Скачать книгу

suis offensé d’entendre AchilleAchille qui traite AgamemnonAgamemnon d’yvrogne & d’impudent, qui l’appelle sac-à-vin, & et visage de chien. Il n’est pas possible que des Roys & de grands Capitaines ayent jamais esté assez brutaux pour en user ainsi ; ou si cela est arrivé quelquefois, ce sont des mœurs trop indécentes, pour estre representées dans un Poëme, […] AchilleAchille […] me paroist mal entendu […] se moquant des loix, & croyant avoir droit de s’emparer de tout par la force des armes9.

      Pour Larry F. Norman, c’est évident : tout en écrivant « AgamemnonAgamemnon », Perrault, CharlesPerrault pense à Louis XIVLouis XIV et le comportement indigne d’AchilleAchille est à même de réveiller des souvenirs douloureux d’un passé récent ; pour un lecteur de l’époque, le recours à la « force des armes » peut pointer vers les révoltes évoquées ci-dessus. Et Norman insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une surinterprétation de la part de Perrault, CharlesPerrault qui semble connaître les textes de Thomas Hobbes, ThomasHobbes10. Dans le Léviathan, celui-ci reproche également aux auteurs grecs et romains de constituer une menace pour la monarchie ; c’est la raison pour laquelle Hobbes, ThomasHobbes demande aux autorités de restreindre massivement la circulation de ces livres dangereux11. Un point de vue que partagent d’ailleurs quelques contributeurs au Nouveau Mercure galant, comme Jean-Antoine Du Cerceau, Jean-AntoineDu Cerceau ou l’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons12.

      Pour le moment, en revanche, il paraît primordial de se concentrer sur le comportement d’AchilleAchille et d’autres héros. Si on suit le raisonnement de Norman et de Perrault, CharlesPerrault, l’Iliade d’Homère choque car elle détruit la fiction chevaleresque chère à la noblesse et car elle peut inciter les nobles à la révolte : de ce fait, la question de savoir comment le Nouveau Mercure galant d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay traite ce passage de l’Iliade s’impose.

      Des héros dénués de qualités chevaleresques

      Tout d’abord, il faut noter que la confrontation entre AgamemnonAgamemnon et AchilleAchille, qui dégoute vivement Perrault, CharlesPerrault, n’apparaît que deux fois dans le périodique – et uniquement dans des textes des Anciens ou dans des réactions immédiates à ceux-ci. Premièrement, il faut évoquer la contribution d’une « Dame d’érudition antique1 » qui compare différentes traductions – complètes ou partielles – de l’Iliade dans une lettre à « un Academicien Franҫois » qui fut publiée dans la livraison d’avril 17152. Le destinataire inconnu est certainement Houdar de La Motte et, contrairement à Perrault, CharlesPerrault, l’autrice de cette contribution semble moins choquée. Elle dit préférer la traduction de ce passage proposée par l’abbé Régnier-Desmarais, François-SéraphinRégnier-Desmarais en 1700 à celle de La Motte :

      J’estime encore plus ces vers gaulois [de Régnier-Desmarais, François-SéraphinRégnier-Desmarais] en faveur de leur simplicité, que tout l’esprit des vostres, du moins ils approchent de l’Original ; car je ne sҫay comme vous vous y prenez, vous avez un art admirable pour rendre froids & plats les discours les plus forts, les plus nobles & les plus heroïques ; on ne retrouve plus dans la querelle d’AgamemnonAgamemnon & d’AchilleAchille ces injures nombreuses & harmonieuses qui flattent si agreablement les oreilles et l’esprit3.

      Certes, l’Ancienne y défend des propos grossiers, mais elle ne se sert que d’arguments dépendant de la critique du goût. Elle n’évoque pas le problème politique que Charles Perrault, CharlesPerrault y a identifié. Elle ne semble pas lire Louis XIVLouis XIV où il est écrit « AgamemnonAgamemnon ». Ainsi, elle continue à déplorer les choix de La Motte qui n’aurait pas senti la beauté de ces vers4.

      Contrairement à la contributrice anonyme, il semble que son correspondant, Houdar de La Motte, ait pleinement compris la dimension politique de ce passage de l’Iliade. À l’instar de Perrault, CharlesPerrault, il y lit également Louis XIVLouis XIV ce qui explique bien ses modifications que la dame d’érudition antique critique violemment. Dans son Discours sur Homère, La Motte démontre comment il comprend cette dispute :

      Au premier livre, AchilleAchille parle avec insolence à AgamemnonAgamemnon ; AgamemnonAgamemnon le menace de lui enlever BriséideBriséide, et la colère d’AchilleAchille s’allumant, le sage NestorNestor se lève pour les calmer. Il remonte à l’un qu’il doit du respect au chef de l’armée, et à l’autre de l’égard au fils des dieux. Voilà […] un jugement d’Homère sur la conduite d’AchilleAchille et d’Agamemon ; il les condamne l’un et l’autre ; la morale est contente5.

      Donc, si La Motte n’approuve point les propos d’AchilleAchille qu’il qualifie d’« insolence », il semble applaudir NestorNestor qui les condamne. Pourtant, il faut examiner correctement le verdict de La Motte : en apparence, il se heurte au comportement d’AchilleAchille et d’AgamemnonAgamemnon, mais d’un point de vue politique, seule sa critique d’AchilleAchille est applicable à la situation du royaume de Louis XIVLouis XIV étant donné qu’il ne précise jamais de quelle manière un roi doit traiter un simple mortel. La Motte souligne seulement qu’un roi doit respecter les dieux ou, dans le cas de Louis XIVLouis XIV, le Dieu chrétien. Par conséquent, La Motte indique qu’un souverain peut traiter ses sujets ordinaires comme bon lui semble. Mais de l’autre côté, il souligne que même un « fils des dieux », c’est-à-dire le membre le plus distingué de la noblesse, doit traiter avec respect son roi. Donc, force est de constater que La Motte rejoint ici Perrault, CharlesPerrault et sa lecture politique de cette scène importante de l’épopée. Mais, cette interprétation ne se retrouve pas dans le Nouveau Mercure galant. Toutefois, il faut aussi noter la prudence énorme avec laquelle Perrault, CharlesPerrault et La Motte abordent ce sujet délicat. Le simple fait d’admettre que l’on puisse critiquer un monarque semble les horrifier6.

      L’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons partage entièrement cette opinion et ceci constitue une des raisons pour laquelle la lecture de l’Homère vengé de François Gacon, FranҫoisGacon le révolte. Ce pamphlet du défenseur d’Homère paraît en avril 1715 et, déjà dans le Nouveau Mercure galant de mai 1715, Pons, Jean-François de [M. P.]Pons réplique7 – c’est la deuxième apparition de la dispute d’AchilleAchille et d’AgamemnonAgamemnon dans la revue. Au niveau politique, une comparaison choque particulièrement Pons, Jean-François de [M. P.]Pons et, probablement pour en montrer la démesure, il la reproduit dans sa réfutation de l’Homère vengé donnant de cette manière la parole à Gacon, FranҫoisGacon :

      [O]n peut même avancer que son AchilleAchille, est du moins aussi sage que bien des Heros de nostre temps. Le Prince de Condé, Louis II de BourbonCondé, M. de TurenneTurenne ne se sont-ils pas portez à des excés beaucoup plus condamnables, & cependant qui oseroit nier que ces grands Hommes ne soient des Heros propres à être chantez par des Poëtes8.

      Gacon, FranҫoisGacon, qui cherche à défendre AchilleAchille, sans pourtant approuver les injures que le fils de ThétisThétis adresse à AgamemnonAgamemnon, se pose la question de savoir si les héros de son propre temps sont réellement meilleurs ; ainsi, il met les Modernes face aux côtés sombres de leur époque et suggère que le siècle de Louis XIVLouis XIV est pire : selon lui, le « Prince de Condé, Louis II de BourbonCondé » – Louis II de Bourbon-Condé, Louis II de BourbonCondé, aussi connu comme le Grand Condé, Louis II de BourbonCondé – et « M. de TurenneTurenne » – Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de TurenneTurenne – ont commis des crimes bien plus graves qu’AchilleAchille. Cependant, Gacon, FranҫoisGacon s’arrête là et, faisant preuve de prudence, il ne va pas plus loin dans sa comparaison9, mais un lecteur averti comprend probablement son raisonnement : le héros de l’Iliade a peut-être voulu tirer son épée et attaquer AgamemnonAgamemnon, son roi, mais a finalement renoncé à cet affront et, encore plus important, il n’a jamais renforcé le camp troyen. Or, c’est justement ce que les deux généraux français ont fait ; ils ont rejoint la Fronde, pris les armes et combattu contre leur monarque. Ces péchés des deux illustres nobles furent pourtant pardonnés et

Скачать книгу