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ouvrier, à qui je persiste à refuser toute notice biographique. Quoique confondu de son savoir-faire, je ne l'en remerciai pas moins, avec cent sous de pourboire, de m'avoir construit un abri, appelé plus tard à m'accompagner dans ma poursuite de cet insaisissable Bou-Amema.

      L'existence est parsemée de faits aussi étonnants, et il faut que l'âme humaine soit bien ferrée pour résister aux chocs que la brutalité des choses lui fait si souvent éprouver.

      Trêve de réflexions philosophiques. C'en était donc fait. Là, sur le plancher de la chambre Q pour huit hommes, gisait l'amas de toile qui devait me dérober aux tempêtes. Je me livrais entièrement à la joie.

      Mais, ô déception! comment faire tenir cette tente debout?… Quels piliers pourraient être dignes de soutenir dans les airs le fruit de tant de travail?…

      Les supports ordinaires ne suffiraient jamais,—leurs minces contours leur ôtant la force d'accomplir une telle besogne.—Il faut donc trouver autre chose…

      Penché à la croisée, ayant à l'oeil cette ténacité rêveuse qui s'accroche à un objet sans le voir, je me plonge dans de lugubres rêveries…

      Mon esprit se perd de plus en plus dans les difficultés du dilemme que j'avais juré de résoudre… Tout à coup retentit un cri sourd, inhumain, féroce.

      Je tourne la tête et vois mon ordonnance. Il y a quelque chose de fatal dans son regard avide, obstinément fixé sur un objet appuyé contre les baraques du génie.

      Sauvé! m'écriai-je… mais comment m'en emparer?… Le génie ne rend jamais son bien… Ce morceau de bois sera à moi, affirmai-je en rugissant. Et dès cet instant, le génie dut trembler.

      Il fait nuit. L'orage, secondé par de noirs nuages, fait entendre, dans l'immensité du lointain, le glas funèbre de son approche. Le vide noir enveloppe la terre et l'espace de son linceul de nuit.

      Quelques grosses gouttes de pluie, tombant méthodiquement, font gémir les feuilles affolées. La ville est déserte, ses habitants renfermés.

      Seul, un homme aux allures mystérieuses et portant à la bouche le sinistre rictus des criminels, marche à pas lents, dans le sentier du mal.

      Arrivé près du mur où doit se commettre le crime, un sourire sardonique illumine son visage, à la vue de l'isolement que l'entoure, et… cinq minutes après, il rentrait dans la chambre Q pour huit hommes: la pièce de bois était conquise.

      Le lendemain, le menuisier la coupe en trois longueurs.

      Deux, mesurant un mètre, servent de piliers et portent des tenons à leurs extrémités supérieures. La traverse, mortaisée aux deux bouts, relie les montants, et ma tente avait des supports.

      Il me semble superflu de suivre ma tente dans ses nombreuses pérégrinations.

      Lancée dans une campagne aventureuse, elle visita maints endroits et dut se déplacer souvent.

      Les paysages qui lui donnèrent l'hospitalité présentent peu de variétés. Tantôt, fichée au sol, dans quelque endroit sablonneux, elle devait faire d'héroïques efforts pour résister aux vents en furie; tantôt, accrochée aux flancs d'une montagne à pic, elle prenait les airs penchés très-intéressants à analyser.

      L'alfa et le thym lui firent souvent un entourage épais et odoriférant; par contre, le salpêtre des schotts lui témoignait bien peu de sympathie.

      Elle eut maintes fois à maugréer contre les rochers qui se refusaient obstinément à lui accorder droit de demeure, et elle ne se trouva réellement solide au poste qu'au lieu où elle vient d'élire domicile pour trois mois.

      En cela, elle rivalise de satisfaction avec son propriétaire, qui souvent fut très-ennuyé d'avoir à l'arracher au gîte à des heures indues.

      Ma tente se présente donc au lecteur avec une installation de trois mois.

      J'en profite pour livrer à la postérité un voyage d'exploration descriptive dans ses parages extérieurs et intérieurs.

      Une installation de trois mois nécessite quelques difficultés dans le choix du terrain. Aussi n'est-ce qu'à la suite de profondes études qu'un résultat satisfaisant put être obtenu.

      La porte est au sud, ce qui est assez dire que la face opposé est au nord. Croyant alors qu'il est inutile d'orienter les autres côtés, j'ajouterai que le terrain, au sud, s'affaisse lentement vers une riante et boueuse rivière qui coule à cent pas d'ici.

       Table des matières

      L'AUTEUR

      Le moi est haïssable, dit Balzac, et il a dit vrai. J'ignore s'il existe quelque chose de plus lourdement bête que le moi, et j'ajoute, avec énergie, que la fatuité et l'égoïsme sont deux malins compères, qui conspirent contre la tranquillité des humains.

      Pas n'est besoin, comme vous le voyez, d'avoir recours à M. de la Palisse pour trouver ces graves vérités. Mais, grand Dieu! ce tribut payé à d'honnêtes maximes ne me permet pourtant pas de faire ici le portrait de mon voisin.

      Il faut bien, pour la clarté des événements de ce voyage, que je me présente au public, et, au risque d'ennuyer Balzac, je parlerai un peu de moi dans ce chapitre. Aussi, m'y voilà.

      Je suis né comme tout le monde d'un père et d'une mère. Ils n'étaient ni riches ni pauvres, et de plus résidaient à Saint-Vincent de Paul.

      Aucun événement remarquable ne signala mon entrée en cette vie, si ce n'est le grand choléra de 1852. Je n'en fus probablement pas cause.

      Mon enfance ne se distingua par aucune qualité caractéristique, sauf un goût prononcé pour la pêche à la ligne, et une passion pour le latin. Des nuits entières je fus la terreur des barbues et anguilles de l'anse à Bleury, et à quinze ans j'étais en rhétorique.

      Là s'arrêtèrent mes succès de collège, et après quelques autres triomphes à la ligne, je songeai à me créer une position. J'y ai bien réussi: je suis soldat.

      Quant à mon physique, sachez donc tous que j'ai vingt-huit ans et cinq pieds dix pouces. Je porte moustache et barbe au menton. J'ai l'oeil brun le soir et gris le jour. Je n'ai ni taches de rousseur, ni grains de beauté nulle part. Je monte médiocrement à cheval, je tire mal de l'épée et très bien au pistolet. Je suis robuste et je ne sais pas danser. J'ai les cheveux très-noirs, un nez drôle et beaucoup de dettes.

      J'étudie l'allemand et l'arabe. Je connais bien l'anglais, et j'habite l'Algérie. J'aime beaucoup le Canada, et je loge au troisième étage. Je raffole de la chaleur, et je sais un peu parler français.

      Étant en outre affligé d'un petit talent de joueur de flûte, je file des sons si doux, si doux,—et je ne me gonfle certainement pas les joues.

      Dernier détail, non le moins important, je me nomme Joseph, et je ne m'en réjouis pas. Ce nom m'a suivi jusqu'à ce jour, et je me suis toujours efforcé de ne pas en avoir l'air.

      Là-dessus je me lâche, et vous emmène à ma suite sur les hauts plateaux algériens.

      Assis au milieu de ma tente, je fais face au sud-est, et, suivant cette direction du regard, on y voit mon bidon. Je l'empoigne.

       Table des matières

      LE BIDON

      Je voudrais connaître le gaillard qui a fait mon bidon. Je lui donnerais une partie de ma pension de retraite, pour le récompenser des services

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