Скачать книгу

l'ai un peu négligée dans ce chapitre, mais j'ai des retours touchants, et je saurai bien me faire pardonner cet oubli apparent.

      Je ne sais d'où vient la musette. Dès les temps les plus reculés, la musette existait. On l'appelait besace ou de tout autre nom.

      La musette remplace avantageusement, chez l'humble militaire, l'élégante sacoche de nos officiers.

      Les billets de banque et quelques luxueux articles de toilette encombrent la sacoche. Un morceau de pain, plus souvent un biscuit, accompagné de quelques grains de riz et de café, composent toute la cargaison d'une musette ordinaire.

      On y ajoute cependant, dans certaines circonstances rares, du lard, des oignons, de l'ail; mais c'est du dernier luxe.

      Quelques troupiers, très-belliqueux, arrangent leur musette en un étui long et effilé, dans lequel ils faufilent leurs cartouches.

      La proximité de l'ennemi recommande cette mesure. Cependant, j'en suis encore à m'en demander l'urgence en face de Bou-Amema, qui ne nous a pas gâtés de son voisinage.

      La musette se porte en bandoulière au moyen d'une banderole d'épaule. Trente centimètres de long sur vingt de hauteur sont les calculs de ses dimensions les plus en vogue.

      La partie intérieure dépasse la partie extérieure d'une certaine longueur, qui se rabat et s'attache à deux boutons.

      La toile est l'étoffe de sa confection. Voilà la musette.

      La mienne n'entre pas dans la catégorie des musettes ordinaires, et je cache dans ses replis une longue liste d'objets, que je tâcherai de déchiffrer plus tard.

      Il me faut, pour cela, un peu de recueillement. Là-dessus, croyez-m'en, passons au havre-sac.

       Table des matières

      LE HAVRE-SAC

      Ce meuble occupe le nord de ma tente.

      A propos, je vous demande pardon de parcourir ainsi la rosette des vents. Cela entre dans la clarté du récit.

      Ma tente est presque circulaire dans sa base, et, pour l'intelligence des événements, il me faut la boussole.

      Sans elle, aucune donnée ne pourrait réussir dans ce travail.

      Aussi, c'est entendu, on ne me reprochera ni les points cardinaux, ni les points intermédiaires, et cette concession accordée aux grincheux m'autorise à revenir à mon sac.

      Il est au nord, c'est-à-dire vis-à-vis de la porte de ma tente.

      Son utilité, en station, réside dans les services qu'il me rend pendant mon repos: il me sert d'oreiller.

      J'avouerai, pour être véridique en tout, qu'il est un peu dur, mais l'habitude émousse les sensations, et ma tête se porte un peu moins bien pour cela.

      En route, il prend sa revanche et se fait sentir par un attachement variant de vingt-cinq à trente kilogrammes de poids.

      Une étape, d'une vingtaine de kilomètres, permet encore de dédaigner le sac, mais trente-cinq l'alourdissent, et en approchant de la cinquantaine, il devient tout à fait exigeant.

      J'écris un peu d'après mon expérience personnelle. Cependant, toute abstraction faite du sentiment égoïste, je ne crois pas mentir en affirmant que j'exprime, à peu de chose près, l'opinion générale.

      Le soldat s'est moqué, se moque encore et se moquera toujours du sac, à qui il applique toutes sortes de noms dérisoires: emplâtre, as de carreau, Azor, etc.

      Quelquefois, un troupier bien fatigué l'interpelle pendant une halte.

       Mettant le pied dessus, il lui demande, d'un petit air engageant:

       «Veux-tu me porter maintenant? Il y a bien assez longtemps que je le

       fais. A ton tour.»

      Le sac, restant calme et digne, ne répond pas, comme vous le pensez bien, du reste.

      A la halte suivante, un autre soldat facétieux dit aux camarades qui l'entourent: «Ce n'est pas le sac qui me fait mal, ce sont les bretelles.»

      Cette farce, lancée je ne sais combien de fois, trouve toujours écho chez les auditeurs, qui rient jaune. Bien entendu, le sac reste digne et ne répond toujours pas.

      L'épithète pharmaceutique s'applique quand on veut réunir le camarade et son sac dans une même insulte:

      «Regardez-moi donc ce type, il doit être rudement malade, quel emplâtre dans le dos!»

      Le soldat interpellé se charge de répondre pour lui et pour son sac. Je vous fais grâce de ses répliques.

      L'as de carreau nous vient des Joyeux, d'après la légende.

      Ils firent une chanson là-dessus, et le refrain se termine par ceci:

      Portons gaiement (bis) l'as de carreau (bis), Portons gaiement l'as de carreau.

      Je l'ai dit plus haut, le sac se venge au centuple des quolibets et surnoms dont on le gratifie.

      Le havre-sac est ancien, et je ne me rappelle pas quand il fut introduit dans l'armée.

      Il se divise ne plusieurs modèles, et les habiles directeurs de l'équipement militaire ne cessent de l'améliorer.

      Le dernier paru est fait de toile noire. Il porte d'inextricables courroies, ornementées de boucles nombreuses et d'anneaux de toutes espèces.

      Ce sac peut avoir du bon, mais ce qui me chatouille agréablement, c'est que tout le monde le trouve commode, excepté ceux qui le portent.

      Cela entrait peut-être dans l'idée de l'inventeur.

      Bien d'autres sacs sont en usage. Le meilleur est celui en peau de veau, avec deux simples bretelles.

      Celles-ci, attachées au haut du sac, enlacent les épaules du soldat, et, passant sous les bras, viennent se boucler au bas. Il est simple, ce sac-là, et peut être chargé sans l'aide du camarade.

      Si un écrivain intelligent pouvait saisir et traduire les émotions et sensations que le sac causa, depuis qu'il existe, il n'y aurait pas assez de papier, dans l'univers connu pour les imprimer.

      Chaque individu a ses idées là-dessus, et, comme tel, je vais essayer de faire connaître ce que mon vieux sac, en peau de veau, m'a appris pendant notre accointance.

      La première chose par laquelle il se fit connaître fut la fatigue, et celle-ci, il me la prodigua ferme.

      Dans le commencement de mon apprentissage militaire, un engourdissement grave me saisissait aux épaules. Puis venait le manque de circulation du sang, que me faisait enfler les mains et leur donnait des dimensions à faire rougir n'importe quel géant.

      A cela s'ajoutaient de sérieuses crampes dans les reins, accompagnées de désordres dans la respiration.

      Peu à peu, l'habitude finit par faire disparaître ces légers désagréments, et bientôt, à l'arrivée à l'étape, il ne restait plus qu'une vague fatigue, facilement secouée.

      Ces ennuis physiques écartés, mon sac me laissa les loisirs de faire quelques remarques philosophiques sur ses agissements.

      C'est alors que j'appris jusqu'à quel point la fatigue est capricieuse et facile à oublier.

      Ainsi, en marche, si la pluie arrose une colonne, l'homme dédaigne tout de suite le sac pour ne jurer que contre l'eau et la boue qui l'ennuient.

      Ou bien, après une longue journée de route, quand les jambes ont à peine la force de traîner le corps, tout est oublié, soif, maladie, fatigues,

Скачать книгу