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qu'il n'y a qu'une action de cette qualité qui puisse tout bien rétablir, et qu'elle est si facile et si indubitable, qu'il n'y a point de gens qui osent la contrarier, si ce n'est par jalousie. L'armée des princes étant décampée favorisera le passage du roi. On fortifiera les gardes des autres troupes, le roi, demeurant maître de deux portes qu'il ne faut plus jamais quitter, ira et viendra comme il lui plaira. La Bastille n'oserait refuser d'obéir en donnant quelque médiocre récompense[327], et, dans cette première joie, en prenant bien ses avantages, le[T.I pag.187] roi peut tout ce qu'il voudra. La conjoncture de la maladie de M. le Prince est favorable. Il n'y faut pas perdre un moment. Ni les Lorrains ni les Espagnols ne s'engageront point dans Paris, et bientôt vous aurez la paix, ou du moins la guerre au dehors.

      «Je supplie Votre Éminence et la conjure de considérer que ce que j'écris n'est point intéressé; que tous ceux qui n'ont point de jalousie les uns contre les autres pour traverser leurs avis ou se prévaloir du désordre sont tous dans ce sentiment. Tous ceux de notre compagnie, après s'être bien éclaircis du dedans de Paris dont chacun reçoit par jour plusieurs lettres, sont tous dans la même pensée. MM. les présidents de Novion, le Coigneux, de Mesmes, M. Ménardeau, mon frère, et cinq ou six autres conseillers, et généralement tous conviennent d'un même principe. Nous savons tout ce qui se dit au contraire; nous savons les sentiments de ceux du conseil, et, après tout bien examiné, nous convenons tous, sans aucune contradiction, qu'il faut promptement, ou l'accommodement en quelque manière que ce soit, comme il est proposé, ou le voyage du roi prompt à Paris, et nous croyons la chose si certaine, que nous irons tous avec le roi et donnerons les arrêts que l'on voudra dans le Louvre. Tous ceux qui restent un peu bien intentionnés se joindront à nous, et les autres, auteurs du mal, n'osant y paraître, le roi sera maître des délibérations. Ce que j'écris à Votre Éminence est au nom de tous ces Messieurs, qui m'ont chargé de vous écrire, et qui vous écriraient aussi s'ils avaient un chiffre. Nous supplions Votre Éminence de[T.I pag.188] nous faire savoir une réponse prompte, les moments étant précieux en cette occasion.»

      Il y a, dans toute cette lettre, un ton du vigueur et de fermeté qui atteste que les Fouquet avaient le sentiment de leur importance et des services qu'ils rendaient au cardinal. On y sent en même temps l'autorité d'un parti triomphant, qui croit pouvoir ramener le roi dans son Louvre et qui s'indigne de retards pusillanimes. Mazarin était le principal auteur de ces délais, parce qu'il aurait voulu accompagner Louis XIV dans sa rentrée solennelle à Paris. Mais, n'osant pas découvrir le fond de sa pensée, il s'attacha, dans sa réponse à Nicolas Fouquet, à expliquer et à justifier la rupture des négociations avec les princes.[T.I pag.189]

       Table des matières

      —OCTOBRE 1652—

      Inquiétude que les divisions du parti royaliste inspirent à Mazarin.—Dans sa réponse au procureur général (12 octobre), il montre que le prince de Condé n'a jamais traité avec sincérité et que n'espérant pas conclure la paix avec lui, il a dû en référer au conseil du roi.—Il est disposé, quant à lui, à demeurer exilé toute sa vie si le service du roi l'exige, et approuve le projet de ramener le roi à Paris.—Peu de sincérité de cette lettre.—Mazarin est plus explicite avec l'abbé Fouquet: il exprime le désir de voir continuer les négociations particulières avec Goulas, et souhaite que l'on détermine le duc d'Orléans à se retirer dans son apanage.—Mazarin souhaite vivement entrer à Paris avec le roi; il va se rendre à Sedan et se tenir prêt à rejoindre la cour, dès qu'il sera nécessaire.—Inquiétude que lui inspirent le cardinal de Retz et ses relations avec l'hôtel de Chevreuse.—L'abbé Fouquet reçoit d'un des confidents de Mazarin des renseignements sur les causes de sa disgrâce.—Il conserve toute la confiance du cardinal, qui le charge de hâter son retour, au moment où la cour se rapproche de Paris.—Départ de Condé et du duc de Lorraine (13 octobre).—Entrée du roi à Paris (21 octobre).

      Mazarin voyait avec peine la division se mettre dans le parti royaliste au moment où son triomphe semblait assuré. Il se hâta d'écrire au procureur général et à l'abbé Fouquet pour les apaiser. Il parla au premier avec les ménagements qu'exigeait la dignité d'un magistrat, interprète des opinions et des vœux du parlement fidèle. Quant à l'abbé Fouquet, il s'efforçait de[T.I pag.190] lui ouvrir les yeux et de lui prouver qu'il était dupe de madame de Châtillon, mais il évitait de blesser la vanité d'un partisan aussi dévoué. C'est seulement dans la lettre d'un confident du ministre que l'on trouve toute sa pensée. Ce dernier plaisante l'abbé Fouquet sur l'influence qu'exercent les beaux yeux de madame de Châtillon, et, en même temps, il lui fait entendre que c'est le secrétaire d'État le Tellier qui l'a desservi près de la reine, et lui a fait enlever la direction de la négociation avec les princes. Le ton de ces trois lettres marque bien les nuances et fait connaître les intrigues secrètes qui s'agitaient à la cour en l'absence du cardinal. Voici d'abord la lettre que Mazarin écrit au procureur général, Nicolas Fouquet, en réponse à ses plaintes:

      «Je vous suis très-obligé des bons avis que vous me donnez de concert avec MM. les présidents, auxquels je vous prie d'en faire mes remercîments, et de les assurer que je conserverai toujours une particulière reconnaissance de l'affection qu'ils me témoignent. Il n'y aurait rien de plus fort ni de plus judicieux que le raisonnement que vous faites touchant l'accommodement avec les princes, si le principal fondement sur lequel vous l'établissez pouvait subsister; mais vous présupposez que M. le Prince donnerait volontiers les mains à l'accommodement, et il n'y a rien de si certain que jamais il n'en a été plus éloigné qu'à présent et n'a été plus persuadé de pouvoir aisément faire réussir ses desseins, étant pour cet effet entré en de nouveaux engagements avec les Espagnols, qui sont si étroits et si précis,[T.I pag.191] que, quand même il lui viendrait des pensées de s'accommoder, il ne passerait pas outre, qu'au préalable il ne leur eût fait donner satisfaction par la paix générale, comme il est porté par son traité, et comme depuis peu il en a fait faire des promesses positives de sa part à don Louis de Haro par Saint-Agoulin, qui est en Espagne, et à Fuensaldagne par Saint-Romain et par d'autres qu'il lui a dépêchés après lui, le priant de ne concevoir aucun soupçon du contraire sur le bruit des négociations qui seraient sur le tapis, auxquelles il était obligé de prêter l'oreille, pour ne s'attirer pas la haine des peuples et pour ne donner pas sujet à M. le duc d'Orléans de se séparer de lui. C'est la pure vérité que je vous dis, et je n'ai pas eu grande peine à me confirmer dans cette créance, après avoir vu le refus qu'il a fait des marques si extraordinaires de la bonté du roi, que M. l'abbé Fouquet lui avait portées; de sorte que ce n'est pas le plus ou le moins des conditions du traité qui en arrête la conclusion, mais le défaut de volonté en M. le Prince.

      «Je demeure d'accord de ce que vous dites que, pour rétablir l'autorité royale, pacifier le dedans du royaume et faire cesser les maux que la guerre civile fait souffrir, le roi se devrait beaucoup relâcher, et vous voyez bien aussi à quel point on l'a fait, puisque toute la cour en a murmuré jusqu'à dire que je faisais bon marché de l'intérêt du roi, parce que cela servait au mien particulier. Enfin, il est assez vraisemblable que, si M. le Prince avait eu la moindre disposition à s'accommoder, il ne se serait pas arrêté de le faire pour[T.I pag.192] la suppression de la cour des aides et pour procurer plus ou moins d'avantages au comte du Daugnion.

      «En outre, il faut considérer que M. le duc d'Orléans, qui témoigne une si grande passion de faire son accommodement avec M. le Prince, est tombé d'accord qu'on lui accorde plus de grâces qu'on ne devait. En dernier lieu, S.A.R. et M. de Lorraine se sont laissés entendre sur ce sujet à diverses personnes, qu'on n'avait pas grand soin à la cour de ménager la dignité du roi, et vous aurez même su que M. de Châteauneuf a publié partout qu'il avait offert de faire conclure l'accommodement à des conditions bien plus honorables et plus avantageuses pour Sa Majesté que celles qu'on a envoyées à M. le Prince par M. votre frère.

      «Il est vrai que, lorsque j'ai vu que tout ce qui se traitait avec M. le Prince était public, tant à Paris qu'à la cour, et qu'il n'y avait pas grande

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