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La piraterie dans l'antiquité. Jules M. Sestier
Читать онлайн.Название La piraterie dans l'antiquité
Год выпуска 0
isbn 4064066085612
Автор произведения Jules M. Sestier
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Homère nous apprend encore qu'Achille, avant de partir pour Troie, exerçait la piraterie, pillait la ville de Seyros où il enleva la belle Iphis qu'il donna à son ami Patrocle[2]. Pendant la guerre, Achille et le sage Nestor lui-même «erraient avec leurs vaisseaux sur la mer brumeuse pour y ramasser du butin[3]».
Dans le XVe chant de l'Odyssée, se trouve l'épisode de l'esclave phénicienne, fille d'Arybas de Sidon, enlevée par des pirates taphiens et vendue à Ctésios, père d'Eumée et roi de Syra. Un jour des Phéniciens, «navigateurs habiles mais trompeurs», arrivèrent dans cette île avec un navire chargé d'objets précieux. Ces rusés matelots séduisirent la belle esclave et lui proposèrent de la ramener dans sa patrie. Celle-ci enleva Eumée, alors enfant, afin que les Phéniciens puissent en tirer grand parti en le vendant chez des peuples lointains. Mais une fois en mer la criminelle esclave est frappée de mort par Diane et les matelots la jettent par-dessus le bord pour servir de pâture aux poissons. Les Phéniciens abordèrent quelque temps après à Ithaque où Laërte acheta Eumée.
On voit par ces nombreuses citations, qui pourraient être encore multipliées, que la piraterie était exercée universellement dans les temps homériques.
[1] Odyssée, III.
[2] Odyssée.
[3] Iliade, IX, 668.—XIX, 326.
CHAPITRE III
LES CARIENS ET LES PHÉNICIENS.
L'Asie-Mineure s'avance comme un immense promontoire entre le Pont-Euxin et la mer de Chypre. La chaîne du Taurus couvre ses côtes méridionales de hautes montagnes, repaire dans tous les temps de populations insaisissables et toujours prêtes à descendre dans les plaines et sur la mer pour piller les voyageurs et les marchands. Cette région montagneuse, formant de l'ouest à l'est, la Carie, la Lycie, la Pamphylie, la Cilicie, fut colonisée par des peuples paraissant avoir la même origine, le même culte et les mêmes idiomes. Parmi ces peuples, les Cariens ont eu une grande puissance dans les temps reculés. Ils couvrirent la mer Égée de leurs vaisseaux et les îles de leurs colonies, car lorsque Nicias fit, en l'an 426, la purification de Délos, on reconnut que la plupart des morts ensevelis dans cette île et qu'on exhuma, étaient Cariens. Ils exerçaient la piraterie et ne vivaient que de brigandage. Minos, roi de Crète, les chassa de la mer Égée, ainsi que nous le verrons bientôt.
Leurs voisins, les Phéniciens, ne valaient guère mieux en principe. Ils étaient qualifiés par Homère de navigateurs habiles mais trompeurs, et j'ai déjà cité plusieurs de leurs exploits de piraterie.
D'après Hérodote[1], les Phéniciens habitaient jadis les bords de la mer Rouge; de là, ils vinrent en Syrie et s'établirent sur les côtes de la Palestine. L'époque de cette migration remonte à une haute antiquité. Hérodote visita un temple célèbre d'Hercule (Melkarth à Tyr), qui aurait été bâti en même temps que cette ville, habitée déjà depuis 2300 ans au moment du voyage du grand historien[2]. Sidon était encore plus ancienne que Tyr; elle est mentionnée par Jacob, à son lit de mort[3]. Ces deux villes résumèrent en elles toute la puissance, toute la richesse, toute la grandeur de la nation phénicienne. Établis sur une côte étroite et de peu de ressources, les Phéniciens se tournèrent du côté de la mer. Ils fondèrent de nombreuses colonies et firent de la Méditerranée une mer phénicienne. Les documents de leur histoire sont malheureusement détruits, et presque tout ce que nous savons d'eux est parvenu sous forme de mythe. On contait que Melkarth, l'Hercule tyrien, avait rassemblé une armée et une flotte nombreuse dans le dessein de conquérir l'Ibérie, où régnait Khrysaor, fils de Géryon. Il aurait soumis, chemin faisant, l'Afrique où il introduisit l'agriculture et fonda la ville fabuleuse d'Hécatompyles, franchi le détroit auquel il donna son nom, bâti Gadès et vaincu l'Espagne. Après avoir enlevé les bœufs mythiques de Géryon, il serait revenu en Asie par la Gaule, l'Italie, la Sardaigne et la Sicile. A cette tradition d'ensemble qui résume assez bien les principaux traits de la colonisation phénicienne, venaient se joindre mille légendes locales. C'était Kynras à Chypre et à Mélos; Europe enlevée par Zeus; Cadmos, envoyé à la recherche de sa sœur, visitant Chypre, Rhodes, les Cyclades, bâtissant la Thèbes de Béotie, et allant mourir en Illyrie. Partout où les Phéniciens étaient passés, la grandeur et l'audace de leurs entreprises avaient laissé dans l'imagination des peuples des traces ineffaçables. Leur nom, leurs dieux, le souvenir de leur domination ont formé des légendes et des fables à l'aide desquelles on parvient à reconstruire en partie l'histoire perdue de leurs découvertes[4]. Les Phéniciens furent d'intrépides navigateurs. On connaît la célèbre tradition recueillie en Égypte par Hérodote sur le voyage des Phéniciens qui s'embarquèrent, par l'ordre du roi égyptien Néko, de la vingt-sixième dynastie, sur le golfe Arabique, longèrent l'Afrique jusqu'au sud, la remontèrent et revinrent, au bout de trois ans, par les colonnes d'Hercule, débarquer en Égypte[5].
La grandeur de la nation phénicienne était toute commerciale. De pêcheurs qu'ils étaient d'abord, les Phéniciens furent conduits par une pente naturelle au trafic maritime. L'homme pourvu de ce qui est nécessaire à son existence, éprouve le besoin d'échanger les produits qu'il a en excès contre ceux qui lui font défaut. C'est ainsi que le commerce a pris naissance. Aucun autre peuple n'imprima un essor plus rapide au commerce et à la navigation. Un coquillage que la mer jette sur le rivage donna la pourpre à ces habiles négociants. Les artisans phéniciens excellèrent dans le travail des étoffes, du verre et des métaux précieux. Leurs vaisseaux, portant à la proue l'image des Pataïces[6], divinités nationales, sillonnaient les mers. Au début, les Phéniciens ne naviguèrent que le jour, et en vue des côtes, mais ils s'enhardirent peu à peu, et osèrent les premiers, selon Strabon, franchir le sein des mers sur la foi des étoiles. Ils connaissaient la Grande-Ourse et l'appelaient Pharasad (indication), parce que cette constellation leur indiquait leur route. Quand l'étude de l'astronomie se perfectionna chez eux, ils reconnurent que Pharasad n'indiquait pas le nord avec assez de précision pour empêcher des erreurs; alors ils s'attachèrent à observer la constellation de Cynosure (la Petite-Ourse) qui occupe un champ moins étendu et varie moins de situation. Thalès de Milet, originaire de Phénicie, porta plus tard cette astronomie nautique aux Grecs qui la transmirent aux Romains.
[1] Hérodote I, 1;—VII, 89.
[2] Id., II, 44.—An 460 av. J. C.
[3] Genèse, XLIX, 13.
[4] Maspéro, Hist. anc. des peuples de l'Orient, VI.
[5] Hérodote, IV, 42.