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de Fontenay donne des informations sur les enjeux des débats et incite son public à y participer de manière active : les réactions et contributions des lecteurs socialement ou géographiquement éloignés du centre culturel en constituent la meilleure preuve.

      En résumé, le Nouveau Mercure galant contribue sur deux niveaux différents à l’unification du royaume. Contrairement à Anne Dacier qui évoque certaines faiblesses de sa langue maternelle, la revue défend le français et les œuvres qui sont rédigés dans la langue de Molière créant de cette manière une sorte de patrimoine national – il faut notamment se souvenir de l’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons qui parle de « nos bons ouvrages » et cite Corneille, PierreCorneille, Molière [Moliere]Molière et Racine, JeanRacine comme exemples36. Cependant, bien que le périodique ait plus l’air d’un porte-parole des Modernes que d’un « forum37 » de discussion puisqu’aucun Ancien ne cherche à défendre la position d’Anne Dacier, il est évident que les défenseurs du français restent un groupe hétérogène : alors que Pons, Jean-François de [M. P.]Pons défend l’égalité des différentes langues38, un contributeur anonyme insiste sur la supériorité du français face au latin et au grec39.

      De même, la réception de la Querelle d’Homère dans la revue témoigne d’une certaine manière d’une unification réussie. Une étude détaillée des différentes contributions souligne bien que des auteurs-lecteurs qui sont socialement ou géographiquement éloignés du centre culturel participent à l’échange et qu’un espace public qui dépasse les salons de la haute société parisienne existe40. Pourtant, il faut également admettre que ces contributeurs restent minoritaires et qu’un manque d’information nous empêche de préciser nos résultats sans entamer de recherches plus poussées dans les archives : un grand nombre de contributeurs cachent leur identité, publient sous anonymat dans le périodique ou utilisent un pseudonyme41.

      L’accent mis sur des pratiques culturelles paraît nous éloigner de la dimension politique de la Querelle d’Homère. Pourtant, d’un côté, il faut se rappeler la réflexion de Myriam Dufour-Maître qui soutient que la galanterie joue un « rôle éminemment politique […] par son apolitisme même42 ». Dans ce sens, il est possible d’affirmer que la Querelle d’Homère contribue à l’unification du royaume de France : sa réception dans le Nouveau Mercure galant montre le prestige que le français vient d’acquérir et le bon fonctionnement de l’espace public national naissant. De l’autre, cela distingue également la revue d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay d’autres périodiques : les Nouvelles Littéraires, par exemple, ne transmettent guère une version aussi populaire de la Querelle d’Homère, bien que l’on y trouve également des pièces divertissantes43.

      2. De Louis XIV à Philippe d’Orléans

      2.1 Entre éloges anciens et modernes

      Par la suite, nous étudierons les différentes stratégies servant à glorifier Louis XIVLouis XIV et Philippe d’Orléans, le RégentPhilippe d’Orléans, le Régent. Dans un premier temps, nous révélerons la présence – ou l’absence – des références au passé, ou autrement dit, nous offrons une lecture au premier degré, ce qui nous permet de lier les éloges du Nouveau Mercure galant à l’histoire culturelle et aux glorifications traditionnelles du roi-soleil. C’est uniquement dans un deuxième temps, à savoir dans le prochain sous-chapitre que nous nous interrogerons sur la possibilité d’une lecture au deuxième degré de ces textes. Dans ce contexte, nous aborderons également des contributions qui présentent une vision plutôt sombre de leur époque ou qui rompent radicalement avec la politique culturelle du roi-soleil.

      La question de la bonne glorification du roi est un vieux sujet de débat et elle a déjà marqué la première partie de la Querelle des Anciens et des Modernes. Selon Marc Fumaroli, Nicolas Boileau, NicolasBoileau aime décrire son roi comme « un héros ancien réapparu parmi les Modernes » et Charles Perrault, CharlesPerrault fait de son souverain « l’argument en faveur de la supériorité des Modernes sur l’Antiquité1 ». Dans « Le Siècle de Louis le Grand », l’ancien commis de Jean-Baptiste Colbert, Jean-BaptisteColbert déclare :

      Les siècles, il est vrai, sont entre eux différents

      Il en fut d’éclairés, il en fut d’ignorants ;

      Mais si le règne heureux d’un excellent Monarque

      Fut toujours de leur prix et la cause et la marque,

      Quel siècle pour ses rois, des hommes révéré,

      Au siècle de Louis, saint [S. Loüis]Louis IXLOUIS peut être préféré ?

      De Louis, saint [S. Loüis]Louis IXLOUIS qu’environne une gloire immortelle,

      De Louis, saint [S. Loüis]Louis IXLOUIS des grands rois le plus parfait modèle2.

      Ainsi, Perrault, CharlesPerrault célèbre son époque et son roi qui est à la fois la cause et l’incarnation de cette perfection. Ces vers résument non seulement une réflexion personnelle de l’auteur des Histoires, ou contes du temps passé, mais principalement un véritable changement de paradigme dans la propagande royale3. D’après Larry F. Norman, il était évident pour Perrault, CharlesPerrault et les Modernes que la mise en scène du monarque et sa glorification doivent refléter sa suprématie sans limites. Par conséquent, sur l’Arc de Triomphe construit à la Porte Saint-Martin de Paris pour fêter la victoire de Louis XIVLouis XIV en Franche-Comté en 1674, il est écrit « Ludovico Magno » et non pas « Louis-AugusteAuguste », ni « nouvel Alexandre le GrandAlexandre ». Et Gérard Sabatier constate une mise à l’écart similaire de l’Antiquité dans la représentation graphique du pouvoir royal4. La question semble donc close et Marc Fumaroli constate même que l’euphorie des Modernes pour leur monarque se calmerait dans la deuxième moitié de son règne5.

      Pourtant, lorsque la Querelle d’Homère éclate, cette question refait surface : Houdar de La Motte réintroduit clairement cette problématique dans les débats. Il dédie sa traduction-imitation de l’Iliade d’Homère à Louis XIVLouis XIV tout en dénigrant et discréditant le monde ancien :

      Sire, Je n’autoriserai la hardiesse que je prends d’offrir cet Ouvrage à VOTRE MAJESTÉ ; ni du mérite de l’Auteur que j’imite, ni de la grandeur des Personnages qu’il célébre. J’avoüe qu’il a manqué à Homére, pour être digne de Vous, d’avoir vêcu sous le regne d’AugusteAuguste, ou sous le Vôtre. Il est vrai qu’il peint des Héros à qui l’on a souvent comparé VOTRE MAJESTÉ ; mais j’ai trop senti […] qu’on a abusé de leur ancienne réputation dans ce parallele & qu’on n’a jamais dû leur faire honneur de vos vertus6.

      D’uneLouis XIV phase de la Querelle des Anciens et des Modernes à l’autre, l’argument reste le même – du moins d’après Larry F. Norman : face à la France du « Siècle de Louis le Grand », l’Antiquité ne peut pas suivre. Or, La Motte fait preuve de subtilité. À l’instar de Fontenelle, Bernard Le Bovier deFontenelle dans sa Digression des Anciens et des Modernes7, il oppose l’Antiquité grecque au monde romain, mais il serait erroné de croire que La Motte veut y défendre l’époque d’AugusteAuguste. Au contraire, tout en esquissant l’idée d’un progrès historique, il s’en sert pour démontrer que, déjà au temps des Romains, l’Iliade était dépassée.

      Sans entrer davantage dans cette discussion sur les textes des chefs de file des Modernes, on peut constater que la dimension politique reste un enjeu central des débats ; il faut donc revenir au Nouveau Mercure galant, bien que celui-ci n’aborde pas ces questions-là dans des textes de querelle de premier ordre8. Au vu de l’importance du périodique pour la communication royale – démontrée au début de cette partie – et le dédain que les Modernes expriment à l’égard des héros de l’Iliade en général, il nous faut maintenant nous concentrer sur la relation entre le monde ancien et la propagande royale dans la revue d’Hardouin Le Fèvre de Fontenay : l’Antiquité est-elle désormais complètement hors-jeu

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