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      De plus, ce rappel de l’ancienneté se retrouve également, mais plus rarement, dans d’autres contributions à la revue. Un bon exemple en est le récit de l’entrée du comte de Ribeira, l’ambassadeur portugais, à Versailles qui fut intégré dans le Nouveau Mercure galant d’août 1715 et qui met à nouveau en valeur le prestige des Rohan : l’arrivée de Ribeira constitue sans aucun doute un véritable événement social et l’auteur inconnu de cette contribution décrit en détail les nobles français présents et les différents carrosses du diplomate. Par la suite, il précise encore que la mère de Ribeira est issue de la maison de Rohan qui est « parent & allié aux plus anciennes & aux plus Nobles Maisons de France52 ». Cependant, après cette référence aux Rohan, le contributeur renonce à faire « l’éloge de M. le Comte de Ribeira », sous prétexte qu’« il n’y a qu’une voix pour luy ; & tout Paris semble s’estre donné le mot pour luy rendre sa justice qui est dûë à ses grandes qualitez53 ».

      Un autre genre de textes qui se prête à la défense de valeurs de la noblesse sont les « Dons du roi ». Selon Jean Kerhervé, à l’époque moderne, le pouvoir dans toutes ses formes – administratif, seigneurial ou militaire – est toujours lié à la noblesse54. Ainsi, l’appartenance au deuxième ordre est considérée comme une garantie de la capacité du détenteur d’une charge de bien remplir une fonction spécifique ou de gérer convenablement une seigneurie. Dans un style court et sec qui semble annoncer les télégrammes du XIXe et du début du XXe siècle, le responsable du Nouveau Mercure galant présente dans le numéro d’août 1714 un véritable inventaire des nobles qui profitent d’un don du roi. Pourtant, il s’arrête un instant pour rappeler l’importance d’une famille noble : « L’Abbaye d’Estival, Ordre de S. Augustin, dans la Forêt de Charny, au Diocese du Mans, [fut donnée] à Madame de Pezé, du nom de Courtarvel, d’une noblesse ancienne & distinguée du Maine, où est située la Terre de Courtarvel55. » Dans la livraison du Nouveau Mercure galant de mars 1716, ce phénomène se manifeste également. Il y est expliqué, par exemple, que « le Marquis de Crevecœur a acheté la Charge de Cornette des Mousquetaires de la seconde Compagnie56 ». Par la suite, le contributeur au périodique résume la filiation de ce noble et précise que « [l]a maison dont il sort n’est pas moins distinguée par l’ancienneté de sa noblesse, que par son attachement & sa fidelité pour le service des Rois et de l’Etat57 ». On retrouve donc à nouveau un élément-clé que les défenseurs des privilèges avanceront également dans les remontrances de 1776 : un bon noble est un serviteur irréprochable de la monarchie.

      Force est de constater que le Nouveau Mercure galant contribue à transmettre une image parfaite de la noblesse du royaume ; bien qu’elle soit partiale, cette représentation ne gêne personne. L’ancienneté en tant que valeur constitutive du deuxième ordre est omniprésente, principalement dans les faire-part des mariages et dans les avis de décès. Les autres composantes de cette fiction chevaleresque constituent la loyauté absolue au roi et le courage ; une qualité qui est également associée à la noblesse, comme par exemple dans les nouvelles galantes où les lecteurs rencontrent à nouveau quelques chevaliers exemplaires qui sauvent des dames en danger. Ainsi, il faut constater que Hardouin Le Fèvre de Fontenay et ses contributeurs pensent principalement à la vieille aristocratie d’épée lorsqu’ils écrivent au sujet des nobles et de leur famille58. Cette observation est d’ailleurs confirmée par le fait qu’ils précisent, de temps à autre, l’appartenance d’un serviteur du roi à la noblesse de robe – par exemple dans le Nouveau Mercure galant de juin 1716 : « [L]a famille de Bochart est une des plus anciennes, des plus illustres, & des mieux alliés de la Robe59. »

      Somme toute, cette étude illustre bien la thèse d’Andreas Gestrich selon laquelle la monarchie absolue a en permanence besoin de communiquer et de propager ses idéaux. Plus précisément, la mesure dans laquelle le Nouveau Mercure galant – en tant que revue semi-officielle60 de la cour – contribue à la domestication de la noblesse est devenue évidente. D’un côté, les mauvais exemples – les héros, donc les nobles de l’Iliade – sont dénoncés et leur comportement est rejeté. De l’autre, face à eux, le deuxième ordre français est présenté comme parfait et sans faute61. Tout ce qui pourrait éventuellement faire penser à une opposition nobiliaire est écarté de la stratégie discursive semi-officielle.

      1.2 Unification du royaume

      Suite aux explications d’Andreas Gestrich1 et face à la volonté royale d’augmenter et de concentrer le pouvoir politique à la cour au détriment de la noblesse qui perd une grande partie de son autonomie, il ne faut pas seulement s’interroger sur les devoirs d’un bon noble, mais également sur l’identité culturelle du royaume. Il ne sera pourtant pas question de politiques concrètes, mais plus précisément d’un état des lieux ; la langue française en est notamment concernée puisqu’elle constitue depuis l’affaire des inscriptions un sujet important de la Querelle des Anciens et des Modernes et car elle a connu un essor fulgurant pendant le XVIIe siècle. Bien évidemment, il ne sera pas question d’y revenir et d’écrire une histoire de norme linguistique, mais il faut voir si à l’aube des Lumières, la question de la langue française est à même de mobiliser des auteurs et par la suite, dans quelle mesure la France forme déjà un espace public.

      Certes, le Nouveau Mercure galant d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay paraît à un moment tournant de l’histoire de France – la mort de Louis XIVLouis XIV le 1er septembre 1715 – et ainsi, le périodique est également le témoin d’un changement important de la politique royale2. Néanmoins, il paraît exister un consensus général qui n’est guère remis en question et qui domine dans la revue, bien que la position de Le Fèvre de Fontenay ait évolué par rapport à certaines questions précises, comme par exemple le prestige de l’italien. Pourtant, ces points-là ne seront évoqués que dans un prochain sous-chapitre de cette partie, intitulé « Démarcation de Louis XIVLouis XIV », puisqu’ils touchent à plusieurs domaines différents et non seulement aux questions liées à la langue française ou à l’espace public naissant.

      Le Français – une langue défectueuse ?

      Dans la préface de sa traduction de l’Iliade, Anne Dacier énumère cinq difficultés qu’elle a rencontrées en traduisant l’épopée homérique. Le cinquième défi concerne les différences entre les deux langues, le grec et le français. Voici ses réflexions : « Et la cinquiéme [difficulté] enfin, qui est celle qui m’a le plus effrayée, c’est la grandeur, la noblesse & l’harmonie de la diction, dont personne n’a approché, & qui est non seulement audessus [sic] de mes forces, mais peut-estre audessus [sic] de celles de nostre langue1. » Sans aucun doute, c’est l’érudite qui s’adresse ici à ses lecteurs et qui résume en quelques mots tout un siècle d’essais vains de bien traduire les ouvrages du poète grec. Elle se souvenait certainement du jugement de son père, Tanneguy Le Fèvre, TanneguyLe Fèvre, qui a estimé qu’il est impossible de reproduire l’Iliade en français2. Néanmoins, Anne Dacier s’est prêtée à l’exercice, tout en mettant en garde ses lecteurs contre des attentes trop élevées :

      Mais cette composition meslée, source de ces graces, est inconnuë à nostre langue […]. Voila ma condamnation, & ma condamnation tres juste, si on veut me juger à la rigueur, car j’advouë qu’il n’y a pas un seul vers dans Homere où je ne sente une beaute, une force, une harmonie, une grace qu’il m’a esté impossible de conserver3.

      Or, ces lignes n’ont pas produit l’effet souhaité. Houdar de La Motte les considère comme une provocation et réplique d’une façon relativement violente afin de sauver l’honneur de la langue française. Dans son Discours sur Homère, il contredit Dacier et lui oppose les grands auteurs du siècle de Louis XIVLouis XIV : « [La langue française] [m]anque-t-elle de dignité dans les tragédies de Corneille, PierreCorneille et de Racine, JeanRacine, ou de jeux et de badinage dans les comédies de Molière [Moliere]Molière ? Manque-t-elle de tendresse dans Quinault,

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