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du combat et se bat douze heures sans boire ni manger.

      Le sac est complètement dans l'ombre pendant ce temps. On n'y pense pas.

      J'ai aussi remarqué que l'homme se remonte comme une horloge.

      La veille au soir, on annonce, pour le lendemain une étape de quarante kilomètres. Tout de suite, le soldat se stimule pour les quarante kilomètres en question.

      Gare le sac, si, par malheur, le hasard veuille que l'étape soit plus longue que celle annoncée! Pendant les dernier kilomètres non prévus, il règne en maître et éreinte le malheureux soldat, qui se dit, en perdant courage, qu'on l'a indignement trompé.

      La morale de ceci est que l'on doit toujours un peu exagérer la distance à parcourir le lendemain.

      Quelle joie quand le soldat s'aperçoit qu'il est à destination avant le moment fixé dans son imagination, le sac ne s'étant pas fait sentir!

      Tout ceci prouve que le sac n'est pas une petite affaire.

      Actuellement assis en face de lui, dans ma tente, je ne puis lire dans sa physionomie rien qui fasse penser aux drames dont il est souvent la cause.

      Ainsi, je sais beaucoup de suicides dus au sac.

      En campagne, en Afrique surtout, le traînard met son sac par terre, s'assied dessus, regarde les camarades disparaître dans les brumes lointaines de l'horizon, pense à ce qu'il a de plus cher, arme son fusil et se fait sauter la cervelle.

      A l'appel du soir:

      —Un tel?

      —Manque.

      Encore un suicide probablement, et l'on n'y pense plus.

      Voilà des coups du sac.

      Il ne faut pas trop lui en vouloir cependant, car le diable m'emporte si je le crois responsable des ses actes.

      Quoi qu'il en soit, ajoutons à ce qui précède: les désirs de quitter l'armée, les pleurs parfois arrachés au conscrit, les regrets d'avoir quitté le tablier de la maman, les désirs ardents de retourner auprès d'une fiancée, les résolutions d'abandonner les aventures guerrières, les souvenirs cuisants d'un passé heureux, les projets de mieux se conduire en rentrant chez soi, les idées de suicide, etc.: ajoutons tout cela dis-je, et quantités incalculables d'autres choses, et l'on aura une bien faible idée de l'importance du sac.

      Je le vante peut-être un peu trop, car je m'aperçois que ma vieille pipe s'est éteinte, sur ces derniers mots. Est-ce de jalousie? Je ne le crois pas.

      Pour nous en rendre compte, lisons le chapitre suivant.

       Table des matières

      LA PIPE

      La pipe fait intégralement partie de tout troupier qui se vante d'être bien monté en campagne.

      Elle est aussi nécessaire que le biscuit, voire même le biscuit de réserve.

      Elle est de toutes les sauces. Elle prend part aux joies et aux douleurs. Fidèle jusqu'à la témérité, elle se permet de brûler même pendant le combat.

      Elle se place partout et n'encombre jamais.

      La pipe est fort répandue dans les armées de terre et de mer. C'est surtout dans cette dernière qu'elle domine en maîtresse.

      Dans l'armée de terre, elle est actuellement quelque peu en guerre avec la cigarette, qui menace de la détrôner.

      Je ne cite pas le cigare, que les guerriers gommeux seuls utilisent.

      Cependant, toute chose considérée, la pipe occupe encore un très-haut rang, et ceux qui la connaissent en artistes dédaignent complètement les autres articles.

      Enfin la pipe est l'apanage du vrai brave, et, partant, j'en ai une.

      Grande est la variété des pipes patronnées.

      La Gambier est séduisante, de bon goût, mais, fragile, elle demande beaucoup de soin.

      Le Meerschaum est du plus parfait pschutt, et il faut être bien bourré de billets de banque pour arborer un pareil luxe.

      Le bois est solide et plus pratique que les autres substances. Aussi est-il très-répandu comme matériel en usage.

      La corne sert à orner utilement les tuyaux conducteurs, et s'introduit dans la bouche.

      Les pièces d'ambre ne s'adaptent généralement qu'aux tuyaux de luxe, et bien peu figurent parmi les pipes de la menue soldatesque.

      Les bols varient de grandeur. Les plus usités peuvent s'offrir de deux à trois grammes de tabac, à chaque feu.

      On est peu difficile sur la qualité du tabac.

      En France, la fantaisie appelle le tabac d'Algérie, et ici le tabac français fait prime: question de caprice pour le plus grand nombre et de goût pour les fumeurs raffinés.

      Le plus familier des tabacs est celui qui se vend le moins cher, et pour cause. La Régie nous expédie ici le tabac gris qui se conserve mieux au soleil et tient plus ferme que le Maryland, lequel s'émiette en poudre.

      Quant à moi, j'ai un Meerschaum de grande taille, un tuyau de petite taille et une provision de tabac gris.

      Quelques boîtes d'allumettes Azema, d'Alger, complètent mon trousseau de fumeur.

      Ne nous étonnons pas trop du Meerschaum chez un simple troupier. J'ai autrefois connu les grandeurs du fumoir, et ma pipe seule m'est restée des splendeurs passées.

      Vieille dans l'histoire actuelle, elle entr'ouvrait mes lèvres pour la première fois en 1870.

      Qu'elle était belle à cette époque! Et quel tuyau, mes amis, quel tuyau!

       Son merisier odoriférant avait un si délicieux parfum!

      Et l'ambre, comme il était bien fumé et doux au toucher!

      Hélas! fragilité des choses! Un soir, j'agite ma pipe pour en secouer les cendres, et l'ambre, rencontrant un corps dur, au choc, s'égrène en mille pièces.

      Depuis, par mesure d'économie forcée, cet ambre ne fut jamais remplacé.

      Effilant, à l'aide d'un canif, ce qui restait du tuyau, je le taillai en biseau, et avec un peu de bonne volonté, je voulus bien m'en satisfaire.

      Cette pipe est le plus ancien objet de tout mon matériel de guerre.

      Seule du passé, elle est restée stoïque au poste en ma possession.

      Achetée au Texas, d'un marchand mexicain, elle combattit les Indiens du Nord et du Sud, fit campagne aux montagnes Rocheuses, dans le Manitoba, m'accompagna dans un court et brillant pèlerinage à Paris,—où elle fut quelque peu délaissée,—et vint consommer son sacrifice de fidélité dans les déserts d'Afrique.

      Elle passa par toutes les couleurs connues.

      Elle devint rouge, noire et grise, et de nouveau noire, grise et rouge.

      Enfin, elle a un désir bien arrêté de filer encore de longs jours dans son rôle d'abnégation.

      Des brèches, assez sérieuses, l'affaiblirent maintes fois, mais, reprenant courage, elle se maintint toujours dans un bon état de vigueur.

      Cette pipe possède évidemment l'ambition des antiquités. Elle doit se destiner à orner, un jour, quelque musée historique.

      S'il lui était accordé de raconter ce dont elle fut témoin dans sa longue existence, elle aussi ferait un livre.

      Le naufrage seul,

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