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Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4). Dorothée Dino
Читать онлайн.Название Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)
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Автор произведения Dorothée Dino
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Rochecotte, 4 novembre 1836.– Qu'est-ce que c'est que toute cette ébouriffade de Strasbourg56? Ce qui me semble donner un caractère assez sérieux à cette folle entreprise bonapartiste, c'est que le même jour, il y en a eu une du même genre à Vendôme, ici près. Six sergents ont commencé le mouvement, qui a été aussitôt étouffé; cependant, il y a eu un homme tué. Je ne sais si les journaux parlent de cela, mais c'est sûr, les deux Préfets de Tours et de Blois l'ayant dit à M. de Talleyrand, qui me l'a raconté en arrivant. La grande-duchesse Stéphanie sera mal à l'aise de l'expédition de son cousin Louis Bonaparte57. Je plains la duchesse de Saint-Leu, quoique je ne la croie pas étrangère à ce fait, et qu'elle soit aussi intrigante que comédienne; mais elle est mère, elle a déjà perdu un fils aîné, et elle doit éprouver une terrible angoisse, juste mais amère punition de ses pauvres intrigues.
Rochecotte, 7 novembre 1836.– J'ai eu hier une lettre de Mme de Lieven, qui me parle d'une indisposition de l'empereur Nicolas. Il me semble que pour qu'une Russe avoue que l'Empereur est indisposé, il faut qu'il soit bien malade! Cette mort-là serait un tout autre événement que l'échauffourée de Strasbourg. Je ne crois pas que les Français auraient beaucoup à la déplorer!
Rochecotte, 10 novembre 1836.– Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que le Roi est décidé à ne pas laisser juger le jeune Bonaparte; il exigera seulement son prompt départ pour l'Amérique, et l'engagement formel de ne jamais plus revenir en France. Mme de Saint-Leu a écrit au Roi pour lui demander la vie de son fils. On sait qu'elle est cachée à Paris où on ne veut pas qu'elle reste; on ne la laissera pas non plus habiter la Suisse; il paraît qu'elle ira aux États-Unis avec son fils. Quelle absurdité que celle qui fait aboutir à un tel résultat!
Rochecotte, 11 novembre 1836.– Mme de Lieven disait, dernièrement, devant Pozzo, qu'elle irait peut-être passer l'hiver prochain à Rome: «Eh! qu'iriez-vous faire en Italie?» s'écria Pozzo, «vous n'auriez que l'Apollon du Belvédère à qui demander des nouvelles, et sur son refus, vous lui diriez: «Vilain magot, va te promener!» Cette saillie de Pozzo a fait rire tous les assistants, et même la Princesse; au fait, elle est fort gaie.
Rochecotte, 20 novembre 1836.– Les lettres d'hier chantent la palinodie sur les affaires de Portugal. Il paraît que la contre-révolution a échoué au moment où on la croyait assurée, et que c'est la mésintelligence entre le petit Van de Weyer et lord Howard de Walden qui en est cause; le gâchis est complet.
Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que, décidément, la Cour ne prendra pas le deuil à l'occasion de la mort de Charles X58, faute de notification. Elle cite plusieurs exemples de deuils non portés pour ce motif, quoiqu'il s'agît de très proches parents, entre autres, celui de la feue Reine de Naples, tante et belle-mère de l'Empereur d'Autriche, morte dans son château impérial auprès de Vienne, et dont la Cour d'Autriche n'a pas pris le deuil, parce que le Roi de Naples, alors en Sicile, n'a pas notifié la mort de sa femme. Il n'y a rien à opposer à de pareils exemples.
Rochecotte, 21 novembre 1836.– La mort de Charles X divise, à Paris, sur tous les points. Chacun y porte le deuil à sa façon, depuis la couleur jusqu'à la laine noire, avec des gradations infinies, et des aigreurs nouvelles à chaque aune de crêpe de moins. Puis, les uns disent le comte de Marnes et Henri V, les autres Louis XIX. Enfin, c'est la tour de Babel; on n'est pas même d'accord sur la maladie dont Charles X est mort! Nos lettres d'hier ne parlent pas d'autre chose, à part cependant des affaires du Portugal. On assure que ce qui vient d'y être gauchement tenté pourrait bien faire chavirer lord Palmerston59.
Rochecotte, 22 novembre 1836.– Le prince de Laval m'écrit que M. de Ranville est chez lui à Montigny, et M. de Polignac sur la route de Munich et de Goritz. Je ne sais pas du tout comment son affaire s'est arrangée60. Je ne sais pas non plus ce que c'est que cette réunion des curés de Paris, convoqués chez M. Guizot, ministre des Cultes. On dit que Mgr. l'Archevêque prépare un mandement à cet égard, mais je n'ai pas encore le mot de l'énigme.
Il faudrait l'abbé de Vertot pour raconter toutes les révolutions du Portugal. Lord Palmerston n'en serait pas le héros, ni même lord Howard de Walden! Que peut-on penser de toute la bassesse de cette diplomatie?
Rochecotte, 28 novembre 1836.– Il y a eu division, sur la question du deuil de Charles X, jusque dans la famille royale actuelle: la Reine, qui l'avait pris spontanément le premier jour, a été très peinée que le Ministère le lui ait fait quitter. Le Cabinet a craint la controverse des journaux et n'y a rien gagné, car toutes les gazettes rivalisent, selon leur couleur, à qui mieux mieux. Je suis très embarrassée de savoir à quelle nuance, du blanc, du gris ou du noir je me vouerai en arrivant à Paris; en général, les dames du juste milieu, qui tiennent aussi à la société, vont en noir dans le monde et en blanc à la Cour. La position de nos diplomates, au dehors, sera très embarrassante!
M. de Balzac, qui est un Tourangeau, est venu dans la contrée pour y acheter une petite propriété. Il s'est fait amener ici par un de mes voisins. Malheureusement, il faisait un temps horrible, ce qui m'a obligée à le retenir à dîner.
J'ai été polie, mais très réservée. Je crains horriblement tous les publicistes, gens de lettres, faiseurs d'articles; j'ai tourné ma langue sept fois dans ma bouche avant de proférer un mot, et j'ai été ravie quand il a été parti. D'ailleurs, il ne m'a pas plu. Il est vulgaire de figure, de ton, et, je crois, de sentiments; sans doute, il a de l'esprit, mais il est sans verve ni facilité dans la conversation. Il y est même très lourd; il nous a tous examinés et observés de la manière la plus minutieuse, M. de Talleyrand surtout.
Je me serais bien passée de cette visite, et, si j'avais pu l'éviter, je l'aurais fait. Il vise à l'extraordinaire, et raconte de lui-même mille choses auxquelles je ne crois nullement!
Le prince de Laval me mande que M. de Polignac n'a pas pu encore profiter de la liberté qui lui a été accordée, s'étant trouvé trop souffrant au moment du départ61. Il demande à être transporté à la plus proche frontière, Mons ou Calais, pour éviter le plus possible de route qu'il ne pourrait pas supporter.
Rochecotte, 2 décembre 1836.– La lettre de Mgr. l'Archevêque sur la fameuse convocation des curés est mauvaise, parce qu'elle est captieuse, ce qui ne convient jamais à un pasteur dont le plus bel attribut est la simplicité évangélique; mais convenons aussi que la démarche directe auprès des curés a dû le choquer, et que cette interdiction des prières instituées par l'Église sent un peu trop la Révolution, dont je voudrais qu'on sortît plus nettement qu'on ne le fait. C'est par peur qu'on reste dans cette voie, et cette peur, trop marquée, isole du dehors, et encourage les ennemis du dedans.
M. le duc d'Angoulême s'appellera décidément Louis XIX et sa femme, la Reine: c'est elle qui l'a voulu ainsi. Mais ils ont cependant, aussitôt après la mort de Charles X, envoyé dans la chambre du duc de Bordeaux tous les insignes de la Royauté, déclarant que même si les événements devenaient favorables, ils ne voulaient jamais régner en France. Du reste, les notifications ont été faites sous le titre incognito du comte de Marnes. Le jeune Prince est appelé à Goritz Monseigneur; il reste, avec sa sœur, chez son oncle et sa tante.
C'est sur une lettre de M. de Polignac à M. Molé, écrite après la mort de Charles X, et qui dit positivement qu'il sera reconnaissant au Roi des Français de le faire sortir de Ham, qu'il a obtenu d'en sortir. M. de Peyronnet a écrit, au charbon, sur le mur de sa prison: «Je ne demande merci qu'à Dieu», ce qu'il n'avait plus, ce me semble, le droit de dire, puis il est sorti, fort guilleret, de sa prison. Il n'a pas voulu revoir M. de Polignac, même au dernier moment.
Rochecotte,
56
Le 26 octobre 1836, le prince Louis Bonaparte, accompagné de son ami, M. de Persigny, et avec le concours du colonel Vaudrey, essaya de provoquer un mouvement militaire et de renverser le Roi Louis-Philippe.
57
Futur Napoléon III.
58
Charles X venait de mourir, à Goritz, en Autriche, le 6 novembre 1836.
59
La Reine de Portugal avait été forcée, après des émeutes, d'accepter la Constitution radicale de 1820. – Elle fit, en novembre, aidée de Palmella, Terceira et Saldanha, une contre-révolution, croyant, à l'instigation de l'Angleterre, que le peuple de Lisbonne la soutiendrait, et proposa de renvoyer ses Ministres: elle avait été mal renseignée sur le sentiment populaire et fut forcée d'abandonner la lutte.
60
M. de Polignac, prisonnier à Ham, avait réclamé de M. Molé sa translation dans une maison de santé.
61
Sa peine avait été commuée en un bannissement perpétuel.