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par M. de Pradelle[338]. En cas que quelque chose n'aille pas bien à mon égard, dites-le hardiment à la reine, et proposez les expédients que vous jugerez à propos pour y remédier.» Ainsi c'est l'abbé Fouquet qui devient l'intermédiaire entre la reine et Mazarin exilé.

      Le 24 octobre, le cardinal, qui venait de recevoir la nouvelle de l'entrée de Louis XIV à Paris, insiste sur les mesures nécessaires pour assurer le triomphe de la cause royale. «Je suis ravi, écrivait-il à l'abbé Fouquet, de la manière en laquelle le roi est entré à Paris, et de la résolution qu'on a prise d'en faire sortir les factieux; mais j'ai bien peur que quelques-uns d'entre eux, ou par l'entremise de leurs amis à la cour, ou autrement, ne trouvent moyen d'en éluder l'exécution. C'est pourquoi, je vous prie de nouveau, de dire à la reine confidemment de ma part qu'il faut faire avec hauteur et fermeté ce qui a été arrêté là-dessus, parce que si on souffrait que quelques-uns de ces chefs d'émeute, comme Broussel ou autres, restassent à Paris, ce serait y laisser une semence de révolte, et cette tolérance serait réputée une manifeste faiblesse, parce que l'on verrait qu'en même temps que l'on punit quelques sé[T.I pag.206]ditieux, ou en épargne les chefs principaux. Il n'y a personne qui puisse être avec raison d'autre avis que celui où je vois que vous êtes, et j'en ai beaucoup de satisfaction, m'assurant que c'est aussi le sentiment de M. votre frère.»

      Parmi les chefs de la sédition que Mazarin craignait que l'on n'épargnât, le cardinal de Retz était toujours au premier rang. Il insiste sur ce point avec l'abbé Fouquet, comme avec le procureur général. «Je crois, écrivait-il à l'abbé Fouquet, qu'il est impossible que le repos et l'obéissance envers le roi puissent s'ajuster avec le séjour du cardinal de Retz à Paris. Il donnera des méfiances et embarrassera, autant qu'il pourra, l'esprit de S.A.R. pour l'empêcher de s'accommoder et de sortir de Paris[339], et, en cas qu'elle y soit contrainte, il n'oubliera rien, afin qu'elle ne s'en éloigne pas, et fera de continuelles cabales pour le faire revenir et pour troubler les affaires plus qu'elles n'ont jamais été. Je vous prie donc de dire à M. le procureur général qu'il faut s'appliquer sérieusement à ceci, comme à la chose, qui, à mon avis, est la plus importante. Il n'y a personne qui le connaisse mieux que vous, et vous savez si j'ai rien négligé pour l'obliger à être de mes amis, et que toutes mes diligences et ses paroles n'ont abouti à rien, parce que le fonds de la probité n'y est pas. Si on le pouvait envoyer à Rome, comme il l'a fait offrir lui-même, par la princesse Palatine[340], d'y aller quand le roi[T.I pag.207] voudrait, ce serait un grand coup; mais je ne crois pas qu'il s'y résolve jamais de son gré. Je vous prie d'en conférer avec M. votre frère, et de dire après à la reine de ma part tout ce que vous aurez jugé à propos sur ce sujet.

      «Comme vous êtes des témoins irréprochables de tout ce qui s'est passé entre lui et moi, et que vous savez son peu de foi et ses mauvaises intentions, je sais qu'il vous appréhende fort, et que sur ce que vous marquiez quelque chose à son désavantage dans votre lettre qui a été interceptée[341], il a dit qu'il se vengerait de vous. A quoi je vous conjure de prendre bien garde; car c'est un homme dont l'humeur et la conduite vous doivent faire croire que, s'il en avait la facilité, il le ferait encore plutôt qu'il ne le dit.»

      La présence du cardinal de Retz à Paris était la principale cause qui s'opposait à l'entrée de Mazarin dans cette ville. De là sa haine violente contre un adversaire qui l'empêchait de réaliser le plus ardent de ses désirs. Toutes ses lettres recommandent d'user de sévérité envers les ennemis, et, en même temps, on y voit percer l'impatience de revenir à Paris. Après avoir remercié l'abbé Fouquet d'avoir réchauffé en sa faveur le zèle du prévôt des marchands nouvellement rétabli: «C'est une occasion, lui disait-il, en laquelle tous les bons serviteurs du roi doivent faire les derniers efforts pour relever son autorité, étant certain que l'on fera plus de[T.I pag.208] chemin maintenant en un jour que l'on ne saurait faire dans un autre temps en six mois, et j'ai été bien aise de voir par votre lettre que vous n'approuviez pas certaines tendresses que l'on avait pour des gens attachés au parti des princes, parce qu'il est certain qu'elles ne sont pas de saison, et il sera très à propos, après que vous en aurez concerté avec M. votre frère, que vous preniez occasion d'en parler souvent à la reine, lui disant que je vous en ai chargé et prenant garde que personne n'en ait connaissance.»

      Mazarin écrivait dans le même sens au procureur général. «J'attends, lui disait-il, les ordres de la cour pour être informé de la volonté de Leurs Majestés, et l'on m'a déjà mandé que l'on était sur le point de me les envoyer. J'avais estimé que, dans la bonne disposition où était la ville de Paris, l'on aurait bien pu me donner des ordres afin que je m'avançasse cri diligence pour avoir l'honneur d'y accompagner le roi, puisque cela se pouvait sans inconvénient, et même qu'il aurait été avantageux pour la réputation de Sa Majesté. Mais je veux croire que ce que l'on a fait a été pour le mieux, et que l'on aura eu en cela des raisons que je ne puis peut-être savoir ici.

      «J'attends avec impatience la déclaration[342], que vous avez pris la peine de dresser avec M. Servien et M. le Coigneux, dont je vous suis fort obligé; ce n'est pas que j'aie besoin de la voir pour être persuadé que ce sera une pièce achevée. Je suis ravi de voir la vigueur[T.I pag.209] et la fermeté avec laquelle on agit: c'est le moyen le plus sûr et le plus prompt pour rétablir l'autorité du roi et rendre ses succès heureux. Sans avoir su vos sentiments sur les autres choses dont vous m'écrivez, les miens s'y étaient rencontrés tout conformes. Sur quoi je me remets à vous entretenir plus particulièrement à mon retour. Pour ce qui est de M. de Lyonne[343], je suis toujours dans les mêmes dispositions pour lui que je vous ai témoignées et que je lui ai fait savoir à lui-même devant que partir de Pontoise.

      «Vous verrez ce que j'écris à M. votre frère, qui parlera fortement à la reine de ma part sur toutes les choses dans lesquelles il pourrait y avoir difficulté, et que vous jugerez absolument nécessaires pour le service du roi.

      «Enfin, je suis assuré que vous ne vous endormirez pas à présent que l'on peut agir dans Paris avec espérance de bon succès. Je me tourmente continuellement pour fortifier notre armée. J'ai déjà assemblé plus de six cents chevaux, et j'espère que, dans dix jours, il y en aura plus de mille[344]. Vous jugerez bien que ce n'est pas un petit renfort dans le temps où nous sommes, et qu'il pourra être employé utilement pour empêcher que tous nos ennemis unis ensemble ne viennent à bout du dessein qu'ils ont de prendre des quartiers d'hiver en[T.I pag.210] France. Le comte de Fuensaldagne devait pour cet effet être hier à Montcornet[345] pour faire aujourd'hui la jonction avec M. le Prince[346] et M. de Lorraine; mais j'espère avec beaucoup de fondement qu'ils n'auront pas en cela le bon marché qu'ils se sont proposé.

      «Il faut seulement que les bons serviteurs que le roi a dans le parlement songent de bonne heure à des moyens de faire avoir quelque somme au roi, sans qu'ils soient à la charge du peuple; car avec cela j'ose vous répondre que les affaires se rétabliront, et bientôt.

      «Je vous prie d'assurer M. le président le Coigneux de mon estime et de mon amitié, et de lui dire que je n'oublierai rien pour l'obliger à me conserver la sienne. Je m'assure que vous et lui ferez tout ce qu'il faut, afin que les officiers qui étaient à Pontoise tiennent le haut du pavé dans la compagnie, à présent que la réunion est faite; en quoi ils peuvent être assurés qu'ils seront bien appuyés du côté de la cour. C'est tout ce que je vous dirai par cette lettre, attendant avec grande impatience de vous pouvoir entretenir plus au long sur toutes choses.»

      Les deux frères agirent en cette circonstance avec la vigueur que leur recommandait Mazarin. L'abbé surtout montra la décision et l'impétuosité de son caractère dans la lutte qu'il engagea contre le cardinal de Retz. Il trouvait en lui un adversaire redoutable, habile à s'entourer d'hommes résolus, comme les Fon[T.I pag.211]trailles, les Montrésor et tant d'autres nourris dans les intrigues de la Fronde et habitués à manier l'épée. Retz avait d'ailleurs conservé un grand ascendant sur le clergé de Paris, malgré le scandale de ses mœurs. Une partie du peuple lui était dévouée. Il se tenait enfermé dans l'archevêché, à l'ombre des tours de Notre-Dame, dans un asile dont il profanait le caractère sacré[347]. Sa renommée semblait encore doubler ses forces, et il fallait, pour s'attaquer à un pareil homme, le caractère énergique et téméraire de l'abbé Fouquet. Cet

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