Скачать книгу

trouvés réunis à Paris, pendant quelques mois, la Chronique a été interrompue, pour recommencer en 1837.

      1837

      Paris, 17 avril 1837.– Le nouveau Ministère, qui s'est constitué avant-hier, et qui est destiné à illustrer la date du 15 avril, puisque c'est par des dates qu'on désigne les différentes administrations, le nouveau Ministère, dis-je, aura une rude guerre à soutenir; je désire, pour son chef, M. Molé, qu'il s'en tire honorablement. Le Journal de Paris fait de la franche opposition doctrinaire; le Journal des Débats, après l'oraison funèbre des sortants, promet paix et secours aux entrants; tout cela n'est ni sérieux, ni sincère, ni fidèle, ni stable, et je ne sais plus ni à qui, ni à quoi il est raisonnable de se fier dans les relations politiques. M. Royer-Collard est venu me voir ce matin avant d'aller à la Chambre des Députés; il n'avait pas l'air de croire que le nouveau Ministère pût traverser la session62.

      Nous avons eu parmi nos convives, à dîner, M. Thiers qui a beaucoup causé, comme de coutume. Il venait de la Chambre où on avait vainement attendu la communication officielle du nouveau Ministère qui avait été annoncée. Le Roi devait mener l'Électrice63, qui est à Paris en ce moment sous le nom de Comtesse d'Arco, visiter Versailles; mais au lieu de cela, le Conseil ayant duré de dix heures du matin à cinq heures de l'après-midi, le Roi n'a pu sortir, ni les Ministres se rendre à la Chambre. Cela y a fait un très mauvais effet; on la dit irritée et méprisante.

      Paris, 19 avril 1837.– Mme de Castellane, qui est venue chez moi ce matin, et qui était encore dans un état d'émotion très pénible de la séance de la veille à la Chambre, m'a appris que l'extrême longueur du Conseil d'hier avait tenu à une vive discussion sur le retrait absolu de la loi d'apanage, et sur la convenance de laisser en blanc le chiffre de l'apanage de Mgr le duc d'Orléans dans la loi qu'on va présenter à la Chambre à l'occasion de son mariage avec la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin; M. le duc d'Orléans, qui assistait au Conseil, voulait qu'on laissât le chiffre en blanc et il a fini par l'emporter.

      A peine Mme de Castellane était-elle sortie de chez moi, que Mme de Lieven est entrée; elle venait me demander à dîner pour aujourd'hui. Elle m'a conté un mot qui court sur le nouveau Ministère, et qui est pris d'une nouvelle invention: on l'appelle le Ministère inodore.

      J'ai eu, à la fin de la matinée, la visite de M. de Tocqueville, qui venait de la Chambre, où il avait assisté à l'entrée solennelle du Ministère. Il dit que cette entrée s'est faite au milieu du silence le plus absolu: pas une parole, pas un geste, comme si les banquettes avaient été vides et comme si on eût été au milieu des glaces du lac Ladoga, ainsi que le disait plus tard Mme de Lieven. Le même silence a régné pendant le discours de M. Molé, mais, au moment où le Ministère s'est retiré en masse pour aller à la Chambre des Pairs, il y a eu un mauvais murmure qui a fait rebrousser chemin à MM. de Salvandy et de Rosamel, qui sont venus se rasseoir sur le banc ministériel. Dans la discussion qui a suivi, le maréchal Clauzel paraît avoir été pitoyable, mais M. Jaubert très incisif; à son mot sur l'état provisoire des choses, les rires les plus désobligeants pour le Cabinet ont éclaté de toutes parts. En somme, l'impression était fort décourageante pour le nouveau Ministère.

      Après notre dîner, le duc de Noailles est venu à son tour nous raconter l'entrée ministérielle à la Chambre des Pairs. M. Molé a dit quelques mots courts et troublés; M. de Brézé a dit qu'il les trouvait trop vagues, et a demandé quelques explications sur les causes qui avaient amené la rupture du dernier Cabinet. M. Molé a voulu y répondre sans trop y parvenir, au point qu'en se trompant, sans doute, il a fini par se servir du mot catégorique pour désigner la netteté de ses paroles. A ce mot de catégorique, M. Villemain a dit, méchamment, que le discours du Président du Conseil était tout, excepté catégorique, et qu'il désirait savoir ce que l'on ferait de la loi de non-révélation; M. de Montalivet a parlé alors, et très bien, dit-on; il aurait laissé la Chambre sur une très bonne impression, si M. Siméon, rapporteur de la loi de non-révélation, n'était pas venu annoncer que son discours était prêt, ce qui sera une grande gêne pour le Ministère, qui aurait voulu laisser tomber ce projet de loi en oubli.

      Paris, 22 avril 1837.– J'ai eu, aujourd'hui, la visite de M. le duc d'Orléans: il venait d'apprendre le vote de la Chambre sur sa dotation, et le fond et la forme lui convenaient. Il m'a paru disposé à employer la moitié du million de frais d'établissement en œuvres de bienfaisance, aux ouvriers de Lyon, en livrets achetés pour des malheureux aux différentes caisses d'épargne du pays, à vêtir un grand nombre d'enfants dans les salles d'asile, enfin, en fort bonnes actions. Il est fort heureux de son mariage et de belle humeur. La princesse Hélène désire être escortée depuis Weimar par un envoyé de France; on cherche quelqu'un pour cette mission. Je voudrais qu'on en chargeât le baron de Montmorency. La Princesse verra le Roi de Prusse à Potsdam. Son portrait n'est pas encore arrivé. On espère toujours que le mariage se fera avant le 15 juin. La Princesse, n'étant pas mariée par procuration, et n'étant pas encore, par conséquent, Duchesse d'Orléans, sa maison n'ira pas la chercher à la frontière. Elle y trouvera seulement quelqu'un de la maison du Roi, et, peut-être, une des Dames de la Reine; elle vient, du reste, avec sa belle-mère, Mme la grande-duchesse douairière de Mecklembourg.

      Meunier64 aura probablement sa grâce à l'occasion du mariage. Ce procès Meunier n'a aucun intérêt par le caractère des individus, ni leur langage rien de dramatique; c'est fort au-dessous de Fieschi, et même d'Alibaud; du dégoût, voilà tout ce que cela produit. Cela vaut, du reste, beaucoup mieux comme effet sur le public.

      Le ridicule compliment de M. Dupin au Prince Royal est fort bien relevé, ce matin, dans le Journal de Paris. Le Roi n'a pas voulu que son fils reçût, ailleurs qu'auprès de lui, les félicitations des Chambres, ce qui faisait dire à M. de Sémonville qu'il aurait cru abdiquer en faisant autrement.

      J'ai dîné chez M. et Mme Mollien avec M. et Mme Bertin de Veaux, M. Guizot, M. de Vandœuvre. On y a beaucoup parlé du discours embarrassé de M. Barthe, à la fin duquel il est resté court; de l'extrême pâleur du Ministère et de la presque infaillibilité d'un duel entre MM. Thiers et Guizot dans le cours d'une session qui doit amener encore tant de questions palpitantes, comme on dit maintenant; les deux champions se battront sur le dos du Ministère, qui pourrait bien succomber sous leurs coups. Ce dire est assez général et ne m'appartient pas en propre. Hier, on n'a fait qu'escarmoucher.

      Paris, 26 avril 1837.– On me parle de discussions en Angleterre sur la question espagnole. M. Thiers assurait, l'autre jour, que le Ministère anglais était près d'abandonner l'Espagne à ses propres destinées; il en tirait avec effroi, pour la dynastie française actuelle, la conclusion du triomphe de Don Carlos. Il est vrai que cette question rentre dans celle de l'intervention à laquelle il tenait tant.

      La duchesse d'Albuféra a été fort troublée par ce duel de son gendre, M. de La Redorte, qui s'est battu avec le gérant du Corsaire pour un article injurieux, paru il y a deux jours dans cette vilaine feuille, et dans lequel la personne aussi bien que les opinions de M. de La Redorte étaient violemment attaquées. On s'est battu au pistolet, le gérant a été blessé à la main; on croit qu'il perdra le doigt. L'état social est détruit par les excès de la presse!

      Paris, 27 avril 1837.– J'ai vu, ce matin, Madame Adélaïde, qui m'a dit que le Roi venait de signer la commutation de peine de Meunier. J'ai appris aussi, chez elle, que la princesse de Mecklembourg et sa belle-mère seront le 25 mai à la frontière de France; le 28, jour de Saint-Ferdinand, fête de M. le duc d'Orléans, à Fontainebleau; et que le mariage aurait lieu le 31.

      Nous avons eu à dîner la princesse de Lieven, le duc de Noailles, Labouchère, M. Thiers et Matusiewicz, qui revient très vieilli, de Naples, dont il parle très mal, comme climat et comme ressources sociales. La composition de ce dîner était assez disparate, ce qui a tenu aux distractions de M. de Talleyrand, mais enfin, cela s'est bien passé, et la conversation a été vive, surtout entre M. Thiers et Mme

Скачать книгу


<p>62</p>

Voici la composition de ce Ministère: MM, Molé, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères; Barthe, ministre de la Justice; de Montalivet, ministre de l'Intérieur; Lacave-Laplagne, ministre des Finances; de Salvandy, ministre de l'Instruction publique; le général Bernard, l'amiral de Rasamel et M. Martin du Nord gardaient leurs portefeuilles. M. de Rémusat, sous-secrétaire d'État, suivait son ministre dans sa retraite.

<p>63</p>

Marianne-Léopoldine, archiduchesse d'Autriche-Este, née en 1771, avait épousé l'électeur Charles-Théodore de Bavière. Après la mort de son mari, elle épousa le grand-maître de sa Cour, le comte Louis Arco. Cette princesse mourut en 1848.

<p>64</p>

Le 27 décembre 1837, jour de l'ouverture de la session parlementaire, un nouvel attentat avait été commis contre le Roi Louis-Philippe, qui se rendait en voiture, avec trois de ses fils, au Palais-Bourbon. L'auteur du crime était Meunier, un jeune homme de vingt-deux ans. Il fut condamné à mort par la Chambre des Pairs, mais le Roi obtint, en effet, que sa peine fût commuée en bannissement perpétuel, à l'occasion du mariage de M. le duc d'Orléans.