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un peu niaisement, qu'à chaque éclair il faisait un acte de contrition; M. de Talleyrand n'a rien dit du tout, et nous avons continué le piquet. A chaque occasion, j'établis, quand je le peux, mes croyances, et je cherche par là à réveiller les siennes; mais je ne le fais jamais sans provocation. Il faut avoir, dans ce genre de choses, la main si légère!

J'ai eu hier une longue et intéressante lettre de M. le duc d'Orléans; je la trouve d'autant plus sage, qu'il est revenu à des opinions plus raisonnables sur la question d'Espagne. Il juge la crise ministérielle actuelle exactement dans le même sens que je le fais. J'ai reçu aussi une lettre de M. Guizot, écrite de Broglie le 24 août. Il ne savait encore rien alors de la retraite de Thiers qui n'est que du 25. Il m'écrit qu'il vient d'acheter une petite propriété auprès de Lisieux49 et qu'il va se faire fermier. Depuis, je suppose qu'il aura quitté la charrue pour reprendre la plume et la parole.

      Valençay, 1er septembre 1836.– Je suis fort disposée à partager entièrement cette opinion sur l'Empereur Nicolas, qu'on ne peut guère lui accorder qu'une seule qualité de souverain, c'est le courage personnel. Ce qui me paraît lui manquer le plus absolument, c'est l'esprit; je ne veux pas dire l'esprit de conversation et de rédaction seulement, mais l'intelligence.

M. de Montessuy, qui a accompagné M. de Barante à une fête à Péterhof, et qui y a couché, écrit qu'ayant, dans les jardins, vu de loin l'Impératrice, il s'était, par respect, retiré, et que le soir elle lui en avait fait des reproches, lui disant qu'elle était descendue pour lui parler, que c'était mal à lui de l'avoir évitée. Toute cette histoire me paraît bien invraisemblable!Madame Adélaïde écrit à M. de Talleyrand, le 30 août, que rien n'était encore fait pour le Ministère. M. Molé s'était mis en relation avec MM. Guizot et Duchâtel, tous deux arrivés à Paris, mais les amours-propres de chacun rendaient l'entente difficile. Le Roi et Madame semblaient regretter beaucoup d'avoir été forcés de se séparer du Ministère qui s'en va, et d'être obligés d'appeler d'autres hommes.

      Madame Adélaïde écrit à M. de Talleyrand, le 30 août, que rien n'était encore fait pour le Ministère. M. Molé s'était mis en relation avec MM. Guizot et Duchâtel, tous deux arrivés à Paris, mais les amours-propres de chacun rendaient l'entente difficile. Le Roi et Madame semblaient regretter beaucoup d'avoir été forcés de se séparer du Ministère qui s'en va, et d'être obligés d'appeler d'autres hommes.

      Valençay, 3 septembre 1836.– J'ai appris hier une nouvelle qui me cause une peine très vive et qui va me jeter dans de grands embarras: c'est celle de la mort de mon homme d'affaires en Allemagne, M. Hennenberg, qui a expiré le 23 août, à Berlin. Il s'agit pour moi de remplacer un fort honnête homme, capable, considéré et imposant, qui connaissait, depuis vingt-cinq ans, non seulement toutes mes affaires, mais mes relations passées et présentes; qui s'était identifié à toutes les conditions de mon existence, m'avait rendu des services immenses, et à travers toutes les secousses pécuniaires que j'ai éprouvées, avait rétabli ma fortune et l'avait fait prospérer à vue d'œil, souvent même à mon propre étonnement; enfin, quelqu'un entre les mains de qui j'avais complètement abdiqué le gouvernement de mes affaires, comme il est du reste nécessaire de le faire, à la distance infinie où je suis du centre de mes intérêts. Remplacer un tel homme ne peut pas se faire de loin, ni par lettres, ni à l'aveugle; rester dans l'incertitude et le désordre pendant un temps illimité ne se peut pas davantage sans apporter un préjudice incalculable. Un voyage en Allemagne serait donc de toute nécessité pour moi; mais d'un autre côté, comment laisser M. de Talleyrand seul, dans son état actuel de santé? Je ne puis y songer! Je fais des vœux pour que la Providence me tire de ce dédale inextricable!..

      Les lettres de Paris disent que les combinaisons ministérielles manquent, les unes après les autres; que le Roi s'en ennuie, et que Thiers commence à dire que l'Espagne est passée remède! Cela conduira peut-être à un replâtrage, mais chacun aura reçu par là un choc, qui affaiblira l'ensemble, sans compter le principe neutralisant de défiance et de rancune qui subsistera. Tout cela est triste.

      Valençay, 4 septembre 1836.– On nous écrit, de Paris, chaque jour, mais sans annoncer encore de solution. Hier, je croyais à un replâtrage; j'y crois moins aujourd'hui. Il se pourrait même que le voyage de Fontainebleau eût lieu avant la recomposition du Cabinet. M. Thiers voudrait partir pour l'Italie; le Roi dit, à cela, qu'il n'aura accepté sa démission que lorsqu'il lui aura nommé un successeur. Les chances Molé et Guizot paraissaient épuisées, sans avoir abouti!

      Valençay, 7 septembre 1836.– On nous mande que le Moniteur d'aujourd'hui contiendra un ministère Guizot-Molé, le reste uniquement recruté parmi les Doctrinaires, sous l'influence et par l'exigence de M. Guizot. J'ai reçu hier une lettre de M. Thiers. Je suis peinée d'y voir une certaine humeur contre tous ceux qui n'ont pas partagé ses idées sur cette vilaine Espagne. Il trouve, surtout, que les signataires de la Quadruple Alliance devaient être dans ses idées. Ceci s'adresse à M. de Talleyrand, qui veut répliquer que, si on relit le traité, on verra que, du côté de la France, il a été rédigé de façon que celle-ci ne soit obligée à rien. M. Guizot ayant persisté à ne pas vouloir que M. de Montalivet conservât le ministère de l'Intérieur, et celui-ci ne trouvant pas de sa dignité de quitter ce Ministère pour en accepter un autre, comme le proposait M. Guizot, il se retire, au grand regret du Roi. Il va venir en Berry où il a des terres. Sauzet et d'Argout, vont, dit-on, en Italie, jadis lieu de retraite des souverains détrônés, maintenant promenade obligée des ex-ministres.

      Voici un fait certain: le 4 de ce mois, il y a eu des avis que la Société des familles, la plus nombreuse et la mieux organisée, maintenant, des sociétés secrètes, voulait faire quelque tentative pour troubler l'ordre. Leur intention n'était même pas douteuse; mais la crainte, sans doute, d'être découverts les a empêchés d'aller jusqu'à un commencement d'exécution. On devait se porter à la prison des détenus politiques, les mettre en liberté, s'emparer ensuite de la Préfecture de police, et, de là, se porter sur Neuilly. Les Ministres assurent que c'était très sérieux.

      Valençay, 9 septembre 1836.– Les journaux déclarent déjà, au nouveau Ministère50, une guerre terrible qui se jugera devant les Chambres. Les journaux de l'opposition prédisent une rupture du Cabinet, qui, en effet, n'est pas hors de vraisemblance. On verrait peut-être alors M. Thiers revenir aux affaires, mais avec des antécédents d'opposition, après une certaine guerre faite au système qu'il avait longtemps soutenu, avec des engagements pris envers des hommes touchant à la gauche, et, alors, n'entraînerait-il pas le gouvernement dans des voies dangereuses? Je ne sais, mais, en tout, les choses me semblent se noircir. Du reste, il est juste de reconnaître que la nouvelle combinaison ministérielle offre, au pays et au dehors, des noms honorables, des talents distingués et des capacités reconnues; espérons donc dans la durée de leur amalgame! Huit ou dix jours avant la dernière crise, M. Molé a, après un assez long silence, écrit à M. Royer-Collard une lettre très coquette pour lui et pour moi.

      Valençay, 10 septembre 1836.– M. de Talleyrand a reçu, hier, un petit mot fort aimable et déférent de M. Molé, à son avènement au Ministère. Le trait de la lettre est celui-ci: que le nouveau Cabinet s'étant formé sur une question et dans une pensée que M. de Talleyrand s'était comme appropriée par ses sages prévisions, les nouveaux Ministres devaient se flatter de son approbation; qu'en son particulier, il souhaitait vivement qu'il en fût ainsi, et qu'il comptait sur ses conseils et ses avis. M. de Talleyrand a répondu sur-le-champ. Il ne m'appartient pas de louer la réponse, mais je crois qu'elle doit plaire à M. Molé, qui, cependant, n'y trouvera rien de désagréable pour celui qu'il remplace. M. de Talleyrand peut regretter l'aveuglement de M. Thiers dans cette question d'Espagne, mais ce n'est pas à lui, qui, depuis longtemps, s'est établi comme bienveillant pour M. Thiers et qui l'est, en effet, à le blâmer hautement.

      Valençay, 11 septembre 1836.– Je ne citerai pas Mme de Lieven comme appuyant de sa conviction l'exactitude du récit de M. de Montessuy51, mais j'avoue que je n'en reviens pas d'un fait aussi étrange. Si une de nos Princesses ou notre souveraine s'en rendait coupable, cela serait tout

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<p>49</p>

Cette propriété était le Val-Richer, où M. Guizot habita jusqu'à sa mort.

<p>50</p>

Voici la composition du ministère: M. Molé, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères; M. Guizot, ministre de l'Instruction publique; M. Persil, ministre de la Justice; M. Duchâtel, ministre des Finances; M. de Gasparin, ministre de l'Intérieur, avec M. de Rémusat comme sous-secrétaire d'État; M. Martin du Nord, ministre du Commerce et des Travaux publics; le général Bernard, ministre de la Guerre; l'amiral Rosamel, ministre de la Marine.

<p>51</p>

Voir plus haut Montessuy page 87.