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la grande réception diplomatique de la noblesse et de la garnison a été superbe. Ce qui a surtout charmé M. de Valençay, c'est la course à Bade, chez l'archiduc Charles, qui lui a parlé en très bons termes de M. de Talleyrand. L'Archiduc a fait, à tous les Français, l'accueil le plus cordial; on a dîné avec l'archiduchesse Thérèse, qui, d'après M. de Valençay, a l'air agréable, de jolies manières, un visage piquant; mais elle est très brune et fort petite. M. le duc d'Orléans était près d'elle, à table, et la conversation n'a pas langui. M. de Metternich était du dîner. Il est réconcilié, du moins en apparence, avec l'Archiduc28. Celui-ci est retiré dans ce joli Bade où il cultive des fleurs: il a dit à M. de Valençay que, comme tous les vieux soldats, il aimait son jardin. M. le duc d'Orléans devait y retourner dîner tout seul le surlendemain. L'Archiduc adore sa fille et la laissera libre dans le choix de son époux: elle a refusé le Prince Royal de Bavière; elle va voir défiler encore devant elle le Roi de Naples et celui de Grèce. Son père ne redoute que l'alliance russe.

      M. de Valençay a été aussi enchanté de la fête de Laxembourg et des courses sur l'eau avec de la musique à tous les coins: cela lui a rappelé Virginia Water29; toute la société de Vienne y était, en bayeuse, et animait le coup d'œil.

      Il est assez simple que tout cela blesse à Prague. Madame la Dauphine a dit, à quelqu'un qui, la veille de son départ de Vienne, lui demandait quand on aurait l'honneur de l'y revoir, que, lorsqu'on voudrait dorénavant la voir, il faudrait venir la chercher. Une dame viennoise, fort ennemie politique de la France, a dit, devant M. de Valençay, en parlant de notre Prince Royal, qu'il était si aimable et si gracieux qu'il fallait espérer qu'il n'était pas autre chose!

      Les voyageurs devaient partir le 11, et se rendre à Milan par Vérone, mettant dix jours pour ce trajet.

      Le prince de Capoue et miss Pénélope sont à Paris; le premier a vu la Reine. Il va à Rome, et, de là, négociera sa réconciliation avec Naples.

      Tous les Cobourg, et les Majestés belges, viennent à Neuilly.

      Valençay, 17 juin 1836.– Il faut que chaque jour soit marqué par une tribulation: hier au soir, nous avons eu une horrible frayeur dont les conséquences auraient pu être des plus graves; elles paraissent devoir être légères, cependant le docteur dit qu'il faut neuf jours pour être certain qu'il n'y aura pas de choc intérieur. La rage de M. de Talleyrand de rester tard dehors l'a fait rentrer hier dans sa petite voiture à la nuit close; de plus, comme un enfant, il s'amuse à se faire pousser à la course et à se diriger en zigzag, de sorte qu'il a mis la roue de devant en travers; elle a, par conséquent, fait obstacle, l'obscurité l'a empêché de s'en apercevoir, il a crié de pousser plus fort par derrière, ce qu'a fait le domestique; il en est résulté un cahot qui a été assez violent pour le faire sauter hors de la voiture et pour le jeter, la tête la première et le visage par terre, sur le gravier de la cour de l'orangerie, à l'entrée du donjon. Il a le visage extrêmement meurtri, et a, heureusement, beaucoup saigné du nez; il n'a pas perdu connaissance, et a voulu rester au salon et jouer au piquet. A minuit, il a mis ses jambes dans de l'eau et de la moutarde, et maintenant il dort encore; mais quelle secousse, quel ébranlement nerveux, à son âge, avec son poids, et souffrant d'un mal pour lequel chaque émotion, chaque trouble est si mauvais!

      Valençay, 18 juin 1836.– La figure de M. de Talleyrand est fort endommagée, mais, du reste, il paraît devoir se tirer miraculeusement de cette singulière chute!

      Valençay, 21 juin 1836 30. – Vous souvenez-vous que c'est vous qui décliniez toutes les conversations sur la religion? Ce n'est qu'une fois, à Rochecotte, que vous m'avez un peu développé vos idées à cet égard; vous étiez plus avancé que moi, alors, dans de certaines croyances; les épreuves par lesquelles j'ai passé depuis m'ont fait aller assez vite dans cette route, mais mon point de départ a été le souvenir de cette conversation, dans laquelle j'ai vu que vous admettiez quelques principes fondamentaux sur lesquels je n'étais pas fixée. Du reste, je n'ai, spéculativement, pas été au delà: ce n'est que dans l'application que j'ai cherché à me diriger d'après cette boussole; je ne me suis en aucune façon occupée du dogme, ni des mystères, et si j'ai une préférence pour la religion catholique, c'est que je la crois plus utile à la société en général, aux États, car pour les individus, c'est différent, et je crois que toute religion qui a l'Évangile pour base est également bonne et divine. Depuis que je vois tous les appuis manquer autour de moi, j'ai senti ma propre faiblesse et le besoin d'un soutien et d'un guide: j'ai cherché et j'ai trouvé; j'ai frappé et il m'a été ouvert, j'ai demandé et il m'a été accordé; tout cela cependant encore fort incomplètement, parce qu'en marchant ainsi seule, et quand on y est si peu préparée, il n'est pas possible de ne pas prendre souvent de faux sentiers, de ne pas glisser dans les ornières et de ne pas trébucher à chaque pas. Il n'aurait pas été sage, même, de m'exciter à trop de zèle et de ferveur, c'eût été me préparer des rechutes et celles-ci peuvent être mortelles; j'avance donc à tout petits pas, et quand je me demande compte de mes progrès, je m'humilie en voyant à combien peu ils s'élèvent: un peu plus de douceur, de patience, d'équilibre et d'empire sur moi-même, voilà tout ce que j'ai acquis. J'ai encore même ardeur pour les choses qui me plaisent, même répugnance pour celles qui m'importunent; mes malveillances ne sont point éteintes; mes rancunes restent assez vivaces, mes inquiétudes d'esprit aussi fatigantes, mon activité aussi peu réglée, ma parole souvent trop prompte et mes expressions pas assez mesurées; j'ai encore mille complaisances pour moi-même, je me blesse du blâme, je me sens trop flattée de l'approbation, je la recherche quelquefois, au besoin, même, je la provoquerais; enfin, il n'y a rien d'aussi difficile, d'aussi long, qui demande plus d'exercice et de persévérance que de mettre ordre à sa conscience.

      Outre le besoin pratique que j'ai senti de me servir d'un fil qui me tirât du labyrinthe, j'y ai encore été portée par un grand sentiment de reconnaissance. Il y a un jour, en Angleterre, où j'ai été tout à coup frappée des grâces innombrables qui m'avaient été accordées, à moi qui avais fait un si mauvais usage de mes facultés et de mes avantages. J'ai admiré la patience de Dieu, la longanimité de la Providence à mon égard; avoir trouvé ce que j'ai trouvé alors m'a semblé un bien si réel, si peu mérité, qu'il m'a rempli le cœur de gratitude. Ce sentiment de reconnaissance a toujours été en augmentant; c'est lui qui me soutient en partie dans l'accomplissement des sacrifices que j'ai à faire. Les grands enseignements que me donne la vieillesse de M. de Talleyrand chaque jour, la mort de Marie Suchet31, la douleur de sa mère, la disparition successive de tant de personnes de ma connaissance, d'âges, de sexes et de positions diverses, celle de cette petite-fille à qui j'ai fermé les yeux32 et qui m'a fait voir la mort de si près, la lecture attentive de bons livres, les conversations élevées de M. Royer-Collard qui voudrait bien se dépouiller du doute philosophique et qui y arrive petit à petit, voilà ce qui m'a fait faire attention à mille choses, inaperçues avant, ce qui me fait tendre vers un but élevé et assuré. Voilà l'histoire de ce côté de ma vie. Du reste, mes allures ne sont pas celles d'une dévote et je puis dire que je suis bien plus avancée dans le fond que dans la forme; je doute même que je change jamais grand'chose à celle-ci.

      Quelle longue réponse je fais là à une seule petite page de votre lettre! Si elle vous paraît trop longue, dites-le, nous réserverons toutes ces révélations pour les soirées de Rochecotte…

      M. le duc d'Orléans a écrit des merveilles sur une conversation qu'il a eue avec M. de Metternich et dont il a été ravi.

      La princesse de Lieven vient de partir: c'est un soulagement général! Je crois que la Princesse et sa superbe nièce33 ont fini par sentir qu'elles avaient été un peu ridicules ici, car elles ont fait bien des frais le dernier jour, des remerciements sans nombre, des excuses des embarras donnés, etc…

      Valençay, 24 juin 1836.– Rien n'est plus bête que d'être mauvais! Mme de Lieven a assez vilainement écrit à Paris pour gémir et se plaindre

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<p>28</p>

Les idées libérales de l'archiduc Charles avaient été, pour le prince de Metternich, l'occasion d'éloigner ce Prince de la Cour et de le rendre suspect. Ils étaient presque brouillés.

<p>29</p>

Virginia Water est une pièce d'eau, dans le parc de Snow-Hill, entre Windsor et Chertsey, dans les environs de Londres. On y fait des courses sur l'eau et des régates.

<p>30</p>

Extrait d'une lettre.

<p>31</p>

Fille de la maréchale d'Albuféra.

<p>32</p>

Yolande de Valençay.

<p>33</p>

La baronne de Mengden, nièce de la princesse de Lieven, vécut plus tard à Carlsruhe où elle était abbesse d'un chapitre noble. Elle était fort grande, surtout de buste, ce qui obligeait le convive appelé à s'asseoir aux repas à côté d'elle à relever avec effort la tête, pour apercevoir la sienne. Très bonne personne, elle était un peu le souffre-douleur de sa tante, et, à Valençay, lors des séjours qu'y fit la princesse de Lieven, celle-ci lui confiait la garde de son coffre à bijoux durant la promenade, de sorte que la baronne de Mengden n'y pouvait prendre part que fort rarement.