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justifié, et ce me serait une assurance de penser que je me suis au moins montré impartial et que peut-être j'ai atteint la vérité.»

       Table des matières

      Il y a deux manières d'écrire les voyages: on peut ou enregistrer les faits qui les ont signalés, ou donner les résultats auxquels ils ont conduit. Dans le premier cas, on a un simple journal, et sous ce titre doivent être classés tous les livres de voyages écrits en forme de lettres. Les autres se présentent ordinairement comme essais sur différents sujets. On a un exemple de la première méthode dans presque tous les livres des voyageurs modernes. Les admirables essais de mon honorable ami, M. le professeur Symonds, sur l'agriculture italienne, sont un des plus parfaits modèles de la seconde.

      Il importe peu pour un homme de génie d'adopter l'une ou l'autre de ces méthodes, il rendra toute forme utile et tout enseignement intéressant. Mais pour des écrivains d'un moindre talent, il est d'une importance de peser les circonstances pour et contre chacun de ces modes.

      Le journal a cet avantage qu'il porte en soi un plus haut degré de vraisemblance, et acquiert, par conséquent, plus de valeur. Un voyageur qui enregistre ainsi ses observations, se trahit dès qu'il parle de choses qu'il n'a pas vues. Il lui est interdit de donner ses propres spéculations sur des fondements insuffisants: s'il voit peu de choses, il n'en peut rapporter que peu; s'il a de bonnes occasions de s'instruire, le lecteur est à même de s'en apercevoir, et ne donnera pas plus de créance à ses informations que les sources d'où elles sortent ne paraîtront devoir en mériter. S'il passe si rapidement à travers le pays qu'aucun jugement ne lui soit possible, le lecteur le sait; s'il reste longtemps dans des endroits de peu ou de point d'importance, on le voit, et on a la satisfaction d'avoir contre les erreurs soit volontaires, soit involontaires, autant de garanties que la nature des choses le permet, tous avantages inconnus à l'autre méthode.

      Mais, d'un autre côté, de grands inconvénients leur font contre- poids, parmi lesquels vient au premier rang la prolixité, que l'adoption du journal rend presque inévitable. On est obligé de revenir sur les mêmes sujets et les mêmes idées, et ce n'est certainement pas une faute légère d'employer une multitude de paroles à ce que peu de mots suffiraient à exprimer bien mieux. Une autre objection sérieuse, c'est que des sujets importants, au lieu d'être groupés de manière à ce qu'on puise en tirer des exemples ou des comparaisons, se trouvent donnés comme ils ont été observés, par échappées, sans ordre de temps ni de lieux, ce qui amoindrit l'effet de l'ouvrage et lui enlève beaucoup de son utilité.

      Les essais fondés sur les principaux faits observés, et donnant les résultats des voyages et non plus les voyages eux-mêmes, ont évidemment en leur faveur ce très grand avantage, que les sujets traités de la sorte sont réunis et mis en lumière autant que l'habileté de l'auteur le lui a permis; la matière se présente avec toute sa force et tout son effet. La brièveté est une autre qualité inappréciable, car tous détails inutiles étant mis de côté, le lecteur n'a plus devant lui que ce qui tend à l'éclaircissement du sujet: quant aux inconvénients, je n'ai nul besoin d'en parler, je les ai suffisamment indiqués en montrant les avantages du journal; il est clair que les avantages de l'une de ces formes seront en raison directe des inconvénients de l'autre.

      Après avoir pesé le pour et le contre, je pense qu'il ne m'est pas impossible, dans ma position particulière, de joindre le bénéfice de l'une et de l'autre.

      J'ai cru qu'ayant pour objet principal et prédominant l'agriculture, je pourrais répartir chacun des objets qu'elle embrasse en différents chapitres, conservant ainsi l'avantage de donner uniquement les résultats de mes voyages.

      En même temps je me propose, afin de procurer au lecteur la satisfaction que l'on peut trouver dans un journal, de donner sous cette forme les observations que j'ai faites sur l'aspect des pays parcourus et sur les moeurs, les coutumes, les amusements, les villes, les routes, les maisons de plaisance, etc., etc., qui peuvent, sans inconvénient, y trouver place. J'espère le contenter ainsi sur tous les points dont nous devons, en toute sincérité, lui donner connaissance pour les raisons que j'ai indiquées plus haut.

      C'est, d'après cette idée que j'ai revu mes notes et composé le travail que j'offre maintenant au public.

      Mais voyager sur le papier a aussi bien ses difficultés que gravir les rochers et traverser les fleuves. Quand j'eus tracé mon plan et commencé à travailler en conséquence, je rejetai sans merci une multitude de petites circonstances personnelles et de conversations jetées sur le papier pour l'amusement de ma famille et de mes amis intimes. Cela m'attira les remontrances d'une personne pour le jugement de laquelle je professe une grande déférence. À son avis, j'aurais absolument gâté mon journal par le retranchement des passages mêmes qui avaient le plus de chance de plaire à la grande masse des lecteurs. En un mot, je devais abandonner entièrement mon journal ou le publier tel qu'il avait été écrit: traiter le public en ami, lui laisser tout voir et m'en fier à sa bienveillance pour excuser ce qui lui semblerait futile. C'est ainsi que raisonnait cet ami: «Croyez-moi, Young, ces notes, écrites au moment de la première impression, ont plus chance de plaire que ce que vous produirez à présent de sang-froid, avec l'idée de la réputation en tête: la chose que vous retrancherez, quelle qu'elle soit, eût été intéressante, car vous serez guidé par l'importance du sujet; et soyez sûr que ce n'est pas tant cette considération qui charme, qu'une façon aisée et négligée de penser et d'écrire, plus naturelle à l'homme qui ne compose pas pour le public. Vous-même me fournissez une preuve de la rectitude de mon opinion. Votre voyage en Irlande (me disait-il trop obligeamment) est une des meilleures descriptions de pays que j'aie lues: il n'a pas eu cependant grand succès. Pourquoi? Parce que la majeure partie en est consacrée à un journal de fermier que personne ne voudra lire, quelque bon qu'il puisse être à consulter. Si donc vous publiez quelque chose, que ce soit de façon qu'on le lise, ou bien abandonnez cette méthode, et tenez- vous-en aux dissertations en règle. Souvenez-vous des voyages du docteur *** et de madame ***, dont il serait difficile de tirer une seule idée; ils ont été cependant reçus avec applaudissements; il n'est pas jusqu'aux sottes aventures de Baretti, parmi les muletiers espagnols, qui ne se lisent avec avidité.»

      La haute opinion que j'ai du jugement de mon ami m'a fait suivre son conseil; en conséquence, je me hasarde à offrir au public cet itinéraire, absolument tel qu'il a été écrit sur les lieux, priant le lecteur, qui trouvera trop de choses frivoles, de pardonner, en réfléchissant que l'objet principal de mes voyages se douve dans une autre partie de celle oeuvre, à laquelle il peut recourir dès maintenant, s'il ne veut s'occuper que des objets d'une plus grande importance.

       Table des matières

      JOURNAL

      15 mai 1787. - Il faut qu'un voyageur traverse bien des fois le détroit qui sépare, si heureusement pour elle, l'Angleterre du reste du monde, pour cesser d'être surpris du changement soudain et complet qui s'est fait autour de lui lorsqu'il débarque à Calais. L'aspect du pays, les gens, le langage, tout lui est nouveau, et dans ce qui paraît avoir le plus de ressemblance, un oeil exercé n'a pas de peine à découvrir des traits différents.

      Les beaux travaux d'amélioration d'un marais salant, exécutés par M. Mourlon (de cette ville), m'avaient fait faire sa connaissance, il y a quelque temps, et je l'avais trouvé si bien renseigné sur plusieurs objets importants, que c'est avec le plus grand plaisir que je l'ai revu. J'ai passé chez lui une soirée agréable et instructive. - 165 milles.

      Le 17. — Neuf heures de roulis à l'ancrage avaient tellement fatigue ma jument, que je crus qu'un jour de repos lui serait nécessaire; ce matin seulement j'ai quitté Calais. Pendant quelques milles le pays ressemble à certaines parties du Norfolk et du Suffolk;

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