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Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4). Dorothée Dino
Читать онлайн.Название Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)
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Автор произведения Dorothée Dino
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Valençay, 2 octobre 1836.– M. de Valençay, qui est au camp de Compiègne avec M. le duc d'Orléans, m'écrit que tout s'y passe très bien et que la visite du Roi y fait très bon effet. Les Ministres, qui ont tous accompagné le Roi à Compiègne, l'ont suivi à cheval à la grande revue, mais au bout de quelques instants, M. Molé s'y est trouvé mal à l'aise, et il est monté dans la voiture de la Reine. On dit que le camp est très beau; l'accueil que le Roi y a reçu est excellent, et les jeunes Princes sont fort à leur avantage. Cela me fait d'autant plus de plaisir, que c'est la première sortie de prison du Roi depuis l'affaire Alibaud; il fallait que sa présence à ce camp ait été jugée bien nécessaire pour que M. le duc d'Orléans ait répondu sur sa tête de la sûreté du Roi, en suppliant qu'il vînt se montrer aux troupes; c'est là-dessus que le Conseil, qui s'était d'abord opposé, a consenti au voyage du Roi.
Valençay, 5 octobre 1836.– Il faut que je copie le passage suivant, sur le château de Valençay, que je trouve dans les Mémoires de la Grande Mademoiselle, page 411, tome II, année 1653: «Je continuai mon chemin sur Valençay; j'y arrivai aux flambeaux: je crus entrer dans une maison enchantée; il y a un corps de logis, le plus beau et le plus magnifique du monde. Le degré y est très beau, et on y arrive par une galerie à arcades qui a du magnifique. Cela était parfaitement éclairé; il y avait beaucoup de monde, avec Mme de Valençay et quelques dames du pays, parmi lesquelles étaient de belles filles; cela faisait le plus bel effet du monde. L'appartement correspondait bien à la beauté du degré par les embellissements et meubles. Il plut tout le jour que j'y séjournai, et il semble que le temps était fait exprès, parce que les promenoirs n'étaient que commencés. – J'allai de là à Selles; c'est une belle maison.»
J'ai reçu une lettre d'Alexandre de Humboldt à l'occasion de la mort de mon homme d'affaires, M. Hennenberg: il m'offre ses bons offices dans la lettre la plus obligeante, la plus soignée, la plus flatteuse, la plus spirituelle, la plus curieuse du monde, et que je garderai parmi mes autographes précieux. Cette mort de M. Hennenberg a réveillé l'intérêt de tous mes amis. Sans l'inquiétude d'esprit qui me suivrait si je devais quitter M. de Talleyrand et ma fille, un voyage en Prusse serait parfaitement satisfaisant pour mon cœur.
Valençay, 18 octobre 1836.– J'ai reçu, hier, une lettre du prince de Laval, écrite de Maintenon, où il se trouvait, avec M. de Chateaubriand et Mme Récamier. Il me dit qu'il venait d'y arriver un courrier de la princesse de Polignac, pour supplier le duc de Noailles de se rendre à Paris, afin de chercher à lever la difficulté nouvelle qui retardait l'exécution des promesses faites en faveur des prisonniers. Le prince de Laval ajoute que le duc de Noailles allait partir, et que lui retournait à Montigny d'où il viendrait nous faire une petite visite, pour nous raconter tous les nouveaux embarras relatifs aux pauvres prisonniers de Ham.
Valençay, 20 octobre 1830.– Nous avons eu, hier, une bonne visite de M. Royer-Collard, venu de Châteauvieux, malgré le déplorable état des routes. Il était fort indigné qu'on marchandât avec les prisonniers de Ham pour leur liberté. Il m'a laissé une lettre, qu'il avait reçue de M. de Tocqueville, arrivant d'un voyage en Suisse; j'y trouve le passage suivant: «J'ai vu de près la Suisse, pendant deux mois. Il est très possible que les rigueurs actuelles de la France, contre elle, fassent plier ce peuple désuni; mais, en tout cas, ce qui est certain, c'est que nous nous sommes créé là des ennemis implacables. Nous avons fait un prodige: nous avons réuni dans un sentiment commun contre nous des partis jusque-là irréconciliables. Pour opérer ce miracle, il a suffi des mesures violentes de M. Thiers, et, plus encore peut-être, des manières vives et hautaines de notre ambassadeur, M. de Montebello, et de la manie qui le possède de se mêler, à tout propos, des affaires intérieures du pays.»
Je pense beaucoup, ces derniers jours, à ce que l'on fait ou ne fait pas pour les prisonniers de Ham. Tous les journaux sont unanimes, les Débats exceptés, pour blâmer les dernières mesures, ces grâces marchandées, ces conditions avilissantes, imposées à des prisonniers d'un genre tout à part, et dont l'histoire même n'a pas offert d'exemple. Ces malheureux ne demandaient d'ailleurs pas la liberté, et ne sollicitaient qu'un adoucissement favorable à leurs santés. Il paraît que nos Ministres actuels ne partagent pas l'opinion du cardinal de Retz, qui dit: «Tout ce qui paraît hasardeux et qui ne l'est pas est presque toujours sage.» Il dit encore, quelque autre part, une chose qui me semble bien applicable à ce qui vient de se passer: «Il n'y a rien de plus beau que de faire des grâces à ceux qui nous manquent; il n'y a rien, à mon sens, de plus faible que d'en recevoir! Le christianisme, qui nous commande le premier, n'aurait pas manqué de nous enjoindre le second, s'il était bon.» Voilà de l'esprit, à la façon du beau temps dans lequel tout le monde, même les moins parfaits, avait du grand. Je ne sais si, maintenant, on a des vices moindres, mais, assurément, du grand, je n'en vois nulle part.
Valençay, 23 octobre 1836.– Je me suis décidée à écrire une petite notice sur le château de Valençay, sa fondation, son histoire, etc., et je la dédierai à mon petit-fils Boson, avec la dédicace suivante53:
A mon petit-fils!
«Tout le monde convient qu'il est honteux d'ignorer l'histoire de son pays et qu'on court risque de se placer trop haut ou trop bas, lorsqu'on reste étranger à l'histoire de sa famille; mais peu de personnes savent combien le plaisir d'habiter un beau lieu est agrémenté par la connaissance des traditions de ce lieu. De ces trois sortes d'ignorance, la dernière est, sans doute, la moins importante, mais elle est aussi la plus commune; car si les professeurs corrigent la première, et les parents la seconde, ce n'est qu'un goût particulier qui porte à la recherche des dates et des faits qui se rapportent à des lieux sans célébrité généralement reconnue. Cette recherche peut sembler puérile, lorsqu'aucun souvenir intéressant ne la justifie, mais là où, comme à Valençay, plusieurs illustrations ont consacré l'habitation, il est d'autant moins permis d'ignorer ou de confondre, qu'on est particulièrement appelé, si ce n'est à perpétuer ces illustrations, du moins à les respecter.
J'ai pris plaisir, mon enfant, à vous faciliter cette petite étude; puisse-t-elle vous encourager à rester aussi noble de cœur et de pensée que l'est, par sa date, ses splendeurs et sa tradition, le lieu dont je vais vous parler.»
Valençay, 24 octobre 1836.– J'ai eu, hier, une lettre fort aimable de M. le duc d'Orléans; il m'annonce le départ de son frère, M. le duc de Nemours, pour Constantine; il lui envie cette entreprise hasardeuse.
M. le prince de Joinville était à Jérusalem.
Valençay, 28 octobre 1836.– Toutes les lettres de Paris disent que rien n'a été plus imposant que le placement de l'obélisque de Luxor54. La famille royale a été reçue avec transport: c'était la première fois qu'elle paraissait à Paris en public, depuis Fieschi, et la population lui en a su gré. Le Cabinet hésitait, comme pour Compiègne, mais la volonté royale l'a emporté, et avec succès.
Valençay, 30 octobre 1836.– Je pars demain d'ici à huit heures du matin, je déjeunerai à Beauregard55, dînerai à Tours, et coucherai le soir chez moi, à Rochecotte, où M. de Talleyrand et ma fille viendront me rejoindre le 2 novembre.
Rochecotte, 2 novembre 1836.– Je n'ai pas eu un instant de repos, depuis mon arrivée ici, où j'avais à faire mettre tout en ordre pour les hôtes que j'attends, et à visiter les changements faits en mon absence à l'occasion du puits artésien; ces changements ont fort embelli l'entourage immédiat du Château, pour lequel il me reste encore beaucoup à faire.
Je
53
Cette notice sur Valençay fut imprimée plus tard, en 1848, chez Crapelet, rue de Vaugirard, à Paris, avec la même dédicace dont parle ici l'auteur de la chronique. – Ce curieux opuscule est cité par LAROUSSE, dans son grand
54
L'obélisque de Luxor fut donné au Roi Louis-Philippe par le pacha d'Égypte, Méhémet-Ali. – Il fut enlevé de devant le temple de Luxor, transporté à Paris, et placé, en 1836, sur la place de la Concorde.
55
Chez la comtesse Camille de Sainte-Aldegonde.