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Tuileries avec des gardes nationaux. A la vérité, Louis-Philippe n'a ni le knout, ni la Sibérie à sa disposition, deux rudes correctifs contre la familiarité, mais dont il est heureux pour chacun de nous que le Roi ne puisse pas faire usage; en Russie, ni l'âge, ni le sexe, ni le rang, ni le mérite ne mettent en sûreté.

      J'ai reçu une lettre de M. Guizot, qui me fait part de son entrée au Conseil. Elle est des plus coquettes. L'amitié du Roi pour M. de Talleyrand, et la confiance dont il l'honore, font que pas un de ses Ministres ne se soucie d'être dans de mauvais termes avec lui; nous ne nous en soucions pas non plus, ainsi tout ira suffisamment bien entre nous et ces Messieurs.

      J'ai reçu une longue lettre de M. le comte Alexis de Saint-Priest, de Lisbonne. Il m'écrit de temps en temps, je ne lui réponds que des petits mots assez courts et secs, mais il paraît déterminé à les prendre pour des preuves d'amitié. C'est un calcul comme un autre! Il sait que M. le duc d'Orléans veut bien avoir quelque bonté pour moi, il se croit appelé à jouer un rôle lorsque ce Prince régnera, et il part de là pour vouloir bon gré mal gré être de mes amis; on dirait, d'après le début de sa lettre, que je lui suis beaucoup, et qu'il m'est beaucoup… Cela m'impatiente un peu.

      Valençay, 13 septembre 1836.– Comment se rencontre-t-il si souvent des gens pour rapporter aux personnes intéressées le mal qu'on dit d'elles? C'est une singulière et trop générale disposition de l'esprit. Elle m'est tellement odieuse, qu'outre que je m'en crois incapable, je reçois toujours très mal ceux qui viennent me faire des confidences de cette nature. Il me semble que la première condition pour vivre en paix, c'est de ne dire de mal que des choses, quand elles sont mauvaises, et le moins possible des personnes; et que la seconde condition, c'est d'ignorer le mal qu'on dit de vous, à moins qu'il ne s'agisse de vous faire éviter un piège ou un danger véritable; mais c'est bien rarement à cette bonne et salutaire intention qu'on doit de certains avertissements. Toute cette morale vient à l'occasion du mal que lord de Rosse aurait dit de Mme de Lieven, et de la connaissance qu'on a donnée à celle-ci de ces méchants propos. Du reste, je vois que l'usage du monde, le savoir-vivre, le besoin d'avoir des causeurs, enfin les mille et une considérations qui font, de la dissimulation, une vertu, ou au moins une disposition sociale, permettent à ces deux personnes de se voir avec empressement. A la bonne heure! Dans ce cas-ci, mon système m'importe peu, ou pas du tout!

      Valençay, 16 septembre 1836.– Voici l'extrait d'une lettre que M. de Talleyrand a reçue hier; elle n'est pas de Madame Adélaïde, mais la personne qui lui écrit est généralement très bien informée: «M. Molé est malade. Il n'a pu encore faire aucune visite, ni recevoir celle d'aucun ambassadeur; on n'a pu, même, tenir encore aucun conseil chez le Roi. On pense que sa santé ne lui permettra pas de rester longtemps au Ministère, où, d'ailleurs, il ne prendra jamais de très profondes racines. On dit que s'il se retirait, ce ne serait pas une cause de la dislocation entière du Ministère, et que ce pourrait bien être Montalivet qui le remplacerait. On dit aussi que le Ministère aborde les Chambres sans crainte, qu'il croit y trouver la majorité; qu'il est décidé à se contenter d'une majorité faible, dans l'espoir de la voir s'accroître, et qu'il ne compte pas faire, perpétuellement, de toutes les questions des questions de Cabinet. Le maréchal Soult ne sera point ministre de la Guerre. Il tenait à avoir la présidence du Conseil et on n'a pas voulu la lui donner; ce sera, probablement, Molitor, Sébastiani ou Bernard. Le Ministère est tout entier soumis à la politique du Roi dans la question espagnole. On dissoudra le corps qui se rassemblait sur la frontière des Pyrénées, on laissera la Légion étrangère ce qu'elle est. Elle est, d'ailleurs, au service de l'Espagne et on n'a pas le droit d'en disposer. On se tiendra dans les limites les plus étroites possibles du traité de la Quadruple Alliance. Cependant, on nommera un ambassadeur à Madrid, ce dont on aurait pu se dispenser dans la circonstance de la mort de Rayneval; c'est par égard pour l'Angleterre qu'on le fait. Le bruit a percé, mais c'est un grand secret, et ce n'est pas fait encore, que cet ambassadeur sera le duc de Coigny. Le Roi est un peu préoccupé de l'attitude que prendra Thiers, et il le redoute assez. Du reste, il est fort mécontent de lui, et l'a exprimé plusieurs fois. Il y a eu un instant où Thiers a fait quelques démarches pour rentrer dans le Ministère, et où il en a été question. Il se soumettait alors entièrement à l'opinion et à la volonté du Roi sur la question espagnole; mais la manière dont celui-ci s'est expliqué a prouvé qu'il était fort éloigné de lui rendre sa confiance, et que, s'il le reprenait jamais, ce ne serait que forcément et dans une position fâcheuse et dominée. La vraie cause de la retraite de Thiers est moins dans une divergence d'opinions entre le Roi et lui, que dans les tromperies dans lesquelles il a voulu engager le Roi malgré lui, dans l'intervention. Depuis son départ, on a découvert plusieurs choses dont on ne se doutait pas. Thiers est parti, en annonçant qu'il ne reviendrait, pour la session prochaine, que dans le cas où il verrait que sa politique serait attaquée. On dit qu'au fond il est abattu de sa chute. Il a d'autant plus de motifs de l'être qu'il en est seul l'auteur. La manière dont il a quitté a fort affaibli le premier éclat qu'il avait jeté et l'opinion publique ne lui est pas favorable.»

      Valençay, 21 septembre 1836.– Nous avons appris hier que la Constitution de 1820 avait été proclamée à Lisbonne. On assure que c'est à Londres que cet événement s'est préparé. Le fait est que l'amiral Gage, qui se trouvait dans le port avec trois vaisseaux de ligne, est resté spectateur immobile. Les Reines du Midi ne sont pas destinées à dormir tranquilles, car, à Lisbonne comme à Madrid, c'est à deux heures du matin qu'on a fait signer à la Reine la nouvelle Constitution. L'armée s'est rangée du côté du peuple et de la garde nationale. Ce pauvre petit prince de Cobourg a fait là un bien triste mariage. S'il reste dans la vie privée, avec un aussi lourd bagage que Doña Maria, il y succombera. Il n'est pas possible de ne pas être effrayé de ces réactions militaires, et de ne pas être doublement pressé de voir notre Cabinet se compléter par un vrai Ministre de la Guerre. Les dernières chances étaient pour le général Bernard; ce serait ce qu'il y a de mieux, le maréchal Soult persévérant dans son refus.

      Valençay, 23 septembre 1836.– Notre Saint-Maurice52 d'hier a été très brillante. Les voisins ont abondé; nos cousins sont venus de Saint-Aignan. Le bouquet des gardes-chasses avec leurs fanfares le matin, un beau temps, une longue promenade, le banquet du Château et le dîner des petites filles de l'école, l'illumination des trois cours, et enfin le spectacle qui a été très gai, très joli et parfaitement joué, rien n'a manqué à la fête!

      Valençay, 25 septembre 1836.– Un fait est certain, c'est que Charles X, pour complaire à M. le duc de Bordeaux, a fait demander à Don Carlos de recevoir son petit-fils dans son armée, ce que Don Carlos a, très sagement, refusé. En effet, c'eût été la seule chose qui eût pu déterminer la France à intervenir.

      Tous les détails que me donne une lettre de Strasbourg sur l'abbé Bautain, sur MM. Ratisbonne et de Bonnechose m'intéressent fort, car c'est entre ces Messieurs qu'a eu lieu la correspondance de philosophie religieuse que j'ai lue l'hiver dernier. Ce livre est précédé de leurs biographies et de l'histoire de leur conversion, ce qui fait que je suis fort au courant d'eux. M. Royer-Collard, auquel j'ai parlé plusieurs fois de l'abbé Bautain, m'a dit que lorsqu'il était grand-maître de l'Université, il avait connu cet Abbé, très jeune homme alors, qu'il avait un esprit distingué et beaucoup d'imagination, mais que sa mère était à Charenton, et qu'il avait en lui de quoi l'y suivre, ce qui ne l'empêchait pas d'en faire grand cas, sous beaucoup de rapports. J'espère que la mort de Mlle Humann ne relâchera pas le lien précieux qui existe entre tous ces jeunes gens si bons et si convaincus. Le genre de mort de Mlle Humann est analogue à celui de la Reine Anne d'Autriche, dont je viens de lire la description dans les Mémoires de Mme de Motteville; cette Reine est morte aussi d'un cancer. Je connais peu de choses aussi touchantes, aussi édifiantes, aussi curieuses et aussi bien décrites que la mort de cette Princesse. J'ai fini ces Mémoires: ce livre, comme couleur politique, est la contre-partie de celui du cardinal de Retz. Je lis maintenant, pour me replacer dans le juste milieu, les Mémoires de la Grande Mademoiselle; je les ai lus avant mon mariage, à une époque où je ne connaissais pas la France, ni, à plus forte raison, la contrée que j'habite en ce moment, et que cette Princesse a beaucoup habitée aussi; son livre a, par

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Saint Maurice était le patron du prince de Talleyrand.