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déjà l'on dit qu'il me le fera acheter par rétablissement de la fortune de tous ses amis; mais cela ne me mettrait guère en peine, car si M. le Prince avait une véritable envie de s'accommoder, et que l'intérêt du roi obligeât Sa Majesté à consentir à toutes les choses qu'il demande, je serais le premier à prendre la hardiesse de les conseiller à Sa Majesté. Il me serait aisé de faire voir que ce n'aurait pas été par le motif de mon retour à la cour, puisque je ne bougerais pas d'ici[315] ou de Sedan.

      «J'écris au long à M. le Tellier sur toutes les choses que vous avez rapportées. C'est pourquoi je ne vous fais pas une longue lettre, vous priant seulement de m'aimer toujours et de croire que vous n'aurez jamais meilleur ami que moi, et d'assurer M. votre frère de la même chose.»

      Le 9 octobre, Mazarin revenait avec une nouvelle insistance sur l'impossibilité de se fier au prince de[T.I pag.175] Condé: «Je suis surpris de voir que vous n'ayez pas encore reconnu que M. le Prince ne veut point d'accommodement, et que toutes les vétilles auxquelles il s'arrête sont des prétextes qu'il prend et non pas la véritable cause qui l'empêche de conclure, ce qui est si vrai que si on pouvait, sans exposer à un dernier mépris l'autorité du roi, lui accorder non-seulement les choses auxquelles il insiste, mais même d'autres pour ses intérêts ou ceux de ses amis, je mettrais ma vie qu'il ne s'accommoderait point, et je ne hasarderais point grande chose, sachant dans quel engagement il est encore de nouveau avec les Espagnols par des promesses positives que Saint-Agoulin[316] a fait de sa part au roi d'Espagne, et par celles qu'il a fait faire au comte de Fuensaldagne, lequel n'a jamais été plus assuré qu'il ne l'est à présent de M. le Prince. Quelque chose qu'on lui puisse offrir, il ne conclura rien qu'au préalable le roi d'Espagne n'ait reçu les satisfactions qu'il souhaite pour la paix générale. Et comme il y a diverses personnes à Paris du parti de M. le Prince qui savent ce que dessus, je croyais qu'il vous aurait été aisé de l'apprendre.

      «Je vous dirai encore, dans la dernière confidence, que les Espagnols se tiennent aussi assurés de madame de Châtillon qu'ils le sont de M. le Prince, et que Viole et Croissy[317] savent cela encore mieux que moi. Je vous conjure de n'en parler à qui que ce soit: car vous[T.I pag.176] savez à quel point je me fie en vous, mais croyez qu'il n'y a rien de si vrai que ce que je vous dis.

      «Vous vous souviendrez bien qu'à Sedan vous me témoignâtes que vous croyiez que M. le Prince s'accommoderait à de bien moindres conditions que celles que vous lui avez portées, et peut-être qu'en ce temps madame de Châtillon avait d'autres idées que celles qu'elle a présentement.

      «Hier au soir, j'ai eu nouvelle que le gouverneur de Charlemont avait dit que M. le Prince avait dépêché au comte de Fuensaldagne, depuis que vous traitiez avec lui, pour l'avertir de ne s'alarmer pas, quelque chose qu'il entendît dire de son accommodement, à cause des conditions avantageuses qu'on lui offrait, et qu'il fût bien assuré qu'il tiendrait la parole qu'il lui avait donnée; mais qu'il était obligé de se conduire d'une certaine façon, afin d'entretenir les peuples de l'union avec S.A.R., leur faisant toujours croire qu'il avait passion de s'accommoder, et se servant de divers prétextes pour ne le faire pas.

      «Pour ce qui est de la peur dans laquelle vous étiez, par la tendresse que vous avez pour moi, que la délibération que l'on devait faire dans le conseil du roi ne me fit tort, vous n'en devez point avoir d'inquiétude; car je vous assure que je n'en ai pas la moindre, quelque chose que l'on y puisse résoudre, tant je suis persuadé que rien n'est capable de faire accommoder présentement M. le Prince.

      «Au reste, si l'on trouve que j'aie jamais promis des lettres de duc à madame de Châtillon et le rétablissement[T.I pag.177] des fortifications de Taillebourg[318], je veux passer pour un infâme, n'ayant jamais dit autre chose, à l'égard du prince de Tarente, si ce n'est que le roi ferait examiner favorablement ses raisons pour le rang qu'il prétend; et que pour les dommages qui avaient été faits en sa maison, M. le Prince pourrait donner telle somme que bon lui semblerait sur celle que le roi lui accorderait.»

      Dans la suite de cette lettre, Mazarin se plaint vivement de la prolongation de son exil, qui, d'après les promesses qu'on lui avait faites, ne devait durer que peu de temps. Il aurait voulu que son innocence fût proclamée par le parlement de Pontoise. L'on sent percer dans cette partie de sa dépêche l'impatience et l'inquiétude. «Je suis assuré, écrivait-il, de divers parlements qui n'attendent que de recevoir la déclaration de mon innocence pour rectifier les affaires. Il me semble que je me suis conduit en sorte, depuis ma retraite de la cour, que je n'ai pas démérité des bonnes intentions que les principaux du parlement de Pontoise, qui savent le secret, avaient pour moi. Je devais être éloigné de la cour un mois, sans sortir du royaume. Cependant, il y en a tantôt deux que je suis parti, et trente-six jours que je suis en une petite chambre de ce château de Bouillon, sans que j'aie encore dit un seul mot, quoique vous sachiez que ce n'est qu'un trou, et que j'y suis exposé aux incuries du temps. Il ne m'est pas même possible de me parer du vent et de la pluie; mais comme[T.I pag.178] je me fie autant en M. votre frère qu'en moi-même, je m'assure qu'il n'oubliera rien pour surmonter tous les obstacles que l'on pourra faire à ma justification, étant ce me semble assez raisonnable qu'un homme qui a toujours été innocent cesse d'être criminel.

      «Je suis en peine si vous avez reçu ma dépêche du 24 du passé, dont vous ne m'avez rien mandé. Je m'assure que si vous voyez quelque chose qui n'aille pas bien pour mes intérêts, vous m'en avertirez avec l'affection que vous m'avez toujours témoignée, et que vous et M. votre frère profiterez auprès de MM. de Chavigny et Goulas de la mauvaise intention de M. le Prince pour les obliger à porter S.A.R. à se réunir avec Leurs Majestés, à quoi vous servira beaucoup la brouillerie que vous me mandez être entre M. le Prince et M. de Chavigny.»

      La colère de Condé contre Chavigny, à laquelle Mazarin fait allusion dans cette lettre, devint fatale à l'ambitieux négociateur. Le prince était malade, comme on l'a dit plus haut. Chavigny alla le visiter; mais il en fut très-mal reçu. Condé s'emporta avec sa violence ordinaire; ses paroles furent si amères et probablement si vraies dans leur rudesse, qu'elles émurent profondément Chavigny; il fut saisi de la fièvre, et en rentrant chez lui, il se mit au lit pour ne plus se relever. Le cardinal de Retz alla le voir, mais Chavigny ne le reconnut pas. Il en fut de même du prince de Condé. Ce dernier étant dans la chambre où expirait Chavigny: Ce fut chez moi, dit-il, que le mal lui prit.—Il est vrai, répliqua la duchesse d'Aiguillon, il est vrai, monsieur, ce[T.I pag.179] fut chez vous qu'il prit le mal; ce fut chez vous, en effet. Son ton et son geste, ajoute Conrart[319], faisaient assez entendre sa pensée.

      Ainsi se termina, à l'âge de quarante-quatre ans, une vie empoisonnée par l'ambition. Chavigny, au milieu des richesses, affectait une indifférence philosophique pour les honneurs et même le rigorisme religieux; mais il ne sut jamais ni se résigner au repos ni saisir le pouvoir qu'il poursuivait avec une ardeur passionnée. Il espéra d'abord arriver à la direction des affaires par le testament de Louis XIII; mais il se vit annulé dans le conseil par Mazarin. Il tenta ensuite de faire une cabale dans le palais du duc d'Orléans et de dominer ce prince; mais il fut supplanté par l'abbé de la Rivière. Il voulut profiler des désordres de la cour et du parlement pour devenir leur arbitre, et s'élever au premier rang dans le conseil; il en fut puni par la prison et l'exil. L'intrigue qu'il noua en 1649, avec le duc de Saint-Simon et le prince de Condé[320], n'aboutit qu'à l'arrestation des princes. Lorsque le cardinal eut quitté la France en 1651, Chavigny revint à Paris et entra au ministère, mais ce fut pour quelques mois seulement; il ne fit qu'y semer la discorde et y recueillir l'exil. Enfin sa dernière négociation fut une de ces menées souterraines où il chercha à tromper tout le monde: Mazarin, en lui promettant de le réconcilier à la fois avec le duc d'Orléans et avec Condé: les deux princes, en s'en servant[T.I pag.180] pour parvenir au pouvoir. Mais sa politique égoïste fut enfin démasquée, et il périt victime de son ambition.

      Saint-Simon, le grand peintre du dix-septième siècle, a saisi avec sa vigueur ordinaire les principaux traits de cette physionomie, mais en mêlant le vrai et le faux: «Il est difficile, dit-il[321], d'avoir un peu lu des histoires et des Mémoires de Louis XIII, et de la minorité du roi son fils, sans y avoir vu M. de Chavigny faire d'étranges personnages auprès du roi, du cardinal de Richelieu,

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