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le goulet il a vingt pieds d'épaisseur, et les pierres sont reliées ensemble par des crampons de fer. On enfonce actuellement des pilotis en pin de seize pieds de longueur pour les fondations. C'est, en somme, un travail qui exigera de grandes dépenses, mais d'une grande magnificence et d'une grande utilité.

      Le 16. — Dax n'est pas précisément sur la route d'Auch; mais j'étais résolu à voir le fameux désert appelé les Landes de Bordeaux, sur lequel j'avais tant lu de choses, et dont on m'avait tant parlé. On m'assura qu'en suivant cette route j'en traverserais au moins douze lieues. Il s'étend presque jusqu'aux portes de Bayonne, mais quelques endroits cultivés s'y montrent pendant une ou deux lieues. Ces landes forment une zone sableuse, couverte de pins que l'on exploite régulièrement pour la résine. Les historiens rapportent que, lors de leur expulsion d'Espagne, les Morisques demandèrent à la cour de France l'autorisation de coloniser et de défricher ces landes, ce que la cour leur refusa, au mécontentement général. Puisqu'il paraissait impossible aux Français de s'y fixer, ne valait-il pas mieux les abandonner aux Maures qu'à la solitude? — À Dax, il y a au centre de la ville une source chaude fort remarquable. Elle sourd en abondance du fond d'un large bassin revêtu de maçonnerie: elle est bouillante, n'a aucune saveur, on la dit dépourvue de toute espèce de minéral. On ne l'emploie qu'à laver le linge. En toutes saisons elle reste toujours la même et pour la quantité et pour le degré de chaleur. — 27 milles.

      Le 17. — Traversé une région blanche comme la neige et dont le terrain est tellement désagrégé, que le vent l'emporte; il y a cependant, grâce à un sous-sol de terre forte et blanche comme la marne, des chênes de deux pieds de diamètre. Passé trois rivières très propres à l'irrigation et dont on ne tire aucun parti.

      Le duc de Bouillon a de vastes domaines dans ce pays. En quelque temps et en quelque lieu que ce soit, si vous voyez des terres abandonnées, bien qu'elles soient susceptibles d'améliorations, il suffit, dites qu'elles appartiennent à un grand seigneur. — 29 milles.

      Le 18. — Comme les prix sont, dans mon opinion, généralement assez élevés en France, la sincérité veut que je donne, quand je les rencontre, des exemples du contraire. À la Croix-d'Or, à Aire, on me servit de la soupe, des anguilles, du pain blanc, avec des petits pois, un pigeon, un poulet et des côtelettes de veau, plus un dessert composé de biscuits, de pêches, de pêches-abricots et de prunes, un verre de liqueur et une bouteille de bon vin, le tout pour quarante sous (vingt p.): je payai pour ma jument l'avoine 20 sous, et le foin dix sous. À Saint-Sever, le jour d'avant, j'avais eu un semblable souper. Tout à Aire était bon et propre, et chose extraordinaire, j'avais un salon pour moi seul, et la fille qui me servait était fort convenable et mise avec soin. Il avait plu si fort deux heures avant mon arrivée, que mon surtout de soie était traversé; ma vieille hôtesse ne s'en pressa pas davantage de me faire du feu. Pour souper j'eus le souvenir de mon dîner. — 35 milles.

      Le 19. — Beek (Vic) semble une florissante petite ville à en juger par les maisons qui s'y construisent. La Clef-d'Or est une nouvelle auberge, grande et bien tenue.

      Une observation générale que je puis faire sur les deux cent soixante-dix milles qui séparent Bagnères-de-Luchon d'Auch, c'est que tout, à quelques exceptions près, est enclos, et que les fermes sont dispersées ça et là, au lieu d'être groupées en villes comme dans beaucoup d'autres provinces françaises. Je n'ai presque pas rencontré de châteaux modernes; en général, ils sont d'une rareté surprenante. Je n'ai pas vu non plus de voiture de maître, pas un cavalier qui semblât un gentilhomme en train de faire des visites à ses voisins. En somme, pas de noblesse. À Auch, mes amis se trouvaient au rendez-vous, prêts à partir pour Paris. La ville n'a presque ni industrie, ni commerce; elle ne se nourrit que des revenus de la campagne. Il y a beaucoup de nobles dans la province, mais trop pauvres pour vivre ici: si pauvres en vérité, que quelques-uns d'entre eux labourent leurs champs eux-mêmes; il pourrait bien se faire qu'ils soient pour la société des membres plus estimables que les sots et les fripons qui les tournent en ridicule. — 31 milles.

      Le 20. — Fleuran (Fleurance); on y trouve de belles maisons. Contrée populeuse jusqu'à La Tour (Lectoure), évêché dont nous avons laissé le titulaire à Bagnères-de-Luchon. Situation pittoresque à l'extrémité d'une rangée de collines. — 20 milles.

      Le 22, — Par Leyrac, à travers une campagne très belle, nous arrivons à la Garonne, qu'un bac nous fait traverser. La rivière a un quart de mille de large et paraît animée par le commerce. Un grand chaland passait chargé de cages à volaille. La consommation de la grande ville de Bordeaux se fait sentir aussi loin que la rivière est navigable. Cette riche vallée se continue parfaitement cultivée jusqu'à Agen; mais elle n'a plus la beauté des environs de La Tour.

      Si de nouvelles constructions sont un indice sûr de l'état florissant d'une ville, Agen prospère. L'évêque s'est bâti un superbe palais dont le centre est de bon goût; le raccordement avec les ailes est moins heureux. — 23 milles.

      Le 23. — La route d'Aiguillon suit une vallée riche et de bonne culture; beaucoup de chanvre, toutes les paysannes y sont employées. Beaucoup de fermes propres et bien bâties sur de petites propriétés; tout le pays est très peuplé. Vu le château du duc d'Aiguillon, dont la situation dans la ville n'est pas selon nos idées rurales, mais en France une ville est l'accessoire obligé d'un château; il en était ainsi autrefois dans la plus grande partie de l'Europe; il semblait résulter du pacte féodal que le grand seigneur garderait ses esclaves le plus possible à sa portée, comme on bâtit ses écuries près de la maison. Cet édifice, qui est considérable, a été bâti par le duc actuel; il le commença, il y a une vingtaine d'années, lorsqu'il resta exilé ici pendant huit ans. Grâce à ce bannissement, l'édifice s'éleva majestueusement; le corps de bâtiment fut fait, et les ailes détachées presque achevées. Mais à peine eut-on révoqué la sentence que le duc courut à Paris, d'où il n'est pas revenu depuis; en conséquence, tout est arrêté. C'est ainsi que l'exil seul force la noblesse de France à ce que les Anglais font par plaisir: résider sur leurs domaines et les embellir. Une grande magnificence, c'est la construction d'un théâtre élégant et spacieux, qui remplit une des ailes. L'orchestre contient vingt- quatre musiciens payés et défrayés de tout par le duc, quand il est ici. Ce luxe agréable et de bon goût, à portée des grandes fortunes, est général en Europe, l'Angleterre exceptée; les grands propriétaires y préfèrent des chevaux et des chiens à tous les plaisirs qu'on peut retirer du théâtre. Tonnance (Tonneins.) — 25 milles.

      Le 24. — Quantité de belles maisons de plaisance, nouvellement bâties, bien construites et accompagnées de jardins, de plantations, etc., etc.; autant d'effets de la richesse de Bordeaux. Le peuple d'ici, comme le Français en général, mange peu de viande; à Leyrac, on ne tue que cinq boeufs par an; dans une ville anglaise de même importance, il en faudrait deux ou trois par semaine. La vue est superbe du côté de Bordeaux pendant plusieurs lieues; on découvre la rivière en cinq ou six endroits. Gagné Langon et bu de son excellent vin blanc. — 32 milles.

      Le 25. — Traversé Barsac, fameux aussi par ses vins. On laboure maintenant avec les boeufs entre les rangées de ceps, opération qui suggéra à Jethro Tull l'idée de sarcler les blés avec la houe à cheval. Population dense et nombreuses villas pendant tout le chemin. À Castres la campagne devient plate et sans intérêt. Arrivé à Bordeaux, à travers un village continuel. — 30 milles.

      Le 26 — Malgré tout ce que j'avais lu et entendu sur le commerce, la richesse et la magnificence de cette ville, mon attente fut grandement surpassée. Paris n'y répondit en rien, car on ne saurait le comparer à Londres; mais il ne faut pas mettre Liverpool en parallèle avec Bordeaux. La chose principale, que l'on m'avait le plus vantée, est ce qui m'a frappé le moins: je veux dire le quai, remarquable seulement par sa longueur et l'activité dont il est le théâtre, choses que l'étranger n'apprécie guère, si la beauté y fait faute. Les maisons qui le bordent sont régulières, sans grandeur ni élégance. C'est une berge boueuse, glissante, sans pavés par intervalles, embarrassée de tas de boue et de pierres; on y amarre les alléges servant à charger et décharger les navires, qui ne peuvent s'approcher de ce qui devrait être un quai. On y trouve toute la saleté et les ennuis du commerce sans l'ordre, l'arrangement, la

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