. — 30 milles.

      Le 11. — Vu pour la première fois les Pyrénées, à la distance de 150 milles. — Pour moi qui n'avais aperçu de montagnes qu'à 60 ou 70 milles au plus, j'entends celles de Wicklow, au sortir d'Holyhead, le coup d'oeil était intéressant. L'oeil, en quête de nouveaux objets, finissait toujours par se reposer là. Leur grandeur, leurs cimes neigeuses, les deux royaumes qu'elles partagent, le but de notre voyage que nous savions y trouver, rendent bon compte de cet effet. Vers Cahors, le pays change et prend un aspect sauvage; cependant partout on voit des maisons, et un tiers des terres est en vignes.

      Ville laide; les rues ne sont ni larges ni droites; la nouvelle route est une amélioration. Le principal objet du commerce d'ici sont les vins et les eaux-de-vie. Le vrai vin de Cahors, dont la réputation est grande, provient d'une suite d'enclos très rocailleux, situés sur une chaîne de collines en plein sud; on l'appelle vin de Grave, parce qu'il vient sur un sol de gravier. Dans les années d'abondance, le prix du bon vin ici ne dépasse pas le prix du fût; l'année dernière, il se vendait 10/6 la barrique, ou 8 d. la douzaine. On nous en servit, aux Trois-Rois, de trois à dix ans; ce dernier à raison de 30 sous (2/3) la barrique; excellent, généreux, montant, sans être capiteux, et, à mon goût, bien meilleur que nos Porto. Il me plut tellement que j'établis une correspondance avec M. Andoury, l'aubergiste.[2] La chaleur de ce pays suffit à la production de ce vin très fort. Voici le jour le plus brûlant que nous ayons encore eu.

      Après Cahors la montagne s'élève si brusquement qu'on la croirait près de culbuter dans la ville. Les feuilles de noyers ont été noircies par les gelées d'il y a quinze jours. En questionnant, j'ai appris que les mois de printemps sont sujets à ces gelées, et, quoique les seigles en soient quelquefois brûlés, on connaît à peine la rouille du froment; preuve décisive contre la théorie qui fait des gelées la cause de ce fléau. Il est rare qu'il tombe de la neige. Couché à Ventillac. — 22 milles.

      Le 12. — Par leur forme et leur couleur, les maisons des paysans ajoutent à la beauté de la campagne: elles sont carrées, blanches, ont des toits presque plats, et peu de fenêtres. Les paysans sont pour la plupart propriétaires. Le tableau immense des Pyrénées se déploie devant nous dans des proportions d'étendue et de hauteur vraiment sublimes: près de Perges, la vue d'une riche vallée, qui semble s'étendre jusqu'au pied des montagnes, est une scène splendide; on ne voit qu'une vaste nappe de culture, parsemée de ces maisons blanches si bien bâties; l'oeil se perd dans une vapeur qui s'arrête au pied de la magnifique chaîne, dont les sommets, couverts de neige, se découpent de la façon la plus hardie. Le chemin de Caussade est bordé de six rangées d'arbres, dont deux de mûriers, les premiers que j'aie vus. Ainsi nous avons donc presque atteint les Pyrénées avant de rencontrer une culture que quelques-uns voudraient introduire en Angleterre! Le fond de la vallée est tout à fait plat; la route est bien construite, et faite principalement de gravier. Montauban est une ville ancienne mais non pas mal bâtie. Il y a de belles maisons, bien qu'elles ne forment pas de belles rues. On la dit populeuse; le mouvement qui y règne en est la preuve. La cathédrale est moderne, d'une assez bonne construction, mais lourde. Le collège, le séminaire, l'évêché et le palais du premier président de la Cour des Aides sont de beaux édifices; ce dernier est grand, avec une entrée trop fastueuse. Promenade bien située, sur le plus haut des remparts, embrassant cette admirable vallée, ou plutôt cette plaine, une des plus riches de l'Europe, bornée d'un côté par la mer, de l'autre par les Pyrénées, dont les masses sublimes, amoncelées les unes sur les autres et couvertes de neige, déploient une étonnante variété d'ombres et de lumières, naissant de leurs formes abruptes et de l'immensité de leurs proportions. Cet amphithéâtre, de cent milles de diamètre, a la majesté de l'Océan, l'oeil s'y perd: horizon presque infini de cultures; ensemble animé et confus de parties infiniment variées, se fondant par degrés dans la lointaine obscurité, d'où sort l'imposant chaos des Pyrénées, dont les cimes argentées s'élèvent par delà les nuages. J'ai rencontré à Montauban le capitaine Plampin, de la marine royale; il était avec le major Crew, qui vit avec sa famille dans une maison qu'il a achetée ici. Il nous en fit courtoisement les honneurs; elle est délicieusement placée, à la sortie de la ville, devant un très beau paysage; leur obligeance m'éclaira sur certains points, dont leur résidence ici les faisait bons juges. La vie est à bon marché; on nous nomma une famille, dont on supposait le revenu de 1 500 louis par an, et qui vivait sur le pied de 5 000 l. st. en Angleterre. La cherté et le bon marché relatifs des différents pays est un sujet de considérable importance, mais d'une analyse difficile. Comme, à mon avis, les Anglais sont beaucoup plus avancés que les Français dans les arts usuels et les manufactures, l'Angleterre doit être le pays où il fait le moins cher vivre. Ce que nous observons ici, c'est l'habitude de moins dépenser; chose, très différente. — 30 milles.

      Le 13. — Traversé Grisolles: les chaumières sont, les unes bien bâties, mais sans vitres aux fenêtres, les autres sans autre ouverture que la porte. Dîné à Pompinion (Pompignan), au Grand- Soleil, auberge excellente, où le capitaine Plampin, qui nous avait accompagnés, prit congé de nous. Violent orage; j'avais trouvé cette pluie plus forte que ce que je connaissais en Angleterre; mais en nous remettant en route pour Toulouse, je fus immédiatement convaincu qu'il n'en était pas tombé de semblable dans le royaume car la désolation répandue sur la scène, qui nous souriait dans son abondance peu d'heures auparavant, faisant mal à voir.

      Partout la détresse; les belles moissons de blé sont tellement couchées, que je doute qu'elles se relèvent jamais, d'autres champs sont si inondés, qu'on ne sait, en les regardant, si l'eau ne les a pas toujours occupés. Les fossés, rapidement comblés par la boue, avaient débordé sur la route et porté du sable et du limon au travers des récoltes.

      Traversé les plus beaux champs de blé que l'on puise voir nulle part. L'orage a donc été heureusement partiel. Passé à Saint- Jorry; route superbe, sans surpasser celles du Limousin. Jusqu'aux portes de Toulouse, c'est le désert; on ne rencontre pas plus de monde que si l'on était à cent milles de toute cité. — 31 milles.

      Le 14. — Visité la ville, qui est très ancienne et très grande, mais non peuplée à proportion; les édifices sont de briques et de bois, et, par suite, de triste apparence. Toulouse s'est toujours enorgueilli de son goût pour les beaux-arts et la littérature. Son université date de 1215, et ses prétentions font remonter la fameuse Académie des Jeux floraux jusqu'à 1323; elle possède aussi une Académie royale des sciences, et une autre de peinture, sculpture et architecture. L'église des Cordeliers a des caveaux, dans lesquels nous descendîmes, et qui ont la propriété de préserver les cadavres de la corruption; on en montre que l'on dit avoir cinq cents ans.

      Si j'avais un caveau bien éclairé, qui conservât l'air et la physionomie, aussi bien que la chair et les os, j'aimerais à y voir tous mes ancêtres, et ce désir serait, je le suppose, proportionné, à leur mérite et à leur renommée; mais la tombe ordinaire, avec sa voracité, est préférable à celle-ci qui conserve des difformités cadavéreuses et perpétue la mort. Toulouse n'est pas sans objet plus intéressants que des églises et des académies: il y a le nouveau quai, les moulins à blé et le canal de Brienne. Le quai est très long, bel ouvrage sous tous les rapports; les maisons qu'on doit bâtir seront régulières comme celles qui existent déjà, d'un style massif et sans élégance. Le canal de Brienne, ainsi appelé du nom de l'archevêque de Toulouse, depuis premier ministre et cardinal, a été destiné à joindre à Toulouse la Garonne et le canal de Languedoc, qui se réunissent à deux milles de cette ville. La nécessité de cette jonction vient de ce que la navigation est impossible dans la ville, à cause des barrages établis pour les moulins à blé. Il communique au fleuve par une voûte qui passe sous le quai; une écluse le met de niveau avec le canal de Languedoc. Sa largeur permet à plusieurs barges de passer de front. Ces entreprises ont été bien conçues, et leur exécution est vraiment magnifique; mais la magnificence surpasse

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