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est fort content du Roi de Naples à Neuilly. On y tourmente beaucoup notre Roi, pour l'entraîner, malgré lui, vers une intervention au delà des Pyrénées, mais il y résiste puissamment, jusqu'à présent: cette tourmente intérieure, jointe aux précautions auxquelles on veut l'assujettir, pour sa sûreté, empoisonne sa vie.

      Valençay, 11 août 1836.– On mande à M. de Talleyrand que les questions d'Espagne, qui s'enveniment de plus en plus, jettent, à Paris, une grande aigreur là où il ne faudrait pas qu'il y en eût, c'est-à-dire entre le Roi et son Ministre des Affaires étrangères45, qui est soutenu par le Prince Royal, ceux-ci voulant l'intervention. On se demande qui sortira vainqueur de cette lutte intestine!

      Valençay, 22 août 1836.– Je comprends très bien les réflexions qu'on fait sur la grande-duchesse Stéphanie de Bade: son manque de tact tient à sa première éducation. Élevée dans une pension prétentieuse46, elle a pu acquérir beaucoup, excepté ce sentiment exquis des convenances, qui se transmet, qui s'inocule dans l'enfance, mais qui ne s'enseigne pas. Aussi invite-t-elle M. Berryer à un bal chez elle, sans qu'il lui ait été présenté, ni qu'il ait même demandé à l'être! Puis, elle parle trop, en général, et cherche à faire de l'effet, par une conversation brillante qui n'est pas toujours suffisamment mesurée et adaptée à sa situation. Les Princesses ne sont pas tenues à être aimables; ce qu'on exige d'elles, c'est d'être obligeantes et dignes, mais pour comprendre la mesure et ne pas la dépasser, il faut avoir pris de certaines habitudes, dès l'enfance, qui ont manqué à la grande-duchesse Stéphanie, et que Mme Campan ne pouvait pas lui donner. Je la crois, au fond, bonne personne; il y a, dans sa vie, du dévouement, du courage, des malheurs qu'elle a traversés très honorablement. Je crois que Mme de Lieven, qui la critique si sévèrement, ne se serait pas tirée aussi purement qu'elle des crises que lui créait sa situation délicate avec son mari. La Grande-Duchesse avait de la gentillesse de manières, et une jolie mine, éveillée et gracieuse; elle avait besoin de la jeunesse; en la perdant, ce qui lui manque devient plus évident. Hélas! c'est le cas de chacun; voilà pourquoi il est si faux de dire qu'on est trop vieux pour se corriger; c'est, au contraire, quand les agréments passent, qu'il est si essentiel de les remplacer par des qualités: les charmes de la jeunesse disposent à une indulgence, font admettre des excuses, qui disparaissent avec ces charmes et ces grâces, et font place à une sévérité qu'il est nécessaire de devancer, par plus de maintien, plus d'abnégation et plus de respect de soi-même.

      Voilà des nouvelles officielles: le refus de Vienne est poliment exprimé, sans être motivé. On ne songe point du tout, comme on l'a dit, à la princesse Sophie de Würtemberg. Notre Prince Royal est parti pour le camp, maigri, changé, mais franchement convalescent.

      De Madrid, on sait qu'Isturitz a donné sa démission. C'est M. Calatrava qui le remplace comme Président du Conseil. Tout cela va au plus mal.

      Le Roi de Naples part le 24 pour Toulon. Il part, comme il était venu, sans mariage.

      Les ex-ministres prisonniers sont encore à Ham, par suite d'une difficulté qui s'est élevée entre les Ministres actuels: celui de l'intérieur veut conserver les prisonniers sous sa surveillance; le Président du Conseil veut qu'ils restent dans des forteresses, avec le régime le plus doux, mais enfin dans des places de guerre; dès lors, le ministre de la Guerre réclame la surveillance! Il est bien temps que ce traitement finisse, car les malheureux sont malades.

      Mme Murat a obtenu la permission de passer un mois à Paris; elle y arrive dans huit jours; on dit qu'elle est hors des intrigues de ses frères.

      J'ai eu, hier, une lettre de Mme de Lieven, qui m'annonce son retour à Paris comme positif. J'ai peur qu'elle ne fasse une grande faute. J'ai lu hier une lettre de Pétersbourg, dans laquelle il est dit qu'elle est fort mal en cour. En revanche, M. de Lœve-Weimar y est très bien traité et y fait l'aristocrate. Horace Vernet aussi y est gâté et choyé d'une façon inimaginable. Comprend-on, après cela, pourquoi on tracasse ainsi Mme de Lieven? Serait-ce parce qu'on la soupçonne d'être un petit brin intrigante? Mon Dieu, que les Anglais ont raison de mettre, au nombre des meilleures qualités, celle to be quiet!47

      Valençay, 24 août 1836.– Ce qu'on m'écrit est comique et inattendu: M. Berryer jouant le vaudeville à Bade, avec Mme de Rossi! Du reste, quoique ce soit un peu étrange, de la part d'un homme politique, cela lui vaut mieux que de se mal associer en Suisse.

      Les journaux nous ont appris, hier, la mort de M. de Rayneval48 à Madrid. Ceci va augmenter les embarras d'une question dans laquelle tout est embarras.

      Valençay, 27 août 1836.– Nous ne savons pas les détails de ce qui se passe à Paris, mais il y a évidemment quelque crise qui se prépare dans le Cabinet. En résumé, M. Thiers paraît avoir voulu engager le Roi, malgré lui, dans les affaires d'Espagne, et avoir agi dans ce sens sans consulter ses collègues. Tout cela a fort animé les uns et les autres contre lui. Il en est résulté un choc difficile à apaiser, et qui, d'ici à peu de jours, doit amener, ou une soumission de Thiers au Roi, ou un nouveau Ministère qui contiendrait cependant quelques éléments du Cabinet actuel, et notamment, je crois, M. de Montalivet. Tout ceci est encore spéculatif, car nous ne savons rien de particulier.

      Valençay, 28 août 1836.– Voici ce qu'une lettre de Madame Adélaïde, reçue hier par M. de Talleyrand, nous apprend: «Le Ministère s'est dissous; j'en suis désolée. Je regrette beaucoup Thiers, mais sa tête s'était montée sur cette question d'intervention en Espagne qui a tout gâté. Le Roi voulait rompre, à l'instant, le nouveau corps qui se formait à Bayonne, et exigeait un engagement formel de renoncer, pour l'avenir, à l'intervention; Thiers s'y est refusé et a donné sa démission. Une nouvelle crise ministérielle, en ce moment, est bien fâcheuse; puis il ne nous reste qu'un si petit cercle dans lequel choisir! Le Roi a fait appeler M. Molé, mais il était à la campagne. Il faut le temps qu'il arrive; sans doute, il demandera Guizot. Tout est bien triste; nous savons d'ailleurs, par expérience, à quel point un nouveau Cabinet est long et difficile à former! Plaignez-nous, plaignez-moi, car je suis navrée!» Voilà donc où on en était avant-hier, dans le lieu où la crise se passait. Je la regrette beaucoup; d'abord parce que j'ai un grand fond d'intérêt pour Thiers, et que je regrette que ses instincts révolutionnaires l'aient emporté sur son dévouement, sa reconnaissance, et sur la docilité qu'il devait à la haute sagesse, à la prudence et à la grande expérience du Roi; puis, les changements fréquents de ministère sont de mauvais accidents de gouvernement, et donnent des secousses trop répétées à l'esprit public. D'ailleurs, le talent souple, vif, prompt de Thiers, ses connaissances et son esprit étaient utiles à l'État. Quel usage en fera-t-il, quand il aura complètement son libre arbitre? Madame Adélaïde, comme le prouve l'extrait de sa lettre, a peu de goût pour les Doctrinaires, mais il n'y a pas à croire qu'on doive rappeler M. de Broglie, envers lequel M. Guizot croit s'être acquitté à tout jamais. A travers tous ces mauvais côtés, il me semble, pourtant, qu'il y a un avantage incontestable pour le Roi à la nouvelle preuve qu'il vient de donner, que, dans les occasions vraiment importantes, il ne se laisse pas ébranler, et ne permet pas qu'on lui mette le marché à la main. C'est ainsi qu'au mois de février il a résisté à l'arrogance des Doctrinaires, et que maintenant il a brisé l'infatuation de Thiers. Ce sont là, je crois, de bons avertissements pour les ministres futurs, à quelque couleur qu'ils appartiennent, et une excellente garantie donnée à la partie sage de l'Europe.

      Valençay, 29 août 1836.– M. de Talleyrand devrait trouver, dans tous les accidents qui lui arrivent sans fâcheux résultats, la garantie que son existence est solidement assurée; il me semble cependant que ces avertissements me feraient, à sa place, songer à ce qu'ils annoncent, et à rendre grâce à Dieu des délais qu'il accorde pour alléger le bagage. Il fait bien, quelquefois, des réflexions sur la mort, mais c'est de loin en loin. Hier au soir, il y a eu un gros orage qui menaçait le Château. Après un coup de tonnerre très violent, il m'a demandé quelle était la pensée qui m'avait saisie dans le moment; je lui ai répondu immédiatement: «S'il y avait eu un prêtre dans la chambre, je me serais confessée; j'ai

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<p>45</p>

M. Thiers.

<p>46</p>

L'institution de la célèbre Mme Campan, aujourd'hui école d'Écouen.

<p>47</p>

D'être calme.

<p>48</p>

Ambassadeur de France en Espagne.