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secret, de blâmer également la conduite qu'on aurait tenue, soit que la chose réussit ou ne réussît pas.

      «Vous me dites que mon retour à la cour dans la condition présente des affaires pourrait peut-être faire un méchant effet. Cependant, lorsque j'en partis, l'on ne présupposait pas que les princes se dussent accommoder; mais au contraire que, mon éloignement n'empêchant pas que la guerre ne continuât, les peuples se[T.I pag.193] dessillant les yeux connaîtraient à la fin que je n'étais que le prétexte et non pas la cause des maux qu'on leur faisait souffrir; ce qui étant, je pourrais m'en retourner auprès de Leurs Majestés avec toute sorte de raison et de bienséance, et avec l'applaudissement de tout le monde. Cependant, sur le point de mon retour, je vous puis assurer avec sincérité que je n'en ai nulle démangeaison, et que, si je croyais que ma demeure pour toute ma vie en ce lieu pût, en quelque façon, contribuer au service du roi et au bonheur de ses sujets, je l'y établirais avec plaisir, sans que personne m'en pût empêcher. Mais j'ose dire, sans aucune préoccupation et sans autre égard que celui du bien de l'État, que ma présence à la cour peut être encore plus utile, les mouvements présents continuant, que s'ils étaient apaisés, et je me flatte dans la créance que les intérêts de MM. les présidents, les vôtres et ceux de tout le parlement se rencontrent dans cette pensée.

      «Pour ce qui est de nos forces, je vous assure qu'elles ne sont pas si peu considérables, que nous soyons en état de beaucoup appréhender les ennemis, et qu'elles augmenteront tous les jours, en sorte que je ne crois pas qu'il nous soit fort mal aisé de les empêcher de prendre des quartiers d'hiver en France. Si raccommodement se fait avec M. le duc d'Orléans, comme il y a grande apparence, tout ira à souhait, et, quand il y aurait des difficultés, je m'assure que Son Altesse Royale voyant le roi s'approcher de Paris en résolution d'y entrer, elle ne l'empêcherait pas du passer outre.[T.I pag.194]

      «Par les avis que je reçois, je vois que la disposition de la ville de Paris est aussi bonne qu'elle a jamais été; que le roi est en état d'en profiter, et que tout le monde s'applique à la cour, afin que Sa Majesté le puisse faire avec une entière sûreté. Sur quoi j'ai écrit comme je devais, étant de votre avis qu'un semblable coup peut extrêmement contribuer à rétablir l'autorité du roi et mettre ses affaires en tel état, que, quand il sera contraint à continuer la guerre étrangère et domestique, ayant Paris de son côté, il en ait plus de moyen et de facilité.

      «Je crois que ce que vous me dites de faire la réunion du parlement dans le Louvre est en cas qu'il ne se fit point d'accommodement. Car cela étant, il serait bien plus avantageux, et pour le roi, et pour vous autres, Messieurs[328], que les officiers qui sont à Paris sortissent pour tenir quelques séances à Pontoise. A quoi j'estime d'autant plus qu'ils consentiraient, que M. de Besançon m'a assuré de la part de M. de Nesmond que, si le roi les mandait pour aller à Saint-Germain, ils y obéiraient très-volontiers. Je lui ai fait réponse là-dessus que je ne me mêlais de rien; mais que, s'il avait quelque chose à proposer, il se devait adresser ou à vous ou à quelqu'un des ministres du roi.»

      Cette lettre, destinée à être montrée aux membres du parlement siégeant à Pontoise, est loin d'exprimer toute la pensée de Mazarin: il glisse rapidement sur son désir de rentrer à Paris avec la cour, et il ne parle que de l'in[T.I pag.195]térêt public dans une circonstance où il était dirigé avant tout par son intérêt personnel. Quant à la disgrâce de l'abbé Fouquet, il s'en tait aussi bien que le procureur général, quoiqu'elle fut la véritable cause du ton de dignité offensée qu'on remarque dans la première partie de la lettre de ce dernier. Mazarin se borne à expliquer pourquoi il a dû soumettre la question de la paix au conseil du roi. Avec l'abbé Fouquet, le cardinal est beaucoup plus explicite: il ne craint pas d'aborder le point délicat. Il montre à son confident qu'il s'est trompé sur les dispositions de Condé et de madame de Châtillon; mais il conserve l'espoir qu'il pourra diriger, par l'intermédiaire de Goulas, une négociation séparée avec le duc d'Orléans et le déterminer à se retirer dans son apanage de Blois. Enfin Mazarin insiste sur son vif désir de rentrer à Paris avec le roi. «J'avais eu quelque chagrin, lui écrit-il, de ce que vous n'étiez plus retourné à Paris, et qu'on eût employé un autre que vous en la négociation avec Son Altesse Royale; mais je vois que les choses continuent toujours à se traiter par l'intelligence qui est entre votre frère et M. Goulas. Je m'assure que l'affaire ne changera point de face et que vous aurez l'un et l'autre la principale part à la conclusion, à laquelle il me semble que l'opiniâtreté de M. le Prince, la bonne intention de M. Goulas et beaucoup d'autres raisons contribuent extrêmement.

      «J'attends cependant avec impatience des nouvelles de ce qui se devait dire en la conférence qui devait être faite, si l'accommodement se peut faire avec Son Altesse Royale en la manière que vous me l'écrivez, et qu'elle[T.I pag.196] demeure d'accord de s'en aller dans son apanage. C'est tout ce que nous saurions souhaiter, et ce serait un grand malheur s'il demeurait à Paris gouverné par M. le cardinal de Retz, M. de Châteauneuf et autres de cette cabale-là, puisque, par ce séjour, nous serions exposés aux mêmes inconvénients où l'on est tombé par le passé.

      «Je vous remercie du conseil que vous me donnez de m'approcher, et du désir que vous témoignez que je sois en état de pouvoir accompagner le roi à Paris. Je vous avoue confidemment que c'est une chose que je souhaiterais, et pour la dignité de Leurs Majestés, et pour ma réputation, et pour l'avantage qu'en retireront messieurs du parlement de Paris qui est à Pontoise, par le concert avec lequel on agirait en toutes choses, et surtout par l'intelligence que j'aurais avec M. votre frère, duquel je ferai toujours une estime particulière, et je m'y fie à un tel point que je n'oublierai rien, afin qu'il soit toute ma vie un de mes plus intimes amis.

      «Je fais donc état de partir un de ces jours pour aller à Sedan. Je ne m'avancerai pas plus avant, mais je me tiendrai prêt pour me rendre en diligence à la cour, aussitôt que l'on le jugera nécessaire, et comme vous avez bien pris d'autres peines pour moi, je m'assure que vous ne refuserez pas de prendre encore celle de m'écrire toujours quand vous aurez quelque chose d'important à me faire savoir sur ces sujets ou sur tel autre que ce puisse être.

      «J'avais oublié de vous dire que je sais de source certaine que le cardinal de Retz est dans le dernier bien[T.I pag.197] avec M. de Lorraine, de façon que, s'il est vrai, comme tout le monde dit, que celui-ci ait tout pouvoir sur l'esprit de M. le Prince, il ne faut pas douter qu'il ne vienne à bout de seconder ledit cardinal, dans la pensée que, pendant que lui et M. le Prince tiendront la campagne avec les ennemis, ils auront Son Altesse Royale de leur côté, le laissant entre les mains du cardinal de Retz, qui paraît agir de concert en toutes choses avec madame de Chevreuse.»

      Cette insinuation contre madame de Chevreuse, qui avait pendant quelque temps soutenu énergiquement Mazarin, n'est pas la seule que l'on trouve dans les lettres du cardinal. Les Mémoires de Retz parlent aussi de tentatives de rapprochement qui eurent lieu à cette époque entre lui et l'hôtel de Chevreuse[329]: mais il ajoute qu'il ne s'y prêta pas. Ce qui est certain, c'est que les pamphlets du temps signalèrent ce rapprochement des chefs de la vieille Fronde et la conformité de leur génie. Une des mazarinades, intitulée la Vérité, insiste sur ce point: «On examine la conduite de la duchesse de Chevreuse; on n'y rencontre jamais qu'une importune suite de souplesses qui s'engagent insensiblement l'une après l'autre, et dont elle ne se dégage jamais. On examine l'économie du cardinal de Retz, et la même confusion la rend désagréable. La première ne vit que par les tempêtes qu'elle a soulevées: point d'ordre, point de calme, point d'économie dans sa conduite. Le cardinal de Retz ne se brouille pas[T.I pag.198] moins. Sa conduite n'est autre chose qu'une suite de souplesses entrelacées les unes avec les autres; il ne finit jamais, parce que, en sortant d'un abîme, il tombe dans un autre. Il a l'intrigue inépuisable.»

      L'abbé Fouquet, initié à tous les secrets de l'hôtel de Chevreuse, savait à quoi s'en tenir sur les avances que l'on faisait de ce côté au cardinal de Retz. On voulait amener Paul de Gondi à conclure un traité qui l'éloignât de Paris et du duc d'Orléans qu'il gouvernait. Ce qui inquiétait davantage l'abbé Fouquet, c'était le parti qui se formait à la cour contre lui, et qui déjà lui avait infligé une sorte de disgrâce. Un de ses amis, qui avait suivi le cardinal dans son exil, lui donna sur ce point d'utiles

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