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la discussion sur les moyens de combler le déficit, il profita de la mort de l'abbé Louis, l'un des députés du clergé alsacien, pour se faire envoyer à sa place à Versailles. Il y parut dans la séance du 12 septembre, s'excusant sur sa mauvaise santé d'avoir tant tardé à paraître à son poste et faisant l'éloge du patriotisme de ses collègues; il prêta même avec une bonne grâce parfaite le serment civique, exigé des députés. Mais il ne lui servit à rien d'avoir „énoncé son hommage et son respect”, comme Schwendt l'écrivait le lendemain au Magistrat de Strasbourg, et ce n'est pas de pareilles démonstrations qui pouvaient détourner la majorité de l'Assemblée du vote final du 2 novembre, qui mettait les biens du clergé à la disposition de la Nation. A partir de ce moment le cardinal se retourne franchement vers la droite et devient bientôt l'un des plus fougueux, comme l'un des plus directement intéressés parmi les protestataires, qui font entendre à Versailles leurs doléances contre cette mesure radicale. Pour un temps les récriminations bruyantes du prince-évêque s'y mêlèrent aux plaintes plus discrètes de la ville de Strasbourg. Car, en novembre encore, nous voyons M. Schwendt, l'un de nos députés, se débattre contre les décisions du Comité féodal de l'Assemblée et tâcher de persuader à ses collègues qu'il fallait laisser au moins certains de leurs droits exceptionnels à ses commettants. Il s'appuyait, nous dit-il, dans cette discussion, bientôt oiseuse, „sur les motifs énoncés également par M. le cardinal de Rohan, fortifiés encore par notre capitulation particulière.”

      Mais il était trop tard pour qu'on pût s'arrêter à des considérations de ce genre. Surtout après les tristes journées du 5 et 6 octobre, après la translation forcée de la famille royale dans la capitale, où les députés de la nation s'installèrent à sa suite, il n'y avait rien à espérer désormais pour le maintien des droits historiques qui choquaient l'esprit géométrique de la Constituante. On y était résolu à „ne pas se relâcher sur la rigueur des principes”, comme l'écrivait M. Schwendt, et son collègue, M. de Türckheim, l'avait si bien compris, qu'il donna sa démission, sous prétexte de maladie, mais en réalité pour ne pas assister, le cœur brisé, à la chute définitive du vieux régime strasbourgeois qui l'avait vu naître et dont il fut l'un des derniers et plus honorables représentants. Il avait raison; au point où en était la Révolution française, c'était une illusion de croire que quelques articles du traité de Munster ou de la capitulation de 1681 empêcheraient les conséquences logiques des postulats de la raison pure, auxquels l'Assemblée constituante dut ses plus beaux élans civiques, mais aussi ses fautes politiques les plus déplorables.

      Bientôt cependant la différence d'attitude s'accentua; les autorités municipales, contenues, dirigées, calmées par l'habile commissaire du roi, Frédéric de Dietrich, que ses goûts, son ambition légitime, ses talents naturels poussaient du côté des novateurs, se résignèrent peu à peu au cataclysme inévitable. Le clergé, au contraire, auquel manquait une influence modératrice pareille, éleva de plus en plus la voix, ce qui n'était pas le moyen de se faire écouter de bonne grâce. Qu'on lise plutôt ce que disait le Grand-Chapitre de la Cathédrale dans un mémoire, imprimé chez Levrault, avant la translation même de la Constituante à Paris. Après avoir rappelé aux législateurs de Versailles que „le respect des propriétés était une des premières lois que l'auguste assemblée a prononcé”, et que „privé de ses dîmes, de ses droits seigneuriaux, le Grand-Chapitre serait anéanti”, le document déclarait que cette ruine „se ferait amèrement sentir au grand nombre de familles qui doivent leur existence ou leur bien-être à la magnificence des seigneurs qui le composent.” Il ajoutait encore qu'il „serait impossible que le culte divin se fît dorénavant avec la magnificence imposante que les étrangers ont toujours admirée.” Si de pareils arguments n'étaient pas de nature à faire grande impression sur les jansénistes et les voltairiens de la majorité de l'Assemblée nationale, elle devait ressentir d'autant plus vivement la menace qui se cachait sous les formes polies du mémoire. „Le Prince-Evêque, y lisait-on, et le Grand-Chapitre de la ville de Strasbourg se sont soumis volontairement au roi; ils l'ont reconnu pour souverain seigneur et protecteur, à condition que la France les maintiendra dans leurs droits, leurs privilèges, leurs propriétés. Sa Majesté le leur a promis. Les puissances étrangères ont garanti l'inviolabilité de ce pacte…” Ce n'était qu'une figure de rhétorique sans conséquence, que l'affirmation dans une phrase finale, de la confiance du Grand-Chapitre en la „sagesse et la sainte équité” de l'Assemblée, qu'elle se hâterait de prouver par ses actes „aux puissances garantes” et à la France elle-même”[1].

      [Note 1: Pour le Grand-Chapitre de la Cathédrale de Strasbourg. Strasb., Levrault, 1789, 4 pages in-4°.]

      Plus tard, alors qu'on eut quelque peu perdu l'espoir d'intimider l'Assemblée Nationale, on essaya de la gagner. Le 30 novembre, un grand nombre de dignitaires du clergé diocésain se réunissaient à Strasbourg pour signer, d'accord avec son chef, une déclaration portant abandon au trésor royal de la moitié des revenus d'une année entière au nom de l'Eglise d'Alsace, à condition que la Constituante confirmerait ses droits et privilèges. Cette démarche, appuyée par des centaines de signatures, eut naturellement aussi peu de succès que la première [2].

      [Note 2: Réclamations et protestations du Clergé du diocèse de

       Strasbourg et de celui de toute la Basse-Alsace. S. 1. 1790, in-18.]

      On pense bien que des délibérations de ce genre et des documents pareils provoquaient une émotion passablement vive dans la population strasbourgeoise. Si c'était là le langage des pièces officielles, sur quel ton ne devait-on pas parler dans les poêles des tribus, dans les cafés et les tavernes? A coup sûr, l'attitude du clergé, comme celle plus calme du Magistrat, y suscitaient des attaques fort vives et des applaudissements non moins énergiques. La liberté de presse, quoique existant de fait, était alors encore une conquête trop récente pour que nous puissions suivre, à ce moment déjà, par les journaux locaux et les feuilles volantes, les fluctuations de l'opinion publique. Ce n'est que quelques mois plus tard que commence la véritable bataille et l'éclosion de ces innombrables pièces de tout genre qui font le bonheur et plus souvent encore le désespoir du collectionneur et de l'historien. Nous pouvons deviner cependant que le clergé strasbourgeois ne négligea rien pour se concilier l'opinion publique. C'est ainsi qu'au moment où s'accentuait le débat sur les biens ecclésiastiques, nous voyons paraître dans les journaux un Avis aux pères de famille, émanant de la maîtrise des enfants de chœur de la Cathédrale. Il annonçait l'ouverture prochaine, rue Brûlée, d'une „Académie en faveur des enfants de la ville, où l'on enseignera les langues allemande, française et latine, la géographie, l'histoire, la musique, le dessin et la danse”, et où l'on „attachera tout particulièrement à la formation du caractère, des mœurs et de la religion des enfants”[3]. L'ouverture d'un établissement de ce genre, à cet instant précis, ne devait-elle pas réfuter l'accusation courante que les richesses de la Cathédrale ne concouraient à aucune œuvre méritoire, et bien constater devant tous „le désir de se rendre utile aux citoyens de Strasbourg”?

      [Note 3: Affiches de Strasbourg, 5 septembre 1789.]

      De pareilles démarches ne pouvaient manquer d'atteindre, au moins partiellement, le but proposé, c'est-à-dire de provoquer un courant sympathique aux intérêts de l'Eglise dans la population de la ville. Ce qui devait également faciliter la tâche des chefs du parti, c'était le mécontentement, fort explicable, de la population catholique, en présence des décrets, annoncés déjà, de l'Assemblée Nationale (et qui devaient en effet intervenir plus tard), qui exceptaient les biens ecclésiastiques protestants d'Alsace de la vente des biens nationaux, comme ayant été sécularisés dès le temps de la Réforme. Aussi, quand on dut procéder, en février 1790, aux premières élections municipales, d'après les lois édictées par l'Assemblée Nationale, on put constater déjà les fruits de cet antagonisme à la fois politique et religieux. Le parti libéral modéré présentait comme maire au suffrage des électeurs le commissaire du roi, Frédéric de Dietrich, qui, depuis le mois de juillet 1789, se montrait infatigable à maintenir l'ordre public, habile à ménager les transitions nécessaires et se prononçait pour la fusion complète des dissidences locales dans un même sentiment de dévouement à la grande

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