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que la royauté doit combler. Gestrich évoque à ce titre « un processus permanent de communication entre le roi et ses sujets4 » ; il paraît évident que le Nouveau Mercure galant, comme successeur du Mercure galant de Jean Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé, continue à y jouer un rôle en tant que revue semi-officielle. Monique Vincent, par exemple, estime que « [l]a dédicace au Roi est à elle seule tout un programme. Elle marque une orientation qui sera réitérée à chaque livraison5 » et Suzanne Dumouchel décrie les différents Mercures du XVIIIe siècle comme des « instrument[s] du pouvoir royal6 ».

      Tout comme le Nouveau Mercure galant qui forme donc une revue hautement politique – trait de caractère qui est renforcé par sa périodicité7 –, la Querelle des Anciens et des Modernes a également une dimension politique. Ceci est souligné par les recherches de Marc Fumaroli ou Larry F. Norman qui évoquent, notamment, le problème de la bonne glorification du roi8 ou le comportement digne d’un bon noble exemplaire. Ainsi, au vu de la grande présence de la Querelle d’Homère dans le périodique et de sa mission politique, la question de savoir dans quelle mesure les propos politiques du périodique reflètent la dualité des Anciens et des Modernes qui marque la société française au début du XVIIIe siècle s’impose.

      Afin de répondre à cette problématique, plusieurs aspects attirent notre attention. Tout d’abord, nous nous pencherons sur la société d’ordres et notamment sur les héros de l’Iliade. Nous étudierons s’ils constituent toujours des modèles pour les nobles français et quels sont les idéaux du deuxième ordre du royaume. Dans ce sous-chapitre, nous verrons aussi si les contributeurs du périodique s’intéressent à l’état réel, donc précaire, de la noblesse d’épée du royaume ou, au contraire, s’ils développent un discours plutôt abstrait et théorique. Par la suite, nous aborderons encore la question complexe de l’unification du royaume – qui est étroitement liée à celle de la concentration du pouvoir9 – c’est-à-dire que nous étudierons le prestige accordé au français et, en nous fondant sur l’exemple de la Querelle d’Homère, nous analyserons dans quelle mesure un espace public, c’est-à-dire une communauté qui participe d’une manière active à un échange d’opinions et d’idées, existait déjà à l’aube des Lumières10.

      Puis, la question hautement politique de la bonne glorification du roi sera discutée. Les différentes manières de chanter les éloges de Louis XIVLouis XIV et de Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans seront mises en avant et principalement le recours ou l’absence des références à l’histoire, notamment au monde gréco-romain. Mais, comme la mort du roi-soleil n’a guère attristé ses sujets11, nous nous interrogerons également sur une possible démarcation du défunt roi : les contributeurs et auteurs du périodique osent-ils dénoncer les dérives de la politique royale malgré l’orientation du Nouveau Mercure galant ? Et, étant donné que le Régent a d’autres convictions et prédilections que Louis XIVLouis XIV, il sera également nécessaire de s’intéresser à sa politique culturelle qui est, par exemple, marquée par le retour de la Comédie-Italienne.

      Enfin, la femme et sa position dans le champ littéraire attireront notre attention : la Querelle d’Homère est-elle également une Querelle des Femmes ? Ou encore, quel accueil le Nouveau Mercure galant – en théorie une revue qui s’adresse spécialement aux femmes – accorde-t-il à Anne Dacier, une figure-clé de l’époque du roi-soleil ? Néanmoins, il faut également préciser les limites de ce chapitre : premièrement, il n’y sera question que des femmes nobles ou appartenant aux premières familles de la bourgeoisie naissante, puisque le périodique d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay s’adresse particulièrement à elles depuis sa création12. Et, deuxièmement, selon Gisela Bock et Margarete Zimmermann, un aspect fondamental de la Querelle des Femmes reste la critique du mariage13. Dans le Nouveau Mercure galant, cette problématique est principalement abordée dans les nouvelles galantes qui sont publiées chaque mois dans la revue et qui s’inspirent de l’exemple de la Princesse de Clèves, le grand roman à succès de la deuxième moitié du XVIIe siècle et, par ailleurs, le moment central d’une autre phase de la Querelle des Femmes14. Or, dans la revue, ces textes contribuent également à la propagation du genre romanesque. La critique du mariage ne constitue pas leur unique thème et cela nous amène à évoquer les nouvelles galantes dans le chapitre consacré à la critique du goût. Le but en est de pouvoir présenter une étude complète et non-morcelée de ce genre. Malgré ces restrictions, il s’agit d’un chapitre polyvalent qui pourrait trouver sa place également dans d’autres parties. Si nous avons décidé de l’insérer ici, la raison en est simple : tout en abordant des sujets comme la perfectibilité de la femme, il y est surtout question des attentes sociales à l’égard des femmes que le Nouveau Mercure galant contribue à propager.

      Le fil rouge qui traversera toute cette partie restera cependant la dualité entre les Anciens et les Modernes et la question de savoir dans quelle mesure celle-ci se retrouve dans le Nouveau Mercure galant. Cette ligne directrice sera reprise d’une manière plus conséquente dans la conclusion dans laquelle nous établirons un bilan et préciserons également, grâce aux études suivantes d’une façon plus approfondie, la nature du périodique.

      1. Questions sociétales : un pouvoir centralisé et fort

      1.1 Promotion des institutions monarchiques ou la société d’ordres

      Paysans, chevaliers et clercs – la tripartition de la société qui marque le monde occidental depuis le Moyen Âge perdure au XVIIe et au XVIIIe siècle. L’aristocratie constitue toujours l’idéal sociétal de l’époque et les riches membres du Tiers état, par exemple les commerçants les plus prospères, rêvent d’obtenir des titres de noblesse1. De même, la vieille aristocratie d’épée doit faire preuve d’une certaine capacité d’adaptation et d’intégration tout en perdant son influence politique et en assistant à la montée de la noblesse de robe qui regroupe les éléments les plus doués du Tiers état2. Un développement qui reflète le besoin toujours grandissant d’experts maîtrisant les nouvelles découvertes et innovations techniques3. Cependant, face à ce bouleversement, la vieille noblesse de sang n’abdique pas. Au contraire, selon Frédérique Leferme-Falguières, elle se défend et entretient la « fiction de son utilité et de son savoir-faire militaires4 », par exemple en mettant en valeur la « promotion de nouveaux chevaliers […], l’une des cérémonies les plus importantes de la cour5 ». Cette mise en avant d’un monde d’hier reste un argument central de la noblesse qui devra défendre ses privilèges pendant tout le XVIIIe siècle. Par exemple, dans les remontrances de 1776, dans lesquelles les représentants du deuxième ordre au Parlement de Paris rejettent les réformes fiscales d’Anne Robert Jacques Turgot, Anne Robert JacquesTurgot, ce motif se retrouve également :

      Ainsi les descendants de ces anciens chevaliers qui ont placé ou soutenu la couronne sur la tête des aïeux de Votre Majesté, les lignées pauvres et vertueuses qui, depuis tant de siècles, ont prodigué leur sang pour l’accroissement et la défense de la monarchie, ont négligé le soin de leur propre fortune et l’ont souvent consommée, pour se livrer tout entier au soin dont le bien public est l’objet6.

      Certes, il s’agit d’un plaidoyer ardent en faveur des privilèges du deuxième ordre, mais, l’argument central n’est guère novateur : la noblesse donne tout pour servir son roi et les allusions aux « anciens chevaliers » ainsi qu’à la « défense de la monarchie » soulignent autant le courage des nobles d’épée que la nature militaire de ce service qui, à en croire les auteurs de ce manifeste, demande de nombreux sacrifices7.

      Par conséquent, les révoltes contre les monarchies européennes de la deuxième moitié du XVIIe siècle, comme la conspiration de Lauréamont menée par le chevalier Louis de Rohan-Guémené, Louis deRohan-Guémené et démasquée en 16748 ou la Glorieuse Révolution en Angleterre en 1688 et 1689, sont habilement omises et les autorités veulent les chasser de la mémoire collective. Ces agissements ne constituent simplement pas des exemples recommandables. Ainsi, il n’est guère surprenant de

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