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      Cependant, avant d'en venir aux dernières extrémités, on tenta de traiter avec le cardinal. La reine avait fait sonder ses dispositions par madame de Chevreuse et par la princesse palatine, Anne de Gonzague. Retz répondit, si on l'en croit, aux avances de la première avec une froide politesse. Quant à la Palatine, il avait plus de confiance en elle, et il ne refusa pas d'entrer en négociation. Il prétend même que la cour était si pressée de traiter, qu'on lui envoya un des secrétaires d'État, Abel Servien, celui-là même qui avait négocié la paix de Westphalie. On lui aurait offert, outre l'ambassade[T.I pag.212] de Rome et l'intendance des affaires du roi en Italie, le payement de la plus grande partie de ses dettes. En un mot, comme il le dit lui-même[348], on voulait lui faire un pont d'or pour qu'il sortit de Paris et laissât la place libre au cardinal Mazarin. Ces offres magnifiques tentèrent un instant la vanité de Retz; mais il aurait, dit-il, regardé comme une lâcheté de sacrifier à son avantage personnel les intérêts de ses amis, de Brissac, d'Argenteuil, de Montrésor, de Fontrailles et de tant d'autres frondeurs, qui avaient couru sa fortune et devaient partager son sort.

      Il ne faut croire qu'avec circonspection ces Mémoires de Retz, si spirituels, si piquants, mais composés longtemps après les événements pour amuser madame de Caumartin et faire ressortir l'héroïsme de l'auteur. Toutefois les lettres de Mazarin attestent à quel point il était préoccupé de la présence de Retz à Paris, de ses cabales, de son audace à tenter un coup de main. On a vu qu'il exhortait l'abbé Fouquet à se tenir sur ses gardes, et qu'il croyait Retz capable de se porter aux dernières extrémités[349]. Aussi l'abbé Fouquet prenait-il ses précautions; il avait à ses ordres des hommes de sac et de corde[350], de véritables coupe-jarrets, et le cardinal de Retz prétend qu'il tenta plusieurs fois de le faire assassiner[351]. Ce qui est certain, c'est qu'après la rupture[T.I pag.213] des négociations, l'abbé Fouquet redevint le principal antagoniste de Retz. Il lui tint tête partout où il le rencontra: «Vous connaissant comme je fais, lui écrivait Mazarin à la date du 21 novembre, je m'imagine de quel ton vous aurez parlé à M. le cardinal de Retz chez la personne où vous l'avez vu, et je ne doute point qu'étant aussi bien informé que vous l'êtes, de quelle sorte les choses se sont passées, vous ne lui en ayez dit librement vos sentiments; je compterai cela parmi tant d'autres choses de cette nature que vous faites pour l'amour de moi, et dont je ne perdrai jamais le souvenir.»

      Le cardinal de Retz ne se vante pas de la scène à laquelle fait allusion Mazarin, et qui eut probablement lieu à l'hôtel de Chevreuse. La fille de madame de Chevreuse, la jeune Charlotte de Lorraine, dont les amours ont été si outrageusement profanés par Retz, venait d'être enlevée par une fièvre maligne (7 novembre). Le cardinal rapporte qu'il visita madame de Chevreuse pendant la maladie de sa fille[352], et c'est probablement dans cette circonstance qu'il se trouva en présence de l'abbé Fouquet.

      Comme Retz tirait sa principale force du caractère épiscopal dont il était revêtu et des fonctions que lui laissait remplir l'archevêque de Paris, son oncle, l'abbé Fouquet conseilla au cardinal Mazarin de se servir du vieux Gondi pour enlever au coadjuteur toute autorité sur [T.I pag.214]le clergé. «J'ai fait réflexion, lui répondit Mazarin, à ce que vous me mandâtes dernièrement, que l'on pourrait obliger M. l'archevêque de Paris à faire une déclaration publique qu'il ne prétend point que le cardinal de Retz fasse aucune fonction d'archevêque, et qu'il défend à tous ceux de son diocèse de le reconnaître, et comme ce serait ôter au cardinal de Retz les principales armes dont il prétend se servir pour pouvoir demeurer à Paris, je crois, si la reine le jugeait à propos, qu'on ne doit rien oublier pour faire roussir cet expédient. Je vous prie d'y travailler sans perte de temps, après en avoir reçu les ordres de Sa Majesté.» L'abbé Fouquet fit sans doute, avec son zèle ordinaire, des démarches pour assurer le succès d'une mesure qu'il avait suggérée, et que rendait plus facile la jalousie de l'archevêque de Paris envers son neveu. En cas de succès, l'abbé Fouquet eût pu devenir vicaire général et administrateur du diocèse de Paris[353]. Peut-être entrevoyait-il déjà la pourpre romaine, dont lui avait malicieusement parlé un de ses correspondants? Quoi qu'il en soit, il ne fut pas nécessaire d'employer contre Retz l'autorité archiépiscopale: il se laissa aveugler et tomba dans le piège que lui tendaient ses ennemis.

      Le roi avait donné l'ordre de l'arrêter. Pradelle[354], un des officiers de l'abbé Fouquet, était spécialement chargé de veiller à toutes les démarches de Retz et d'exécuter cet ordre. En cas de résistance, il devait le tuer. Il en avait commandement exprès, écrit de la[T.I pag.215] main de Louis XIV[355]. La difficulté était d'attirer le cardinal hors de l'archevêché, où il s'obstinait à rester enfermé sous la garde d'un bon nombre de gentilshommes d'un dévouement à toute épreuve. Il fallut user de ruse pour le faire sortir de sa forteresse: une des femmes qui avaient le plus de crédit sur Retz le décida. La duchesse de Lesdiguières, dans laquelle il avait une pleine confiance et qu'il croyait bien instruite des projets de la cour, le pressa de se rendre au Louvre, en lui disant que, s'il pouvait y aller en sûreté, la bienséance exigeait qu'il s'y présentât. Retz objecta qu'il ne pouvait le faire avec sûreté. «N'y a-t-il, reprit madame de Lesdiguières, que cette considération qui vous arrête?» Sur la réponse affirmative du cardinal, elle ajouta: «Allez-y demain; car nous savons le dessous des cartes[356].» Sur cette affirmation d'une personne qu'il croyait sincère et bien avertie, le prélat oublia sa prudence ordinaire, et, pour un homme réputé habile, fit une faute étrange. A peine eut-il mis le pied au Louvre, le 19 décembre 1652, qu'il fut arrêté par le capitaine des gardes Villequier, transféré immédiatement à Vincennes sous bonne escorte et enfermé dans le château.

      Ce fut l'abbé Fouquet, qui, le premier, avertit Mazarin de ce coup décisif. La réponse du cardinal est curieuse; il s'efforce de dissimuler sa joie, et affecte des regrets hypocrites. «C'est votre courrier, écrit-il à l'abbé Fouquet (24 décembre), c'est votre courrier qui m'a apporté le premier la nouvelle que le cardinal de[T.I pag.216] Retz avait été arrêté par ordre de Leurs Majestés. Je suis marri que sa conduite les ait obligées à prendre cette résolution contre un cardinal, et, à la vérité, il parait assez par les offres avantageuses qu'ils avaient eu la bonté de lui faire pour l'envoyer à Rome, dissimulant tout ce qu'il avait recommencé à faire contre leur service, qu'elles s'y sont portées avec grande répugnance, mais enfin je n'ai rien à dire à ce qu'elles font pour le bien de l'État.»

      Le cardinal de Retz s'était persuadé qu'à la première nouvelle de son arrestation les Parisiens prendraient les armes; mais personne ne bougea. Quelques-uns de ses partisans, et entre autres le marquis de Château-Renaud[357], cherchèrent vainement à soulever les quartiers dont les habitants paraissaient dévoués à Retz; ils trouvèrent, dit le cardinal lui-même[358], les femmes dans les larmes, et les hommes dans l'inaction et la frayeur. Retz et ses partisans se trompaient d'époque; ils se croyaient encore au temps on l'on élevait des barricades pour Broussel[359] et pour quelques conseillers du parlement, tandis que le peuple de Paris, corrigé par une rude expérience, était las de ces agitations factieuses et aspirait au repos. Restait la cour de Rome, qui pouvait s'irriter de l'arrestation d'un prince de l'Église. Mazarin se chargea de l'apaiser. Il écrivit au pape pour lui faire connaître les motifs de cette mesure. «Le cardinal de Retz, lui disait-il, se laissant emporter à son[T.I pag.217] naturel, qui est très-fier, a fait vanité de ne rien craindre et l'a publié. Comme si la dignité, de laquelle il est redevable au roi, le rendait indépendant de son autorité, et qu'il lui fui permis de violer le respect que sa sujétion établit, ainsi que les lois les plus saintes de la monarchie, il s'est exempté de venir au Louvre, et en a déclaré les raisons qu'il avait: que c'était un lieu où il pouvait être arrêté; qu'ailleurs il était en sûreté,» etc. Après avoir rappelé tout ce que la cour avait fait pour gagner le cardinal de Retz, Mazarin montrait en lui un rebelle obstiné, que le roi avait justement puni de ses crimes envers l'État.

      L'arrestation du cardinal de Retz fut le coup de mort pour la Fronde. Depuis cette époque, le parlement, déjà abattu, rentra décidément dans le devoir. La bonne bourgeoisie manifesta hautement ses sentiments, et les voix qui tentèrent de protester furent facilement étouffées. Le rôle des deux Fouquet avait été, dans ces circonstances, utile et honorable. Ils n'avaient pas dévié un instant de la voie qu'ils s'étaient tracée. L'un

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