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à plaindre. Tout est dans le bidon, et le mien est fameux.

      Son gouffre de deux litres servit à bien des hôtes. A l'eau boueuses des Rédirs succéda l'eau salée des schotts. Celle-ci se laissa facilement remplacer par une boisson claire et limpide, mais pas souvent.

      L'absinthe, le vin, le marc de café, la cerisette y jouèrent aussi un certain rôle dans les bons moments; mais, grand Dieu! que ces bons moments furent clairsemés!

      A l'instant où j'écris, mon bidon n'a pas du tout l'air intéressant, et, avant de vous dire en quoi il pêche, je vous narre les détails de son physique.

      Ovale d'aspect et arrondi de flancs, mon bidon a deux entrées: une petite et une grande. Ces entrées font saillie en forme de goulots. Deux bouchons de liège empêchent le contenu de sortir du contenant.

      Le fer-blanc est le métal de sa confection. Deux oreillettes, scellées de chaque côté, reçoivent une banderole qui permet de le suspendre aux épaules.

      Le bien-être et les ordres exigent que le bidon soit recouvert de l'étoffe de vareuse hors de service. Le mien a double couvert, et, pour ce, je veux que son contenu ait une double fraîcheur.

      Son physique examiné, je vous dis pourquoi il est actuellement dénué d'intérêt palpitant.

      Placé dans la partie sud-est de ma tente—chose que j'ai eu l'honneur de dire plus haut,—mon bidon penche du côté de la riante et boueuse rivière, et apparaît au voyageur avec une oreillette en moins et le bouchon du grand goulot perdu.

      L'oreillette disparut au fond d'un puits salé, et j'ignore les détails de la perte du bouchon.

      Un arrangement spécial de courroies compliquées remplaça l'oreillette, et au bouchon de liège succéda un chiffon roulé.

      Ces détails sont navrants pour l'honneur de mon bidon; mais je ne puis les omettre sans manquer à la vérité, apanage de tout voyageur honnête.

      Il n'est pas impossible de comprendre que le pauvre diable, affublé d'appareils aussi étranges, n'ait pas du tout le petit air fin de circonstance.

      Certainement qu'il serait impardonnable, s'il ne contenait pas, en ce moment, un bon litre de vin que le Juif de là-bas vient d'y verser.

      Aussi, je prie ceux qui s'intéressent à mon bidon de glisser légèrement sur ses peccadilles. Faisons ensuite un petit mouvement vers le sud-est, et lançons nos regards sur mes godillots. Je ne les lâcherai pas avant la fin du chapitre suivant.

       Table des matières

      LES GODILLOTS

      Alexis! ô Alexis! as-tu pu fabriquer mes 28, et vivre encore!

      Bien des travaux fameux furent abattus dans les temps homériques!

       Hercule nettoya les classiques écuries d'Augias et vainquit l'hydre de

       Lerne; Achille fit des prodiges devant Troie, Alexandre conquit l'Asie;

       César, les Gaules, et Annibald se maintint quatorze ans en Italie.

      Mais toi, seul d'entre tous les Alexis, tu fis mes godillots, ce qui est bigrement fort, je te le jure!

      Ils débutèrent à mon service le 11 juin 1879, à dix heures du matin, et deux fois depuis le cordonnier eut à leur donner du coeur au ventre, à raison de trois francs chaque fois.

      Ces détails écartés, je me plais à constater qu'ils se conduisirent consciencieusement.

      En tout temps ils restèrent attachés à mes pas, et ce septième jour, déjà dit, les trouve aussi fermes que jamais, si ce n'est un peu fatigués.

      Quelle épopée que leur existence! Un exemple seul démontrera l'importance de leurs fonctions: pendant onze mois ils firent cent soixante-quatorze étapes, ce qui, avec une moyenne de trente kilomètres par étapes, leur donne un actif de cinq mille deux cent vingt kilomètres, soit près de quinze cents lieues.

      Aussi, je serais embarrassé s'il me fallait écrire leur histoire en un seul volume. Je préfère leur accorder un chapitre unique, dont le laconisme donnera plus de poids aux quelques lignes que je leur consacrerai.

      On a osé attaquer la valeur du godillot. On a été jusqu'à lui opposer le brodequin napolitain, que les décisions ministérielles appellent à lui succéder.

      O ingratitude militaire, où descends-tu te loger! quel est le vieux troupier qui aura le courage de conspirer contre toi, légendaire soulier de France! Il faut avoir l'âme bien mal équilibrée pour oublier le bonheur que tout soldat éprouve à la vue d'un godillot, paré d'une guêtre, à laquelle il ne manque pas même un bouton.

      Je sens une profonde émotion s'emparer de mon âme. Et je jure ici, par les milliers de kilomètres foulés par eux, par les innombrables écorchures qu'ils engendrèrent, par leur air bête, enfin par tout ce qu'il y a de plus sacré chez une naïve chaussure, je jure donc que, tant qu'une goutte d'un sang pur et clair colorera mes veines, je défendrai les godillots.

      Après cette exclamation passionnée, je redeviens calme, et je continue.

      Dans un moment d'humeur noire, je pourrais leur reprocher d'avoir trop facilement offert l'hospitalité aux sables du désert et aux boues des marais.

      Mais, revenant à de plus tendres sentiments, je leur pardonne pour ne me rappeler que les brillants jours de revue.

      Alors, comme mes souliers se paraient d'une auréole pure et sans tache!

      Reluisant d'un cirage glacé, entourés de guêtres bien blanches, il me semble encore entendre la musique de leurs clous, battant allègrement le pavé.

      Hélas! ces agréables visions sont déjà loin dans l'oubli des siècles, car les dernières phases de notre liaison viennent de se dérouler dans l'alfa des hauts plateaux.

      Depuis mon installation de trois mois, ils prennent un repos bien acquis, mais certains signes caractéristiques annoncent chez eux un ennui remarquable.

      Devenus durs et tordus par suite d'une non-activité aidée du soleil, ils rechignent à couvrir mes pieds pour de simples promenades.

      Un peu de suif de chandelle les ramène vite au sentiment du devoir, mais ils retombent bientôt dans une apathie malséante.

      Ce qui prouve que les godillots sont dignes de chausser nos braves militaires, et que les longues routes peuvent seules les satisfaire.

      Je répète encore: En moi, ô inséparables compagnons de mes courses, vous trouverez toujours un admirateur, outré de voir le brodequin désigné pour vous remplacer!

      Il me répugne beaucoup de faire ces tristes pronostics. Que voulez-vous cependant, ces braves chaussures vont disparaître des traditions, et, fidèle aux principes de la chevalerie française, je salue ceux qui tombent.

      Répondront-ils: Morituri te salutant? Hélas! je ne sais!

       Table des matières

      LE KÉPI

      Du soulier passer au képi, sans transition aucune, est quelque peu illogique, et je laisse la responsabilité de ce fait aux événements qui permirent à mon képi de s'accoler à mes godillots.

      En voyageant autour de ma tente, le sort a voulu qu'un rapprochement aussi baroque qu'un soulier fraternisant avec un képi se produisit.

      En effet, presque à l'est de l'auteur, repose son képi, recouvert du couvre-nuque

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