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de la Société des Amis de la Constitution, dénonçait l'une d'elles au procureur-général-syndic du département comme absolument inconstitutionnelle. Le lendemain, M. de Schauenbourg lui faisait parvenir une réponse très courtoise, pour remercier la Société de son zèle pour le bien public, et annonçait que le Directoire du département allait lancer une proclamation „afin de montrer au public combien nous détestons les efforts de ceux qui veulent contrecarrer l'Assemblée Nationale.” Mais c'était eau bénite de cour et l'affaire en restait là, les sympathies de l'autorité départementale étant notoirement du côté de l'ancien ordre de choses. Si la situation finit par changer, c'est que le cardinal de Rohan lui-même, las sans doute de temporiser, adressa le 23 août, depuis Ettenheimmünster, une lettre au président de l'Assemblée Nationale, lettre qui fut lue dans la séance du 1er septembre, et dont les formes polies voilaient à peine les intentions ironiques et l'absolue fin de non-recevoir. En voici les principaux passages:

      „Monsieur le président,

      „Les affaires les plus graves, les intérêts les plus précieux m'ont forcé à me rendre dans mon diocèse. Il s'agissait de calmer des troubles nés dans la partie située de l'autre côté du Rhin. Ma santé affaiblie depuis longtemps m'a forcé d'avertir le clergé de mon diocèse que je ne pourrais plus le représenter… J'ai appris avec douleur que ma conduite a été travestie aux yeux de l'Assemblée Nationale et qu'elle a désiré ma présence pour me justifier. Je voudrais que ma santé me permît de partir sur-le-champ, mais il m'est impossible de supporter la voiture. J'envoie en attendant un précis justificatif… Je n'ai pu me refuser, même pendant mon séjour à Versailles et à Paris, à former les mêmes demandes que la noblesse et le clergé d'Alsace. Ma qualité de prince de l'Empire m'a obligé de joindre mes réclamations à celles des autres princes de l'Allemagne… Il n'y a rien que de légal dans ma conduite.” Le cardinal ajoutait qu'un autre motif pour lequel il ne se rendrait point à Paris, c'était la crainte de compromettre sa dignité de député en s'exposant aux plaintes et à la mauvaise humeur de ses nombreux créanciers, n'étant pas en état de les satisfaire depuis la perte des revenus qu'il leur avait abandonnés. Il exprimait, en terminant, l'espoir que l'Assemblée „trouverait dans sa sagesse les moyens d'acquitter des dettes aussi légitimes.”

      L'effet ne fut pas absolument celui qu'avait espéré peut-être le cardinal en appelant les bénédictions divines sur les travaux de ses collègues. L'Assemblée Nationale refusa en effet la démission qu'offrait Rohan, et renvoya finalement sa lettre au Comité des rapports, „après que différents autres comités, même celui de mendicité, eurent été proposés.”

       Table des matières

      Pendant que le cardinal de Rohan refusait ainsi de revenir de l'étranger, les membres du Grand-Chœur de la Cathédrale de Strasbourg, enhardis sans doute par la longanimité du gouvernement et de l'administration départementale, poussaient l'audace jusqu'à faire tenir à leurs fermiers une circulaire, datée du 18 septembre, qui portait „que le décret du 2 novembre et tous ceux qui en sont la suite, ne peuvent concerner les biens ecclésiastiques des églises catholiques et luthériennes d'Alsace.” Aussi l'on „conseillait sérieusement” aux paysans, non seulement de ne pas acheter des biens appartenant au Grand-Chœur, mais ”de continuer à livrer aux vrais propriétaires desdits biens… les canons et redevances ordinaires… Ce ne sera que par ruse et finesse, par force et par violence, y disait-on, que les biens que vous tenez à ferme vous seront ôtés.”

      Une pièce plus explicite encore, imprimée sans lieu ni date, mais appartenant évidemment à ces mêmes semaines d'automne 1790, était intitulée: „A tous les habitans des Villes, Bourgs et Villages des seigneuries du Prince-Evêque et du Grand-Chapitre de la Cathédrale et principalement aux fermiers des terres de l'Eglise de Strasbourg.” Elle était signée du Grand-Ecolâtre de la Cathédrale, prince Joseph de Hohenlohe, évêque de Léros i. p., coadjuteur de l'Evêché et principauté de Breslau. „Elevé en Alsace, disait le rédacteur de ce document curieux, cette province depuis quarante ans est devenue ma patrie. Je l'ai toujours aimée; les Alsaciens sont mes compatriotes. L'avis que j'adresse dans ces circonstances aux habitants des lieux qui appartiennent au Prince-Evêque ou au Grand-Chapitre, peut être utile à tous les Alsaciens. C'est cet espoir qui me détermine à donner à cet avis la plus grande publicité.

      Le moment où vous reconnaîtrez son importance, où vous vous féliciterez d'y avoir déféré, n'est pas éloigné. Ceux que cet avertissement aura garanti du piège, raconteront à leurs enfants quelles séductions, quels mensonges on avait mis en usage pour compromettre leur fortune; le spectacle de leur bonheur sera le prix des soins que je me serai donné pour les sauver……”

      Suit un tableau des plus idylliques, dépeignant le bonheur, vrai ou supposé, des paysans qui, depuis des siècles, ont cultivé les terres de l'Evêché, sans voir augmenter la modique redevance qu'ils payaient à l'Eglise. „Ce qui mettait le comble au bonheur de vos pères, c'était l'assurance que rien ne pourrait l'interrompre. Votre sort semble attaché à celui de la Cathédrale… Les traités solennels qui garantissent les droits, les privilèges du Prince-Evêque et du Grand-Chapitre, ceux du Clergé…, ces traités, mes chers compatriotes, subsistent dans toute leur force; ils sont la base sur laquelle repose votre bonheur: rien ne peut l'ébranler. L'Empire et son auguste Chef, ainsi que toutes les Couronnes garantes ne le permettront pas. On se garde bien de vous le dire. On ne vous dit pas non plus, qu'en dehors de cette redoutable sauvegarde, les biens de l'Eglise sont inaliénables, que personne au monde n'a le droit de les envahir ou d'en disposer…. De là cet anathème du Concile de Trente prononcé contre tous ceux qui oseraient vendre ou acheter ces biens, ou même seulement prêter leur ministère à ce commerce sacrilège.

      „D'après ces vérités, jugez, mes chers compatriotes, ce que vous devez penser des gens qui font tant d'efforts pour vous engager à acquérir des biens ecclésiastiques. J'apprends avec joie que tous les bons laboureurs, écoutant la voix de leur conscience, de l'honneur, de leur véritable intérêt, se sont refusés à ces perfides sollicitations. C'est donc à ceux qui pourraient se laisser tromper que j'adresse cet écrit. Je les avertis solennellement que ces biens, pour lesquels on excite leur cupidité, ne peuvent être vendus, que l'Assemblée, qui se dit Nationale, n'a pas le droit d'en disposer; que ceux qui auront l'imprudence d'en acquérir quelques parties, perdront le prix qu'ils en auront donné; qu'ils le perdront sans ressource, sans recours. La grande publicité de cet avertissement ne leur laissera même pas le faible prétexte de dire: Je l'ignorais.”

      Quelle que puisse être l'opinion du lecteur sur le fond même de la question, il avouera qu'il est difficile d'imaginer une attaque plus directe contre une loi votée par la représentation nationale et sanctionnée par le roi. L'immense publicité donnée aux deux pièces que nous venons d'analyser, ne pouvait donc manquer d'exciter une fermentation générale dans les départements du Rhin. M. de Dietrich, dès qu'il eut connaissance de la notification du Grand-Chapitre, colportée à travers la ville par le bedeau de Saint-Pierre-le-Jeune, se hâta de l'expédier à Paris, où l'on en donna lecture dans la séance du 15 octobre suivant. Elle provoqua, comme on le pense bien, un vif mouvement d'indignation dans la majorité, qui la renvoya d'urgence au Comité des biens nationaux. Celui-ci présenta son rapport dans la séance de l'Assemblée Nationale du 17 octobre; on vota des remercîments à la municipalité de Strasbourg, et le président en fonctions fut chargé de se retirer auprès du roi, pour le prier d'envoyer sur-le-champ les ordres nécessaires en Alsace, afin d'en faire exécuter enfin les décrets du 2 novembre. En vain l'abbé d'Eymar, le défenseur habituel des privilégiés d'Alsace à la Constituante, qui n'avait point assisté à la séance, adressait-il de Strasbourg un mémoire justificatif, fort habilement rédigé, au président de l'Assemblée Nationale. S'il réussissait à se disculper (et ce nous semble avec bonheur) de l'accusation de faux lancée contre lui par quelques-uns des orateurs de la gauche, il devait échouer forcément dans sa tentative de représenter les dispositions de ses collègues du clergé comme éminemment pacifiques et conciliantes. „Je supplie,

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