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à des personnes qui y demeurent habituellement. Combien de fausses idées ne recevons-nous pas des lectures et des ouï-dire? Je croyais que personne en France, hors les fermiers et leurs gens, ne vivait à la campagne et mes premiers pas dans ce royaume me font rencontrer une vingtaine de villas. — Route excellente.

      Boulogne n'est pas désagréable; des remparts de la ville haute, on embrasse un horizon magnifique, quoique les eaux basses de la rivière ne me le fissent pas voir à son avantage. On sait généralement que Boulogne est depuis fort longtemps le refuge d'un grand nombre d'Anglais à qui des malheurs dans le commerce ou une vie pleine d'extravagances ont rendu le séjour de l'étranger plus souhaitable que celui de leur propre patrie. Il est facile de s'imaginer qu'ils y trouvent un niveau de société qui les invite à se rassembler dans un même endroit. Certainement, ce n'est pas le bon marché, car la vie y est plutôt chère. Le mélange de dames françaises et anglaises donne aux rues un aspect singulier; les dernières suivent leurs modes, les autres ne portent pas de chapeaux; elles se coiffent d'un bonnet fermé et portent un manteau qui leur descend jusqu'aux pieds. La ville a l'air d'être florissante; les édifices sont en bon état et soigneusement réparés; il y en a quelques-uns de date récente, signe de prospérité tout aussi certain, peut-être, qu'aucun autre. On construit une nouvelle église sur un plan qui nécessitera de grandes dépenses. En somme, la cité est animée, les environs agréables; une plage de sable ferme s'étend aussi loin que la marée. Les falaises adjacentes sont dignes d'être visitées par ceux qui ne connaissent pas déjà la pétrification de la glaise; elle se trouve à l'état rocheux et argileux que j'ai décrit à Harwich. (Annales d'Agriculture) — 24 milles.

      Le 18. — Boulogne, où se trouvent des collines opposées à la distance d'un mille, forme un charmant paysage; la rivière serpente dans la vallée, et s'étend, en une belle nappe, au- dessous de la ville, avant de se jeter dans la mer, que l'on aperçoit entre deux falaises, dont l'une sert de fond au tableau. Il n'y manque que du bois; s'il s'en trouvait un peu plus, on aurait peine à imaginer une scène plus agréable. Le pays s'améliore, les clôtures deviennent plus fréquentes, quelques parties se rapprochent beaucoup de l'Angleterre. Belles prairies aux environs de Boubrie (Pont-de-Brique); plusieurs châteaux. L'agriculture ne fait pas l'objet de ce journal, mais je dois noter, en passant, qu'elle est certainement aussi misérable que le pays est bon. Pauvres moissons, jaunes de mauvaises herbes! Cependant le terrain est resté tout l'été en jachère, bien inutilement. Sur les collines non loin de la mer, les arbres en détournent leurs cimes dépouillées de feuillage, ce n'est donc pas au vent du S.-O. seul qu'on doit attribuer cet effet. Si les Français n'ont pas d'agriculture à nous montrer, ils ont des routes; rien de plus magnifique, de mieux tenu, que celle qui traverse un beau bois, propriété de M. Neuvillier; on croirait voir une allée de parc. Et, certes, tout le chemin, à partir de la mer, est merveilleux: c'est une large chaussée aplanissant les montagnes au niveau des vallées: elle m'eût rempli d'admiration si je n'eusse rien su des abominables corvées, qui me font plaindre les malheureux cultivateurs auxquels un travail forcé a arraché cette magnificence. Des femmes que l'on voit dans le bois, arrachant à la main l'herbe pour nourrir leurs vaches, donnent au pays un air de pauvreté.

      Longé près de Montreuil des tourbières semblables à celles de Newbury. La promenade autour des remparts de cette ville est très jolie; les petits jardins des bastions sont curieux. Beaucoup d'Anglais habitent Montreuil; pourquoi? Il n'est pas aisé de le concevoir; car on n'y trouve pas cette animation qui fait le charme du séjour dans les villes. Dans un court entretien avec une famille anglaise retournant chez elle, la dame, qui est jeune et, je crois, agréable, m'assura que je trouverais la cour de Versailles d'une splendeur surprenante. Oh! qu'elle aimait la France! Comme elle aurait regretté son voyage en Angleterre, si elle ne se fût pas attendue à en revenir bientôt! Comme elle avait traversé tout le royaume, je lui demandai quelle en était la partie qui lui plaisait le mieux; la réponse fut telle qu'on la devait attendre d'aussi jolies lèvres: «Oh! Paris et Versailles!» Son mari, qui n'est plus si jeune, me répondit: «La Touraine.» Il est très probable qu'un fermier approuvera plutôt les sentiments du mari que ceux de la femme, malgré tous ses attraits. — 24 milles.

      Le 19. — J'ai dîné, ou plutôt je suis mort de faim, à Bernay, où, pour la première fois, j'ai rencontré ce vin dont j'avais entendu si souvent dire en Angleterre qu'il était pire que la petite bière. Pas de fermes éparses dans cette partie de la Picardie, ce qui est aussi malheureux pour la beauté de la campagne qu'incommode pour sa culture. Jusqu'à Abbeville, pays uni, mal plaisant, il y a beaucoup de bois, qui sont fort grands, mais sans intérêt. Passé près d'un château nouvellement construit, en craie; il appartient à M. Saint-Maritan. S'il avait vécu en Angleterre, il n'aurait pas élevé une belle maison dans cette situation, ni donné à ses murs l'air de ceux d'un hôpital.

      Abbeville passe pour contenir 22 000 âmes; c'est une ville ancienne et mal bâtie; beaucoup de maisons sont en bois et me paraissent les plus antiques que je me souvienne avoir vues; il y a longtemps qu'en Angleterre leurs soeurs ont été démolies. J'ai visité la manufacture de Van-Robais, établie par Louis XIV, et dont Voltaire et d'autres ont tant parlé. J'avais à prendre ici beaucoup d'informations sur la laine et les lainages, et, dans mes conversations avec les manufacturiers, je les ai trouvés grands faiseurs de politique et très violents contre le nouveau traité de commerce avec l'Angleterre. — 30 milles.

      Le 21. — Même pays plat et ennuyeux jusqu'à Flixcourt. — 15 milles.

      Le 22 — De la misère et de misérables moissons jusqu'à Amiens; les femmes sont au labour avec un couple de chevaux pour les semailles d'orge. La différence de coutumes entre les deux nations n'est nulle part plus frappante que dans les travaux des femmes: en Angleterre, elles vont peu aux champs, si ce n'est pour glaner et faner, parties de plaisir ou de maraude bien plus que travaux réguliers; en France, elles tiennent la charrue et chargent le fumier. Les peupliers d'Italie ont été introduits ici en même temps qu'en Angleterre.[1]

      Une affaire remarquable dont Picquigny a été le théâtre fait le plus grand honneur à l'esprit tolérant des Français. M. Colmar, qui est juif, a acheté, du duc de Chaulnes, la seigneurie et les terres comprenant la vicomté d'Amiens, en vertu de quoi il nomme les chanoines de la cathédrale. L'évêque s'est opposé à l'exercice de ce droit; un appel a porté la discussion devant le Parlement de Paris, qui s'est prononcé pour M. Colmar. La seigneurie immédiate de Picquigny, sans ses dépendances, a été revendue au comte d'Artois.

      Vu la cathédrale d'Amiens, que l'on dit bâtie par les Anglais; elle est très grande et magnifique de légèreté et de richesse d'ornementation. On y disposait une tenture noire avec baldaquin et des luminaires pour le service du prince de Tingry, colonel du régiment de cavalerie en garnison dans la ville. Ce spectacle était une affaire pour les bourgeois, il y avait foule à chaque porte. On me refusa l'entrée; mais, quelques officiers ayant été admis, donnèrent des ordres pour laisser passer un monsieur anglais; je me trouvais déjà à une certaine distance lorsqu'on me rappela, en m'invitant, avec beaucoup de politesse, à entrer, et me faisant des excuses sur ce qu'on ne m'avait pas d'abord reconnu pour Anglais. Ce ne sont là que de bien petites choses, mais elles montrent un esprit libéral et doivent être notées. Si un Anglais reçoit des attentions en France, parce qu'il est Anglais, point n'est besoin de dire la conduite à tenir envers un Français en Angleterre. Le Château-d'Eau, ou machine hydraulique qui alimente Amiens vaut la peine d'être vu, mais on n'en pourrait donner une idée qu'au moyen de planches. La ville contient un grand nombre de fabriques de lainages. Je me suis entretenu avec plusieurs maîtres, qui s'accordaient entièrement avec ceux d'Abeville pour condamner le traité de commerce. — 15 milles.

      Le 23. — D'Amiens à Breteuil, pays accidenté, des bois en vue pendant tout le chemin. — 21 milles.

      Le 24. — Campagne plate, crayeuse et ennuyeuse presque jusqu'à Clermont, où elle s'améliore, s'accidente et se boise. Jolie vue de la ville et des plantations du duc de Fitzjames, au débouché de la vallée. — 24 milles.

      Le 25. — Les environs de Clermont sont pittoresques. Les coteaux de Liancourt sont jolis et couverts d'une culture que je n'avais pas vue auparavant, mélange de vignes (car la vigne se présente ici pour la première

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