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tint la plume, comme on disait alors, avait un esprit piquant, libre et hardi pour un homme de cour. Il sut tenir tête aux Condé[330]. Je pense que la lettre suivante est de lui. Ce qui est certain, c'est qu'elle fait bien connaître la situation de l'abbé Fouquet à cette époque, les accusations de ses ennemis, les espérances ambitieuses qu'ils lui prêtaient, et l'estime qu'en faisait Mazarin.

      «Je ne m'étais pas trompé, quand je vous ai écrit que vous ne manqueriez pas d'envieux qui tâcheraient de[T.I pag.199] censurer votre conduite pour vous discréditer. Diverses personnes de la cour ont écrit contre vous, vous accusant particulièrement d'être contraire à l'affaire de Paris[331], soit parce qu'on ne vous en avait pas donné part dans le commencement, ou parce que vous aviez si fort dans l'esprit l'accommodement de M. le Prince, par lequel même on marque que vous prétendiez vous élever à la pourpre, que vous ne pouviez goûter aucune autre voie que l'on voulût prendre pour avancer le service du roi. On a été jusqu'à dire que, quelque esprit qu'eût madame de Châtillon, ses yeux sont encore plus éloquents que sa bouche, et qu'il n'y a point de raisons qui ne cèdent à leur force. Enfin, ils concluaient que tout le monde connaissant à présent clairement que M. le Prince ne veut point de paix, la passion que vous témoigniez était une marque, ou de peu de clairvoyance, ou d'opiniâtreté, ou de préoccupation. Mais je vous puis assurer sans déguisement que tout ceci ne vous a point nui auprès du patron, et que vous y êtes mieux que jamais. Je vous supplie cependant de tenir ce que dessus secret, parce qu'il serait bien difficile, si vous en témoigniez quelque chose, qu'on ne se doutât que c'est moi qui vous en ai averti, M. le Tellier étant un de ceux qui vous a porté le plus de charité.

      «Aussitôt que Son Éminence vit que l'on vous avait substitué M. d'Aligre, elle me témoigna en être fort fâchée. Je lui dis que, si on pouvait vous accuser de quelque[T.I pag.200] chose, ce ne saurait être que de n'avoir peut-être pas assez d'expérience pour les grandes affaires. Il me répliqua que vous aviez assez de capacité, et que vous étiez connu pour un homme d'honneur; que tout le monde, par cette raison, se fierait en vous, et que vous étiez plus propre qu'aucun autre à cette négociation, outre que Goulas étant un de vos amis, il serait plus aise de traiter avec vous qu'avec aucun autre; enfin, qu'en toutes façons, il ne faisait aucune comparaison de M. d'Aligre avec vous, et qu'il était marri de ce choix. Ce qu'il m'a encore confirmé ce matin dans son lit, et m'a chargé de vous le mander, ne voulant pas vous en écrire lui-même.

      «Je vous supplie de nous faire retourner bientôt à Paris en quelque façon que ce soit, car ce n'est que là que je peux rétablir ma santé, qui est encore languissante. Il n'y a point de nouvelles de la cour dont je sois si curieux et si impatient, que de savoir comment je suis en l'honneur de votre bienveillance; car n'ayant reçu aucune marque de votre souvenir depuis votre départ, je ne sais point si vous ne m'avez point disgracié, quoique je sois plus que jamais votre très-humble serviteur.»

      Les lettres de Mazarin à l'abbé Fouquet prouvent également qu'il avait conservé toute la confiance du cardinal. C'est à lui que Mazarin s'en remet du soin de gagner les Parisiens pour préparer sa rentrée dans la capitale en même temps qu'aura lien celle du roi. «Leurs Majestés, lui écrivait-il le 17 octobre, s'approchent de Paris avec un dessein formé d'y entrer. Je vois que[T.I pag.201] c'est une résolution prise et qui ne peut être que très-utile; mais je vous dirai confidemment que j'aurais souhaité pour la dignité du roi, pour l'intérêt même des Parisiens, pour celui du parlement qui est à Pontoise, et particulièrement des amis que j'ai dans cette compagnie, et pour ma propre réputation[332], que l'on eût fait en sorte que j'eusse eu l'honneur d'y accompagner Leurs Majestés. A quoi ce me semble on n'aurait pas trouvé d'obstacle. Si les choses étaient encore en cet état, comme je le crois, que cela se pût faire, je me promets que vous y contribueriez en tout ce qui dépendrait de vous pour me donner cette nouvelle marque de votre amitié.»

      Mazarin n'obtint pas la satisfaction qu'il désirait si vivement; mais du moins la victoire du parti royaliste fut complète. Condé, abandonné depuis longtemps par le duc d'Orléans, avait quitté Paris en même temps que le duc de Lorraine (15 octobre). La cour était venue s'établir à Saint-Germain, où elle avait reçu des députations des bourgeois pour presser le roi de rentrer dans Paris. Déjà le maréchal de l'Hôpital avait été rétabli dans la dignité de gouverneur, et l'ancien prévôt des marchands, le conseiller Lefèvre, était rentré en fonctions (17-19 octobre). Cependant Mazarin, qui suivait les mouvements des partis et qui recevait sans cesse les avis les plus détaillés, était loin d'être sans inquiétude. La présence du cardinal de Retz à Paris et l'influence[T.I pag.202] qu'il exerçait sur le duc d'Orléans le préoccupaient vivement. «On m'assure, écrivait-il à l'abbé Fouquet (17 octobre), que madame de Chevreuse et le cardinal de Retz sont dans la meilleure intelligence; que beaucoup de personnes sont de cette intrigue, et qu'assurément il y a sur le tapis quelque chose qui doit bientôt éclater. Je vous prie de dire au fidèle[333] d'y prendre bien garde et de tâcher de pénétrer ce qui en est par le moyen qu'il a, puisqu'il n'y en peut avoir de meilleur[334]. C'est, à mon avis, la chose à laquelle on doit le plus s'appliquer dans l'état présent des affaires. Je vous prie d'en parler à la reine, et il serait bon aussi de savoir de la Palatine ce que le cardinal de Retz se promet[335]. On dit qu'il est raccommodé avec M. le Prince par le moyen du duc de Lorraine, et que tous les deux contribuent à le rendre maître de l'esprit de Son Altesse Royale. Je ne le crois pas tout à fait; mais on doit tout appréhender du naturel des gens à qui nous avons affaire.»

      Ce qui paraît certain, au milieu des intrigues compliquées de cette époque, c'est que Retz ne négligea rien pour s'emparer de l'esprit du duc d'Orléans[336] et lui inspirer des résolutions énergiques. Tout ce qu'il put obtenir du prince fut de rester au Luxembourg et d'y at[T.I pag.203]tendre l'arrivée du roi. Gaston, qui avait eu un si triste rôle pendant la Fronde, ne pouvait compter ni sur le peuple ni sur l'armée. A la première injonction, il se retira à Blois. Louis XIV fit son entrée à Paris le 21 octobre au milieu des acclamations qui saluaient le retour de l'ordre et de la paix, après avoir trop souvent retenti en l'honneur des factions et même des armées étrangères[337]. Le lendemain, le roi tint au Louvre un lit de justice et fit lire quatre déclarations. Par la première, il accordait l'amnistie; la seconde rétablissait le parlement à Paris; la troisième exilait un certain nombre de frondeurs et défendait au parlement de se mêler des affaires publiques. Enfin, par la quatrième, le roi instituait une chambre des vacations.[T.I pag.204]

       Table des matières

      —OCTOBRE-DÉCEMBRE 1652—

      L'abbé Fouquet est chargé par Mazarin de préparer son retour à Paris, et de soutenir ses intérêts auprès de la reine Anne d'Autriche (21 octobre).—Nécessité de punir les chefs de la révolte et surtout de faire sortir de Paris le cardinal de Retz.—L'abbé Fouquet doit insister sur ce point auprès du procureur général son frère.—Mazarin conseille d'envoyer Retz en ambassade à Rome.—Il engage l'abbé Fouquet à se tenir en garde contre les violences de Retz, qui a juré de se venger de lui.—Nouvelles instances de Mazarin auprès des deux Fouquet pour qu'ils disposent les esprits en sa faveur, et que les arrêts du parlement contre lui soient annulés par une déclaration royale.—Zèle de l'abbé Fouquet et du procureur général pour ruiner les ennemis de Mazarin, et particulièrement le cardinal de Retz.—Négociations avec ce prélat; elles sont rompues.—Lutte de l'abbé Fouquet contre Retz; il lui tient tête partout et propose de lui enlever l'autorité épiscopale dans Paris.—Arrestation du cardinal de Retz (10 décembre).—L'abbé Fouquet en avertit le premier Mazarin; ruine du parti de la Fronde.—Services rendus par les deux Fouquet.—Leur avidité et leur ambition.—Promesses de Mazarin.

      Le jour même où le roi rentrait à Paris (21 octobre), Mazarin écrivait à l'abbé Fouquet: «Prenez bien garde que l'on formera des difficultés pour empêcher ou au moins pour retarder mon retour, particulièrement après que les Parisiens seront satisfaits par celui du roi en leur ville. Le cardinal de Retz ne sera pas un de ceux qui y travailleront le

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