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est en voie de disparition, ce qui est une menace pour « tous les Arts34 ». Elle insiste particulièrement sur le fait que seul le recours aux auteurs grecs et latins saurait sauver les belles-lettres et rappelle également que tous les grands hommes de lettres du passé ont adoré les œuvres d’Homère35. Après cette première réflexion relativement courte, elle s’en prend au Discours sur Homère qui précède la traduction-imitation de La Motte et, ensuite, elle démontre point par point ses erreurs. Selon Noémi Hepp, cet ouvrage parfois un peu injurieux est rédigé trop vite et manque de force ainsi que de nouveaux raisonnements. En résumé, Hepp le décrit comme une « pesante réfutation de La Motte36 » qui n’est guère convaincante, même si certains contemporains, tel Jean-Baptiste Rousseau, Jean-BaptisteRousseau37, pensent le contraire. Le deuxième héraut qui tente de défendre Homère est François Gacon, FranҫoisGacon, un auteur de nombreux épigrammes satiriques38. Celui-ci ne brille pas non plus par des démonstrations novatrices, mais plutôt par la composition et le ton de son Homère vengé. Ce livre, publié en avril 1715, est formé de vingt lettres dans lesquelles Gacon, FranҫoisGacon répond également au Discours sur Homère de La Motte. Créant la fiction d’une vraie correspondance littéraire, Gacon, FranҫoisGacon s’adresse principalement à un Moderne fictif qui se fait persuader peu à peu par les arguments de l’Ancien, ce qui se manifeste dans les réponses du correspondant imaginaire. Néanmoins, l’Homère vengé frappe surtout les esprits à cause des attaques polémiques que Gacon, FranҫoisGacon lance contre les Modernes. Bien qu’elles puissent choquer aujourd’hui, il semble que ce langage provocateur est nécessaire pour se faire entendre dans la première moitié tumultueuse de cette année 1715. Le succès mitigé de l’Apologie d’Homère et Bouclier d’Achille de Jean Boivin, Jean [M. B.]Boivin, un livre moins polémique de fin avril 1715, en témoigne39.

      Quand la Querelle d’Homère débute, Boivin, Jean [M. B.]Boivin est déjà membre de l’Académie des Inscriptions, haut lieu des Anciens, et est professeur de grec au Collège royal. À l’instar de Dacier et de Gacon, FranҫoisGacon, Boivin, Jean [M. B.]Boivin répond aussi « point par point […] [au] Discours sur Homère d’Houdar de La Motte40 » tout en proposant un débat d’idées. Il s’illustre notamment en démontrant que la description du bouclier d’AchilleAchille est vraisemblable : afin de faire taire les critiques des Modernes, Boivin, Jean [M. B.]Boivin en intègre une représentation « dessinée […] par Nicolas Vleughels, NicolasVleughels, et gravée par Charles Cochin, CharlesCochin41 ». En outre, tout comme Étienne Fourmont, ÉtienneFourmont, son confrère au Collège royal et spécialiste de langue arabe, Boivin, Jean [M. B.]Boivin introduit une dimension historique dans les débats42. Fourmont, ÉtienneFourmont publie sa contribution modérée à la Querelle d’Homère, l’Examen pacifique, fin 1715 et il évite une discussion sèche, en préférant « les vues larges43 » à une réfutation point par point. À côté des discussions sur la nature de la fable que nous trouvons dans la plupart des livres sur la querelle44, il développe aussi l’idée du relativisme historique : « Tout se dit donc, tout doit se dire, et par conséquent être lu dans un poème par rapport aux idées de la nation pour laquelle il est composé ; et ces grandes idées, ces idées philosophiques, générales, abstraites, éternelles, n’y sont presque jamais recevables45. »

      Il ressort de ce tour d’horizon que les arguments des Anciens évoluent. En ne regardant que les arguments les plus importants, il devient évident que nous pouvons faire la différence entre les Anciens tournés principalement vers le passé et ceux qui essaient d’emprunter de nouveaux chemins. Nous avons par exemple déjà évoqué la grande fascination d’Anne Dacier pour l’Antiquité et elle peine à développer de nouveaux arguments. Ainsi, elle fonde sa définition du poème épique principalement sur AristoteAristote : « [U]ne fable inventée pour former les mœurs par des instructions déguisées sous les allégories d’une action46. » Par conséquent, elle accorde une place centrale aux interprétations allégoriques et n’hésite pas non plus à rapprocher l’Iliade de la Bible. Ce syncrétisme est pourtant dépassé et les autres Anciens l’abandonnent progressivement, comme, par exemple Jean Boivin, Jean [M. B.]Boivin qui dénonce certaines allégories d’Homère. Or, Boivin, Jean [M. B.]Boivin ramène ainsi « au vraisemblable ce qui se voit taxé d’invraisemblance [par les Modernes] […] [ce qui] est aussi accepter que le cadre du débat soit posé par les Modernes47 ». Plus intéressants sont les arguments des Anciens qui s’opposent à l’idée d’une raison universelle et qui préfèrent la beauté naturelle telle qu’elle se trouve chez Homère à une beauté idéalisée. Ce discours figure déjà chez Gacon, FranҫoisGacon ou chez Anne Dacier qui souligne la simplicité noble et pleine de vertus de l’Antiquité homérique48. Boivin, Jean [M. B.]Boivin et Fourmont, ÉtienneFourmont la suivent sur ce terrain et, de plus, esquissent encore d’autres lignes de défense, notamment celle du relativisme historique que l’on trouve également chez Fénelon, François Salignac de La MotheFénelon ou Jean Buffier, ClaudeBuffier et qui sera notamment au centre des travaux de l’abbé Jean-Baptiste Du Bos, Jean-BaptisteDu Bos quelques années après la querelle49.

      En 1715, donc au moment-clé de la Querelle d’Homère, les Modernes dominent encore et les Anciens peinent à imposer leurs nouveaux arguments évoqués ci-dessus. Le parti d’Houdar de La Motte leur oppose des arguments fondés sur la raison et la méthode géométrique50. Le premier homme de lettres qui soutient La Motte est l’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons. Il ne figure pas dans la chronologie de la querelle que propose Julie Boch dans Les Dieux désenchantés et, dans la suite de son analyse, Pons, Jean-François de [M. P.]Pons n’apparaît que deux fois dans les de la chercheuse51. Il se peut que cette absence ait pour cause le principal centre d’intérêt de Boch, à savoir la fable, qui est un domaine sur lequel Pons, Jean-François de [M. P.]Pons ne se prononce guère52. En outre, ce dernier déclare son allégeance aux Modernes en 1714. En effet, avant la période la plus virulente de la Querelle d’Homère, il avait déjà rédigé une « Lettre à Monsieur *** sur l’Iliade de Monsieur de La Motte » ce qui fut sa contribution la plus connue aux débats. Il y associe le bon goût à la raison53 et défend la langue française54. Ensuite, Pons, Jean-François de [M. P.]Pons semble se taire et ne plus se prononcer sur la dispute. Or, parfois, les apparences sont trompeuses puisqu’il commence à contribuer – plus ou moins anonymement, mais assidûment – au Nouveau Mercure galant d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay. Il s’avère pourtant que cette collaboration est souvent ignorée par la communauté scientifique. Anne-Marie Lecoq, par exemple, relie Pons, Jean-François de [M. P.]Pons uniquement au Nouveau Mercure qui paraît de 1717 à 1721 et la Biographie universelle ancienne et moderne ne parle pas du tout des activités proto-journalistiques de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons55.

      Après Pons, Jean-François de [M. P.]Pons, La Motte est le deuxième Moderne qui prend la parole à l’occasion de la Querelle d’Homère et ses Réflexions sur la critique, dont trois tomes paraissent en 1715, constituent une réaction aux Causes de la corruption du goût d’Anne Dacier. Bien que La Motte affiche un ton conciliant, il n’y a aucun doute sur le fait que les différentes parties de cet ouvrage soient des pamphlets violents contre son adversaire. La Motte choisit en effet, dans ses Réflexions sur la critique, une approche similaire à celle de son Discours sur Homère dans lequel il se montrait relativement diplomate avant de lancer des attaques brutales contre le poète grec. Alors qu’il semblait louer Anne Dacier, une lecture au deuxième degré révèle une ironie mordante56. En outre, il faut noter que La Motte renonce à la publication de la quatrième partie des Réflexions après la réconciliation du 5 avril 171657, ce qui souligne encore davantage le caractère polémique de ces textes. En ce qui concerne ses arguments, La Motte n’emprunte guère de nouveaux chemins, mais il reprend les pistes qu’il a déjà esquissées dans le Discours sur Homère. Dans la première partie qui paraît probablement au début de l’année 1715, le membre de l’Académie française s’exprime sur l’autorité des auteurs gréco-latins. Ensuite, dans la deuxième partie, qui est approuvée par la libraire le 22 mars 1715, il défend son Discours sur Homère contre les critiques d’Anne Dacier et enfin, dans la troisième partie qui date de la fin de l’année 1715, La Motte explique la genèse de son imitation-traduction

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