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La piraterie dans l'antiquité. Jules M. Sestier
Читать онлайн.Название La piraterie dans l'antiquité
Год выпуска 0
isbn 4064066085612
Автор произведения Jules M. Sestier
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
En effet, si l'on cherche à se rendre compte de la vie des premiers Phéniciens, de leurs exploits, de leurs conquêtes, on voit qu'ils ne se faisaient pas faute d'exercer la piraterie sur les mers. Lélèges, Cariens et Phéniciens, à l'instar des Normands du moyen âge, s'en allaient au loin à la recherche d'aventures profitables; ils rôdaient le long des côtes toujours à l'affût de belles occasions et de bons coups de main. S'ils n'étaient point en force, ils débarquaient paisiblement, étalaient leurs marchandises et se contentaient du gain que pouvait leur valoir l'échange de leurs denrées ou objets précieux. S'ils se croyaient assurés du succès, l'instinct pillard reprenait le dessus; ils brûlaient les moissons, saccageaient les bourgs et les temples isolés, enlevaient tout ce qui leur tombait entre les mains, principalement les femmes et les enfants, qu'ils vendaient à un prix élevé sur les marchés d'esclaves de l'Asie ou que les parents rachetaient par de fortes rançons[2]. Aristote disait avec raison, des antiques Phéniciens, qu'ils ne connurent d'autre loi que la force, et ceux qui refusaient leurs offres en matière de commerce devenaient les victimes de leur insatiable avarice[3]. Ézéchiel les apostrophait en ces termes: «Vous vous êtes souillés par la multitude de vos iniquités et par les injustices de votre commerce!»
A côté du mal se trouve le bien. Ces expéditions audacieuses où se commettaient bien des violences, bien des crimes, n'en étaient pas moins profitables pour la civilisation. La piraterie à une époque où la loi était encore inconnue, où l'homme était dans la première phase de son existence, aux prises avec les nécessités de la vie, n'avait pas un caractère odieux, c'était un métier comme un autre.
[1] Histoire naturelle, v, 13.
[2] Maspéro, Histoire ancienne.
[3] Aristote, de mirabil. auscult.
CHAPITRE IV
PREMIÈRE RÉPRESSION DE LA PIRATERIE.—L'ILE DE CRÈTE.—MINOS.—RHODES.
Si les Phéniciens furent les premiers pirates, ils furent aussi les premiers, avec les progrès de la civilisation, qui prirent des mesures de protection contre la piraterie. Ce n'est pas l'histoire même de ce peuple qui nous en fournira la preuve, car ses documents nationaux ont péri en totalité. De ses entreprises, de ses voyages, de son système colonial, de ses lois, il ne nous reste rien que des lambeaux dispersés çà et là dans les livres juifs et dans les auteurs grecs.
Une antique colonie phénicienne, celle de l'île de Crète, reflet de la métropole, eut de bonne heure, grâce à sa situation heureuse, une prééminence maritime célèbre. La mer était l'élément naturel des Crétois. Tout les y appelait. La position de leur île, une grande étendue de côtes, des ports nombreux, de vastes forêts, tout ce qui excite aux entreprises navales et développe chez un peuple le génie maritime se réunissait pour tourner vers la mer l'activité et l'ambition de ces insulaires. «La nature, dit Aristote[1], semble avoir placé l'île de Crète dans la position la plus favorable pour tenir l'empire de la Grèce. Elle domine sur la mer et sur une grande étendue de pays maritimes, que les Grecs ont choisis de préférence pour y former des établissements. D'un côté, elle est près du Péloponèse; de l'autre, elle touche à l'Asie par le voisinage de Triope et de l'île de Rhodes. Cette heureuse position valut à Minos l'empire de la mer.» Cette grande puissance maritime est attestée par de nombreux témoignages, et présente tous les caractères d'un fait historique. «De tous les souverains dont nous ayons entendu parler, dit Thucydide, Minos est celui qui eut le plus anciennement une marine. Il était maître de la plus grande partie de la mer qu'on appelle maintenant Hellénique; il dominait sur les Cyclades, et forma des établissements dans la plupart de ces îles[2].» Il fut le premier législateur de la mer (XIVe siècle avant J.-C.). A cette époque, les Pélasges, les Cariens, les Lélèges, les habitants des côtes de la Grèce, de l'Attique surtout, exerçaient en grand la piraterie et menaçaient de bouleverser la société et d'étouffer la civilisation naissante par leurs courses et leurs brigandages. Minos réunit toutes ses forces maritimes à celles de son frère Rhadamanthe, établi dans les îles de la mer Égée, fit aux pirates une guerre d'extermination et rétablit la sécurité sur la mer. La punition des habitants de l'Attique fut surtout terrible; Minos leur imposa un tribut annuel de sept jeunes garçons et de sept jeunes filles, qui étaient renfermés dans le fameux labyrinthe. Thésée eut la gloire d'affranchir sa patrie de ce tribut odieux[3].
[1] Aristote, Polit., II, 8.
[2] Thucydide, I, 4; Hérodote, III, 22; Louis Lacroix, Les îles de la Grèce (Crète).
[3] Plutarque, Vie de Thésée.
Pour prévenir le retour des désordres occasionnés par les pirates, Minos proposa aux Grecs un Code maritime qui reçut la sanction générale. Plutarque et Diodore de Sicile font connaître, d'après Clitodémus, le plus ancien historien de l'Attique, la teneur de la principale disposition de ce Code: «Les Grecs défendent de mettre en mer aucune barque montée par plus de cinq hommes; on n'en excepte que le capitaine du navire Argo, auquel on donne pour expresse mission de courir les mers pour les délivrer des brigands et des corsaires.» Le souvenir de l'ère de justice et de sécurité que l'archipel dut à Minos et à Rhadamanthe s'est conservé dans la légende qui les représente juges aux enfers.
Après le règne glorieux de Minos, la puissance maritime de la Crète déclina. La mer redevint le théâtre de crimes et de brigandages. J'ai montré Ulysse faisant le portrait d'un aventurier de cette époque. L'art de naviguer était imparfait; il était difficile, sinon impossible, de rassembler sur une faible embarcation, chargée de denrées et de marchandises, des armes et des engins de guerre pour repousser les attaques des forbans qui infestaient les eaux voisines du rivage. Les marchands ne connaissaient alors qu'un seul moyen de défense que Cicéron appelle «όμοπλοία[1]». C'est ce que nous désignons sous le nom de «voyages de conserve», quand plusieurs navires se réunissent pour voyager ensemble et s'assurer mutuellement contre les périls communs de la navigation. Pour se mettre à l'abri des écumeurs de mer, les navigateurs n'employaient que des navires à carène plate; le soir venu, ils atterrissaient et halaient le bâtiment sur le rivage.
Après les Crétois, les Rhodiens se signalèrent par leur puissance maritime dans toute l'antiquité. Strabon dit qu'ils étaient parvenus à anéantir dans leur voisinage les déprédations des pirates[2]. Les lois maritimes des Rhodiens eurent une grande célébrité, et j'aurai l'occasion d'en parler dans le cours de l'histoire de la piraterie. Rhodes, d'abord appelée Ophiussa, Ile aux serpents, servait, par son heureuse position à l'angle de l'Asie-Mineure, de relâche aux vaisseaux qui allaient d'Égypte en Grèce ou de Grèce en Égypte[3]. Mettant à profit cet avantage, les Rhodiens se livrèrent au commerce maritime avec une infatigable ardeur et un succès qui leur fit une splendide opulence.