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devient du manque de savoir-vivre, est une vraie bêtise. Du reste, je n'en suis pas surprise. J'aurais parié qu'il en était ainsi: l'ennui était trop profond pour être dissimulé, et j'ai vu, évidemment, que le besoin de s'en venger se développait dans la correspondance. Le seul tort que je lui reproche, ce n'est pas de s'être ennuyée, ni de l'avoir montré, ni même de l'avoir écrit, c'est d'avoir prolongé son séjour ici, sous le prétexte d'une maladie feinte. Elle avait peur de voyager seule, elle redoutait l'isolement à Bade, elle n'osait pas se prolonger à Paris; elle est donc restée ici à se mourir d'ennui et à nous faire enrager. Ce qui ne l'a pas empêchée de pleurer comme une Madeleine en partant: ses larmes étaient sincères, car elle les versait, non sur nous, mais sur elle-même, sur sa vie errante, déracinée. Je ne m'y suis pas trompée.

      J'ai eu hier une lettre de M. de Valençay, de Leoben. On était fort satisfait de Vienne, et en tous points. Cependant, la famille Royale de Prusse avait plu davantage que la famille Impériale. On avait trouvé les Princesses de Prusse plus brillantes de jeunesse, de beauté et d'élégance, et, malgré la guirlande de lys, qui paraît avoir été le résultat d'une petite conversation moitié taquine, moitié coquette, notre Prince Royal et la princesse Albert avaient été dans une flirtation marquée. L'Impératrice d'Autriche et la duchesse de Lucques sa sœur sont très belles, mais ce sont des beautés froides, austères et imposantes. Nos Princes ont fait les mêmes cadeaux à Vienne qu'à Berlin, seulement au lieu de la grande croix de la Légion d'honneur, donnée à Ancillon, on a offert, au prince de Metternich, qui a depuis longtemps tous les ordres français, un magnifique service en porcelaine de Sèvres.

      Valençay, 25 juin 1836.– M. de Barante34 m'écrit, de Saint-Pétersbourg, qu'on y est furieux, contre Mme de Lieven, de son séjour prolongé en France. On y a beaucoup d'humeur aussi contre les succès du voyage de nos Princes, mais on n'en témoigne rien à notre Ambassadeur, pour lequel, personnellement, on est fort poli.

      On dit que ce qui a déplu davantage à Mrs Norton dans cet étrange procès dont le Galignani rend un compte, hélas, trop détaillé, c'est que les témoins domestiques ont déposé qu'elle mettait du rouge et se teignait les sourcils!

      Valençay, 27 juin 1836.– Encore un nouvel attentat contre la vie du Roi35! Quelle rage atroce! Sera-t-elle toujours impuissante? Voilà la triste question qu'on est obligé de se faire… Nous ne savons rien encore que ce que le télégraphe a transmis aux chefs-lieux des départements voisins, d'où les Préfets nous ont envoyé des courriers pour nous en faire part.

      Valençay, 28 juin 1836.– On a écrit à nos Princes de ne pas hâter leur retour à cause de l'attentat. Ils doivent être aujourd'hui à Turin, on les attend le 8 à Paris.

      Il paraît que lord Ponsonby36 est devenu fou. Il veut la destitution du Reis-Effendi37 et du chef de la garde. Il a écrit deux notes à la Porte ottomane, dans lesquelles il va jusqu'à la menacer du démembrement de l'Empire ottoman si on lui refuse satisfaction. L'amiral Roussin lui-même écrit que lord Ponsonby est fou. Tous les Ministres, celui de Russie compris, s'entremettent pour empêcher une rupture; la Cour de Vienne expose les faits au gouvernement anglais à Londres, et on espère que lord Ponsonby sera rappelé.

      Valençay, 29 juin 1836.– J'ai reçu hier une lettre de nos voyageurs, de Roveredo, où ils étaient retenus par une indisposition assez grave de M. le duc de Nemours qu'on a fort atténuée dans les lettres à ses parents, mais qui a beaucoup effrayé M. le duc d'Orléans. Il a été très contrarié aussi du départ précipité du général Baudrand. Il paraît que c'est moins le besoin de se rendre promptement aux eaux qui a provoqué ce départ subit, qu'un peu d'humeur de ce que le Prince Royal ne lui montrait pas assez de confiance.

      Les Princes ont été sur le point d'aller à Florence, le grand-duc de Toscane ayant mis une insistance particulière à le demander; la maladie du duc de Nemours l'a empêché. Ils ont rencontré l'archiduchesse Marie-Louise38, cousine germaine de notre Prince Royal. Elle a demandé de nos nouvelles à M. de Valençay dont elle est la marraine; il ne l'a pas trouvée aussi vieillie qu'on la lui avait dépeinte. Ils ont aussi vu la princesse de Salerne, puis le Roi de Naples. On dit que celui-ci a une assez belle tête, mais une grosse vilaine tournure; il est au désespoir de la mort de sa femme, avec laquelle il a très mal vécu, jusqu'au jour où elle est devenue grosse de l'enfant, en couches duquel elle est morte. On le dit très fantasque.

      L'Archevêque de Paris a été le jour de l'attentat, à onze heures du soir, à Neuilly. Il est fâcheux qu'il ne paraisse jamais chez le Roi qu'à la suite d'une tentative d'assassinat, aussi je ne pense pas qu'on lui sache très bon gré de ses visites; elles sont à une condition qui fait qu'on l'en dispenserait volontiers. Il a refusé la présentation à l'église du corps de Sieyès qui a été droit au cimetière39.

      Ma plus vive peine, dans l'attentat du 25, c'est que ce coup de pistolet a tué, je le crains, notre Princesse Royale!

      On dit beaucoup qu'Alibaud est un nouveau Louvel, fanatique isolé, vrai produit des excès de la presse et des mauvaises doctrines. Le Roi veut faire grâce à l'assassin, mais on pense que le Cabinet ne le permettra pas.

      Le général Fagel40 a été à Neuilly, malgré la présence des Majestés belges; le Roi lui en a su fort bon gré.

      Valençay, 5 juillet 1836.– Une maladie grave de ma femme de chambre m'oblige à me servir moi-même; j'y suis un peu empruntée, mais cela se formera. Cela n'est pas toujours agréable, mais c'est très utile et je ne m'en plains pas; ce n'est pas que je n'aie mes moments de découragement, mais alors je me malmène et cela ne dure pas. Il en résulte bien, quelquefois, une grande fatigue nerveuse, faute d'y être assez exercée; tout cela disparaîtra, car, enfin, nous ne sommes pas ici-bas pour nous amuser, nous reposer, nous bien porter et être heureux et satisfaits. C'est là où est l'illusion. On se trompe sur le but, et c'est alors qu'on se révolte de ne pas l'atteindre; en se disant bien que le but est le travail, la lutte et le sacrifice, on évite les mécomptes, et on échappe ainsi à ce qui est le plus pénible.

      Les interrogatoires d'Alibaud ne seront pas imprimés; tant mieux, car tout cela est une mauvaise pâture pour le public. J'ai eu hier une lettre du duc de Noailles, qui est un des juges, et qui me dit qu'il est évident que c'est la misère qui a poussé au crime. Cet homme, n'ayant pas un sou, a voulu se tuer, mais il a trouvé qu'il fallait rendre sa mort intéressante et utile. Voilà où commence l'influence des mauvaises doctrines du temps et des sociétés républicaines dans lesquelles il a vécu… Ce n'est ni un sombre fanatique comme Louvel, ni un Erostrate moderne, comme Fieschi, c'est un mendiant d'assez de sang-froid, nourri de mauvais principes, voilà tout.

      Tous les journaux, carlistes, radicaux et juste milieu, enfin tutti quanti, sont très mécontents du mandement de l'Archevêque de Paris. Paraître à Neuilly, est trop pour les uns; ne pas oser dire: le Roi, dans ce mandement, est une platitude inutile auprès des autres, irritante pour beaucoup; la phrase jésuitique et équivoquante de la fin, bien pitoyable. Enfin, le tolle est général, et mérité. J'en suis fâchée, car au fond, ce n'est pas un homme sans qualités, mais d'une gaucherie déplorable.

      J'ai eu une lettre de M. de Valençay, de Milan; les courses de chevaux, dans les arènes où vingt-cinq mille personnes étaient réunies, et l'illumination du théâtre de la Scala ont été admirables.

      Le maire de Valençay est venu consulter M. de Talleyrand pour une adresse au Roi sur le dernier attentat, et a prié M. de Talleyrand de la lui faire. Celui-ci m'en a chargée. La voici telle qu'elle a été votée, et telle qu'elle est partie hier, pour Paris. C'est une grande preuve de déchéance que de tomber de la langue diplomatique dans la langue municipale. Enfin, voilà ce que le petit Fontanes du Berry a produit: c'est, assurément, de toutes celles qui ont été faites pour la circonstance, la plus monarchique, dans le fond et dans la forme:

      «SIRE,

      «C'est

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<p>34</p>

Ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg.

<p>35</p>

Dans la soirée du 25 juin 1836, un jeune homme de vingt-six ans, nommé Louis Alibaud, avait tiré sur le Roi dans la cour des Tuileries, au moment où Louis-Philippe passait devant la Garde nationale et pendant que les tambours battaient aux champs.

<p>36</p>

Ambassadeur d'Angleterre à Constantinople.

<p>37</p>

Le Reis-Effendi est le ministre des Affaires étrangères en Turquie.

<p>38</p>

La veuve de Napoléon Ier.

<p>39</p>

Sieyès était mort à Paris, le 20 juin 1836.

<p>40</p>

Le générai Fagel avait été ambassadeur du Roi des Pays-Bas en France, sous la Restauration.