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le groupe des Modernes s’agrandit avec l’abbé Jean Terrasson, JeanTerrasson qui publie sa Dissertation critique sur l’Iliade d’Homère en deux volumes. Comme Étienne Fourmont, ÉtienneFourmont et Jean Boivin, Jean [M. B.]Boivin, Terrasson, JeanTerrasson enseigne au Collège royal et il est un spécialiste de la philosophie grecque et latine60. En tant que tel, il parle le grec, ce qui le distingue de La Motte et d’autres Modernes. Malgré cette érudition, Noémi Hepp le décrit comme un véritable « géométrique61 » et un « disciple de Fontenelle, Bernard Le Bovier deFontenelle62 » qui définit l’objectif de son ouvrage de la manière suivante : « Ma vûë principale est de faire passer jusqu’aux belles-lettres cet esprit de Philosophie, qui depuis un siécle a fait faire tant de progrés aux Sciences naturelles63. » Dans ses attaques contre l’Iliade homérique, nous retrouvons des sujets déjà mis en avant, comme l’immoralité des dieux et des héros ou bien la question du véritable sujet de l’épopée.

      Cette étude des forces en présence nous montre que le grand clivage qui sépare les Anciens des Modernes reste la question de la régularité, ou plutôt de l’irrégularité, qui remonte au moins au début du XVIIe siècle. Dans la Querelle des Anciens et des Modernes, et particulièrement dans la Querelle d’Homère, la régularité est liée à la raison et la méthode géométrique dont tous les Modernes que nous venons de présenter, c’est-à-dire Houdar de La Motte, l’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons et l’abbé Jean Terrasson, JeanTerrasson, sont les défenseurs. D’après les recherches de Noémi Hepp, « cette quasi-identification du goût à la raison64 » a des conséquences : premièrement, l’art, et donc aussi les belles-lettres, sont ainsi sujets au progrès qui caractérise les sciences. Cela signifie que la raison domine la créativité et qu’elle doit freiner une imagination trop fertile. Deuxièmement, « l’exigence morale » se voit introduite dans le domaine des arts et, troisièmement, il résulte de ces principes que la beauté est définie par le respect des règles rationnelles65. Certes, nous avons également vu l’opposition des Anciens à cette conception géométrique de la littérature, mais ils n’arrivent pas encore à se faire entendre – ce sera Jean-Baptiste Du Bos, Jean-BaptisteDu Bos qui formulera une véritable alternative aux idées esthétiques des Modernes : les idées traditionnelles d’Anne Dacier sont déjà dépassées et celles de Boivin, Jean [M. B.]Boivin et Fourmont, ÉtienneFourmont, tel le relativisme historique, pas encore mûres. Les premières arrivent « trop tard66 » et les dernières « trop tôt ».

      Le Nouveau Mercure galant, la querelle et notre problématique

      Outre les débats et les discussions au sein de la République des Lettres, il existe aussi un autre terrain où s’exprime la Querelle d’Homère : celui des périodiques. Le Journal des sҫavans, le Nouveau Mercure galant, les Nouvelles Littéraires et l’Histoire critique de la République des Lettres – pour n’en nommer que quatre – participent d’une manière active à la Querelle d’Homère en publiant des comptes-rendus de livre ou de courts textes en prose ou en vers, enjoués ou polémiques. Au vu de son importance pour la presse française de l’Ancien Régime, de son caractère mondain et du fait qu’il profite d’un privilège royal, le Nouveau Mercure galant se distingue des autres titres évoqués ci-dessus et c’est la raison pour laquelle il se situe au cœur de nos recherches. Au moment de la Querelle d’Homère, le Nouveau Mercure galant se trouve sous la responsabilité d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay qui se décrit lui-même comme « plus voyageur qu’écrivain1 ». Toutefois, nous ne le connaissons guère. Le Fèvre de Fontenay n’apparaît pas dans la Biographie universelle ancienne et moderne de Louis-Gabriel Michaud2 et une grande partie des informations sur lui que propose le Dictionnaire des journalistes proviennent du Nouveau Mercure galant. Nous y apprenons que Le Fèvre de Fontenay a voyagé principalement dans la région méditerranéenne et que son père fut vendeur de graines à Paris. Cette carrière n’intéresse pas Le Fèvre de Fontenay : en décembre 1713, il commence à travailler au Mercure galant de Charles Dufresny, CharlesDufresny et il en devient le responsable principal en mai 1714. Par la suite, il s’en occupe jusqu’en octobre 17163. Contrairement à ses illustres prédécesseurs, Dufresny, CharlesDufresny et Jean Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé, Le Fèvre de Fontenay n’est pas un privilégié, mais uniquement le responsable du périodique puisqu’il reçoit de Dufresny, CharlesDufresny une pension en échange de son travail4. À l’instar du privilège royal, un certain talent littéraire manque également à Le Fèvre de Fontenay qui ne réussit pas à faire évoluer la revue. Ainsi le responsable du Nouveau Mercure galant n’est-il pas un précurseur de la presse du XVIIIe siècle. Il ne s’inspire ni de la mode des feuilles moralistes lancée en Angleterre par Joseph Addison, JosephAddison et Richard Steele, RichardSteele et qui sera reprise en France par MarivauxMarivaux5, ni de la tendance à organiser les différents textes d’une livraison en rubriques6, bien au contraire, puisque Le Fèvre de Fontenay revient à la forme fictive d’une « lettre à une dame en province » qui fut établie et perfectionnée par Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé. Pourtant, Le Fèvre de Fontenay ne parvient à aller que quatre fois jusqu’au bout de cette mise en scène et, dans les autres livraisons, il s’adresse alternativement à un seul correspondant fictif et à tous ses lecteurs7. Les lieux d’édition soulignent également le déclin de la revue au cours du premier XVIIIe siècle. Si, pendant une vingtaine d’années, entre 1678 et 1695, les Mercures sont publiés à Paris et à Lyon, le Nouveau Mercure galant ne vient que de Paris. Tout en notant que cette évolution commence sous la direction de ses prédécesseurs, nous devons néanmoins constater que Le Fèvre de Fontenay ne réussit pas non plus à inverser cette tendance8.

      En revanche, il est trop simpliste de réduire le responsable de la revue et ses 29 Mercures à ce bilan négatif parce que Le Fèvre de Fontenay parvient à publier chaque mois – à part en septembre 1716 – un recueil d’environ 300 pages qui réunit des contributions hétérogènes traitant de la culture et de l’information9 : de textes plutôt sobres, presque encyclopédiques, comme les « Articles des morts » ou les « Articles des mariages », à des petites pièces en poésie dignes des Divertissements de Sceaux en passant par des nouvelles politiques de l’étranger et des réflexions sur l’astronomie. Et si Monique Vincent compare le Mercure galant de Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé à une « Amazonie10 » à cause du grand nombre de nouvelles galantes qui paraissent dans les pages de la revue, ce constat vaut aussi pour Hardouin Le Fèvre de Fontenay qui en publie beaucoup. Ces textes appartenant au genre romanesque constituent une partie importante des Mercures et les lecteurs en demandent régulièrement de nouvelles. Par exemple, en juin 1715, Le Fèvre de Fontenay explique à une « Madame » : « Je vous ai promis des historiettes. Il faut vous tenir parole11. » À la même occasion, ce passage montre l’importance du public pour le Nouveau Mercure galant. Son responsable ne réussit pas seulement à vendre le périodique, mais il arrive également à faire participer les lecteurs à la revue en publiant leurs propres rédactions. De cette manière, il fait de la revue un véritable « salon de papier12 » et remplit parfaitement la mission du périodique, c’est-à-dire qu’il crée un lien entre la société galante de Paris et ses lecteurs à travers tout le royaume. Le Nouveau Mercure galant constitue, par conséquent, ce que Suzanne Dumouchel appelle un « lieu […] de sociabilité13 ».

      Cette nature de la revue implique un grand nombre de plumes. Pourtant, force est de constater que nous ne savons pratiquement rien sur ces dernières et la notice consacrée au Nouveau Mercure galant dans le Dictionnaire des journaux ne nous aide pas. Si nous disposons de listes détaillées des contributeurs des Mercures de Donneau de Visé [Devizé], JeanDonneau de Visé14, de Dufresny, CharlesDufresny15 et de François Buchet, FrançoisBuchet16, ce n’est pas le cas du Nouveau Mercure galant17. Par conséquent, nous ne savons pas si Le Fèvre de Fontenay a profité de l’aide de contributeurs officiels et réguliers, tel Thomas Corneille, ThomasCorneille qui écrit de 1680 à 1709 pour le Mercure. D’autres questionnements subsistent également et nous essaierons dans ce travail de percer quelques-uns de ces mystères : par exemple,

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