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» Par la suite, elle l’épousera, mais ce qui est intéressant d’un point de vue politique, c’est principalement le fait que le beau cavalier représente parfaitement les critères de la chevalerie. Antoine Furetière, AntoineFuretière, par exemple, explique qu’un chevalier digne de ce nom incarne la bravoure et qu’il sert et protège une dame7.

      Ce modèle idéal est également développé dans d’autres nouvelles galantes. Dans le Nouveau Mercure galant de juin 1714, Hardouin Le Fèvre de Fontenay publie une lettre écrite de la campagne d’Italie – une partie de la guerre de succession d’Espagne8. Il s’agit là de l’histoire d’amour de Vespasia Manelli et d’Olivier de la Barriere, probablement le contributeur anonyme qui l’a envoyée à la revue9. La scène qui est intéressante dans l’optique politique choisie dans cette sous-partie se déroule au moment du départ de Vespasia qui veut fuir sa maison paternelle à Mantoue, où elle vit prisonnière, et rejoindre la villa de sa tante à la campagne grâce à l’aide d’un certain Valerio qui prétend vouloir soutenir ses projets. Afin de quitter la ville et accompagnée par une amie, elle se cache, pour fuir par la suite dans un carrosse envoyé par Valerio. Voici ce que Vespasia raconte :

      Je m’étois […] retirée avec Leonor [mise en italique dans l’original] dans un cabinet sombre […]. Je commenҫois déjà même à m’ennuyer de ne le pas voir arriver, lorsque tout à coup je fus saisie de crainte & d’horreur, à la vûë d’un serpent d’une grosseur énorme. Je vis ce terrible animal sortir d’un trou […]. Je poussai aussitôt un grand cri, qui lui fit tourner la tête de mon côté ; je tombai à l’instant, & je m’évanoüis. Cependant ces Messieurs [Olivier de la Barriere et un ami], qui se promenoient alors assez près du cabinet, vinrent à mon secours10.

      C’est le « Seigneur Olivier11 » qui réussit à vaincre le monstre et à sauver les deux femmes. De plus, Vespalia souligne bien le courage du chevalier français qu’elle épousera à la fin de cette nouvelle. Ici, les lecteurs du Nouveau Mercure galant retrouvent un motif classique de la littérature chevaleresque – tout comme les dragons qui ne sont que « des serpents aislés12 », sachant que les serpents incarnent en général le mal13. Grâce à son exploit, Olivier devient donc un nouveau Michel, saintSaint Michel ou Georges, saintSaint Georges, c’est-à-dire un chevalier exemplaire qui délivre une femme en danger – un parfait héros altruiste. En outre, cette impression est soutenue par le titre du sauveur : « Seigneur » qui renvoie à la noblesse. De plus, la valeur du héros noble – et donc de la chevalerie – est encore renforcée par le caractère jaloux et égoïste de Valerio qui tente, dans la suite, d’enlever lâchement Vespasia et Leonor.

      Le jeune Chevalier de Versan, dont le caractère s’assombrira peu à peu pendant l’histoire, et Olivier de la Barriere sont cependant les exceptions qui confirment la règle et la grande majorité des nouvelles galantes se passent d’un personnage chevaleresque ainsi que de monstres, mais cet aspect sera davantage approfondi dans la partie « Dimension esthétique ».

      L’image du bon chevalier courageux, en revanche, se trouve également dans les « Articles des morts » et dans les « Articles des mariages ». Dans chaque livraison du Nouveau Mercure galant, les lecteurs peuvent trouver des contributions qui résument les mariages et les décès du mois passé14. Sans entamer une analyse quantitative de ces textes, qui occupent en général quelques dizaines de pages d’un périodique, la question de savoir dans quelle mesure les « Articles des morts » et les « Articles des mariages » contribuent à la diffusion d’une certaine idée de la noblesse sera abordée. Il paraît par ailleurs légitime d’étudier ici deux phénomènes si différents – l’un triste et l’autre heureux – dû à la structure homogène de ces contributions qui s’inscrivent dans la tradition du genre épidictique qui date de l’Antiquité gréco-latine15 – mais nous y reviendrions après une étude de ces textes : tout d’abord, le généalogiste d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay annonce toujours la nouvelle ; dans le cas d’un défunt, la phrase classique est « quelqu’un mourut tel ou tel jour ». S’il s’agit d’un hymen, elle est présentée sous cette forme : « [Q]uelqu’un a épousé tel ou tel jour telle ou telle dame. » Et, bien souvent, l’auteur de ces articles ajoute directement aux noms des personnes d’autres informations, comme les titres de l’époux. Puis, – peu importe, s’il s’agit un décès ou un mariage – le généalogiste résume l’histoire de la famille ou des familles en question en entrant plus ou moins dans les détails16.

      Dans les réflexions précédentes, il a déjà été souligné que le courage est une qualité essentielle d’un noble et cet élément-clé est – sans surprise – également présent dans cette rubrique spécifique, mais typique du Nouveau Mercure galant. Cependant, à la bravoure s’ajoute encore l’ancienneté d’une famille comme critère important. Selon Frédérique Leferme-Falguières, la question du sang est primordiale car elle permet à la vieille noblesse d’épée de se distinguer des nouveaux parvenus : « C’est la réaction classique d’une élite qui éprouve le besoin de renforcer les critères d’admission en son sein, lorsqu’elle se sent menacée17. » Les défenseurs des privilèges de l’aristocratie s’appuient également sur cet argument dans les remontrances de 1776 en rappelant qu’ils soutiennent la monarchie « depuis tant de siècles18 ». Somme toute, plus ancienne est une famille et mieux elle est perçue d’un point de vue social et politique. Il n’est donc guère étonnant de voir se multiplier des formules telles qu’« une ancienne maison19 » ou « d’une tres-bonne & tres-ancienne noblesse de cette Province20 » pour caractériser en quelques mots l’importance d’une famille noble.

      Cependant, sans étudier les histoires de toutes les familles évoquées, il reste difficile de comprendre a posteriori les critères exacts selon lesquels ce qualificatif positif est attribué aux différentes maisons. Un bon exemple est néanmoins présent dans la livraison de décembre 1715 où les lecteurs découvrent le faire-part de mariage de « Messire ______ [blanc dans l’original] de Matignon, Comte de Thorigny » qui « a épousé le ____ [blanc dans l’original] Novembre Damoiselle ______ [blanc dans l’original] Grimaldi21 ». Par la suite, le généalogiste du Nouveau Mercure galant précise que « la Maison de Grimaldi […] [est] l’une des plus anciennes, des plus illustres & des plus puissantes Maisons de Genes : Pour celle de Matignon, dont le veritable nom est Goyon, elle est une des plus anciennes & des plus illustres du Royaume22 ». Même au XXIe siècle, le prestige des deux familles reste ostensible : un descendant des Grimaldi continue de régner sur Monaco, cette principauté au bord de la Méditerranée, et l’hôtel parisien de la maison normande de Matignon est devenu le siège des premiers ministres français de la Ve République23. Dans ce cas précis, la vénération semble donc justifiée, mais le généalogiste du Nouveau Mercure galant se passe d’illustrer ces affirmations. Ainsi, ces rappels de l’ancienneté paraissent être un lieu commun qui se retrouve pourtant dans la plupart des livraisons de la revue.

      D’autres contributions mettent plus amplement en scène les moments les plus importants des dynasties nobles et racontent leurs histoires depuis le Moyen Âge. La notice nécrologique de Claude de Longüeil, Claude deLongüeil qui mourut « le 22. D’Aoust [1715] âgé de 47 ans24 » occupe, par exemple, environ 20 pages25. De cette manière, son avis de décès constitue une véritable chronologie familiale et retrace également les grandes étapes de l’histoire française. Selon le généalogiste du Nouveau Mercure galant, l’histoire des Longüeil a commencé au XIe siècle : « Le I. de cette maison dont les Historiens fassent mention est Adam Sire de Longüeil, Adam deLongüeil Chevalier Banneret qui accompagna Guillaume le Conquêrant Duc de Normandie en sa conqueste d’Angleterre l’an 106626. » Puis, les lecteurs de la revue apprennent les noms des descendants d’Adam de Longüeil, Adam deLongüeil à travers les siècles sans qu’un événement majeur soit évoqué. Si cette forme de narration est plutôt monotone, elle a pourtant le mérite de souligner la filiation directe depuis 1066 et prouve donc mieux que toute formulation stéréotype l’ancienneté de la maison de Longüeil. Cette histoire familiale devient pourtant plus dramatique lors de la guerre de Cent Ans ; elle demande un lourd tribut à la famille

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