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reçut ces hommages de façons diverses. Elle souriait aux uns, parlait aux autres, certaines personnes semblaient avoir l'honneur d'être plus dans son intimité. Elle répondait froidement à ceux-ci, tenait ceux-là à distance. Elle se montra respectueuse et bienveillante pour le brave Suffren. Le dîner du roi en public a plus de singularité que de magnificence. La reine s'assit devant un couvert, mais ne mangea rien, elle causait avec le duc d'Orléans et le duc de Liancourt qui se tenait derrière sa chaise. C'eût été pour moi un très mauvais repas, et si j'étais souverain, je balayerais les trois quarts de ces formalités absurdes. Si les rois ne dînent pas comme leurs sujets, ils perdent beaucoup des plaisirs de la vie; leur situation est assez faite pour leur en enlever la plus grande partie; le reste, ils le perdent par les cérémonies vides de sens auxquelles ils se soumettent. La seule façon confortable et amusante de dîner serait d'avoir une table de dix à douze couverts, entourée de gens qui leur plairaient; les voyageurs nous disent que telle était l'habitude du feu roi de Prusse.

      Il connaissait trop bien le prix de la vie pour la sacrifier à de vaines formes ou à une réserve monastique.

      Le palais de Versailles, dont les récits qu'on m'avait Ils avaient excité en moi la plus grande attente, n'est pas le moins du monde frappant. Je l'ai vu sans émotion; l'impression qu'il m'a laissée est nulle. Qu'y a-t-il qui puisse compenser le manque d'unité? De quelque point qu'on le voie, ce n'est qu'un assemblage de bâtiments, un beau quartier pour une ville, non pas un bel édifice, reproche qui s'étend à la façade donnant sur le parc, quoiqu'elle soit de beaucoup la plus remarquable. La grande galerie est la plus belle que je connaisse, les autres salles ne sont rien; on sait, du reste, que les statues et les peintures forment une magnifique collection. Tout le palais, hors la chapelle, semble ouvert à tout le monde; la foule incroyable, au travers de laquelle nous nous frayâmes un chemin pour voir la procession, était composée de toutes sortes de personnes, quelques-unes assez mal vêtues, d'où je conclus qu'on ne repoussait qui que ce soit aux portes. Mais à l'entrée de l'appartement où dînait le roi, les officiers firent des distinctions, et ne permirent pas à tous de s'introduire pêle- mêle.

      Les voyageurs, même de ces derniers temps, parlent beaucoup de l'intérêt remarquable que prennent les Français à ce qui concerne leurs rois, montrant par la vivacité de leur attention non seulement de la curiosité, mais de l'amour. Où, comment et chez qui l'ont-ils découvert? C'est ce que j'ignore. — Il doit y avoir de l'inexactitude, ou bien le peuple a changé, dans ce peu d'années, au delà de ce qu'on peut croire.

      Dîné à Paris; le soir, la duchesse de Liancourt, qui paraît être la meilleure des femmes, m'a mené à l'Opéra, à Saint-Cloud, où nous avons aussi visité le palais que la reine fait bâtir; il est grand, mais je trouve beaucoup à redire dans la façade. — 20 milles.

      Le 28. — Ma jument étant assez remise pour supporter le voyage, point essentiel pour un aussi pauvre écuyer que moi, j'ai quitté Paris avec le comte de Larochefoucauld et mon ami Lazowski, et me suis mis en chemin pour traverser tout le royaume jusqu'aux Pyrénées. La route d'Orléans est une des plus importantes de celles qui partent de Paris; j'espérais, en conséquence, que ma précédente impression du peu d'animation des environs de cette ville serait effacée; elle s'est au contraire confirmée: c'est un désert, comparé aux approches de Londres.

      Pendant dix milles nous n'avons pas rencontré une diligence; rien que deux messageries et des chaises de poste en petit nombre; pas la dixième partie de ce que nous aurions trouvé près de Londres à la même heure.

      Connaissant la grandeur, la richesse et l'importance de Paris, ce fait m'embarrasse beaucoup. S'il se confirmait plus tard, il y aurait abondance de conclusions à en tirer.

      Pendant quelques milles on voit de tous côtés des carrières, dont on extrait la pierre au moyen de grandes roues. La campagne est variée; il y faudrait une rivière pour la rendre plus agréable aux yeux. On a, en général, des bois en vue; la proportion du territoire français, couvert par cette production en l'absence de charbon de terre, doit être considérable, car elle est la même depuis Calais. À Arpajon, petit château du duc de Mouchy, rien ne le recommande à l'attention. — 20 milles.

      Le 29. — Contrée plate jusqu'à Étampes, le commencement du fameux Pays de Beauce. Jusqu'à Toury, chemin plat et ennuyeux, deux ou trois maisons de campagne en vue, seulement. — 31 milles.

      Le 30. — Plaine unie, sans clôtures, sans intérêt et même ennuyeuse, quoique l'on ait partout en vue des villages et de petites villes; on ne trouve pas réunis les éléments d'un paysage. Ce Pays de Beauce renferme, selon sa réputation, la fine fleur de l'agriculture française; sol excellent, mais partout des jachères. Passé à travers la forêt d'Orléans, propriété du duc de ce nom, c'est une des plus grandes de France.

      Du clocher de la cathédrale d'Orléans, la vue est fort belle. La ville est grande; ses faubourgs, dont chacun se compose d'une seule rue, s'étendent à près d'une lieue. Le vaste panorama qui se déroule de toutes parts est formé par une plaine sans bornes, à travers laquelle la magnifique Loire serpente majestueusement; c'est un horizon de quatorze lieues parsemé de riches prairies, de vignes, de jardins et de forêts. Le chiffre de la population doit être élevé; car, outre la cité, qui contient près de 40 000 habitants, le nombre de villes plus petites et de villages qui se pressent dans cette plaine est assez grand pour donner au paysage beaucoup d'animation. La cathédrale, d'où nous observions cette scène grandiose, est un bel édifice; le choeur en fut élevé par Henri IV. La nouvelle église est jolie, le pont de pierre superbe; c'est le premier essai en France de l'arche plate, qui y est maintenant en vogue. Il a neuf arches et mesure 410 yards de long sur 45 pieds de large. À entendre certains Anglais, on supposerait qu'il n'y a pas un beau pont dans toute la France; ce n'est, je l'espère, ni la première, ni la dernière erreur que ce voyage dissipera. On voit amarrés aux quais beaucoup de barges et de bateaux construits sur la rivière, dans le Bourbonnais, etc.; chargés de bois, d'eau-de-vie, de vin et d'autres marchandises, ils sont démembrés à leur arrivée à Nantes et vendus avec la cargaison. Le plus grand nombre est en sapin. Entre Nantes et Orléans, il y a un service de bateaux partant quand il se trouve six voyageurs à un louis d'or par tête; on couche à terre; le trajet dure quatre jours et demi. La rue principale conduisant au pont est très belle, pleine d'activité et de mouvement, car on fait ici beaucoup de commerce. On doit admirer les beaux acacias épars dans la ville. — 20 milles.

      Le 31. En la quittant, on entre dans la misérable province de Sologne, que les écrivains français appellent la triste Sologne. Les gelées de printemps ont été fortes partout dans le pays, car les feuilles de noyers sont noires et brûlées. Je ne me serais pas attendu à ce signe certain d'un mauvais climat de l'autre côté de la Loire; la Ferté-Lowendahl, plateau graveleux couvert de bruyères. Les pauvres gens qui cultivent ici sont métayers, c'est- à-dire que, n'ayant pas de capital, ils reçoivent du propriétaire le bétail et la semence, et partagent avec lui le produit; misérable système qui perpétue la pauvreté et empêche l'instruction.

      Rencontré un homme employé sur le chemin, qui est resté quatre ans prisonnier à Falmouth; il ne semble pas garder rancune aux Anglais, bien qu'il n'ait pas été satisfait de la façon dont on l'avait traité. Le château de la Ferté, appartenant au marquis de Coix, est très beau; on y trouve de nombreux canaux, de l'eau en abondance. À Nonant-le-Fuzellier, singulier mélange de sables et de flaques d'eau; clôtures nombreuses, maisons et chaumières en bois, à murs d'argile ou de briques, couvertes, non pas en ardoises, mais en tuiles, quelques-unes en bardeaux, comme dans le Suffolk; rangées de têtards dans les haies, excellente route, sol sableux. L'aspect général du pays est boisé; tout concourt à produire une ressemblance frappante avec plusieurs parties de l'Angleterre; mais la culture en est si différente, que la moindre attention suffit à détruire cette apparence. — 27 milles.

      Le 1er Juin. — Même pays malheureux jusqu'à la Loge; les champs trahissent une agriculture pitoyable, les maisons la misère. Cependant le sol serait susceptible de grandes améliorations, si l'on savait s'y prendre; mais c'est peut-être la propriété de quelques-uns de ces êtres brillants qui figuraient dans la cérémonie de l'autre jour à Versailles. Que Dieu m'accorde de la patience

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