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des Amis de la Révolution, que la Bibliothèque municipale possède en partie, les milliers de brochures et de feuilles volantes, qui inondèrent notre ville de 1789 à 1795, et parlèrent à notre population, si paisible en général, le langage de toutes les passions, au nom de tous les partis. Nous tenons à signaler en particulier les renseignements puisés dans les papiers de feu M. Louis Schnéegans, le savant conservateur des archives municipales, mort il y a bientôt trente ans. M. L. Schnéegans avait voué un vrai culte à notre cathédrale, et son ambition suprême était de lui consacrer une œuvre définitive, basée sur tous les documents originaux encore accessibles et qui nous aurait fait assister au développement graduel de cette création magistrale à travers les âges. Pendant vingt ans il fouilla sans relâche les dépôts publics et les collections particulières, entassant avec une activité fièvreuse des matériaux toujours plus nombreux. Puis la mort vint et l'enleva avant même qu'il eût pu commencer l'ouvrage qui lui tenait à cœur. Ses papiers, légués à la Bibliothèque de la Ville par sa veuve, témoignent seuls aujourd'hui de ce long et fatigant labeur. C'est en les mettant en ordre naguère, en y retrouvant les extraits des pièces officielles de l'époque de la Terreur, que l'idée nous est venue de traiter cette matière tout en élargissant notre cadre, et c'est un devoir pour nous de payer ici notre tribut de reconnaissance à la mémoire du défunt.

      Un mot encore, avant de terminer cette courte préface. Nous ne saurions nous flatter de contenter tout le monde, en entrant dans le vif de notre sujet et en traitant avec certains détails des questions aussi délicates que celles que nous rencontrerons sur notre chemin. La Révolution est trop près de nous, ou plutôt, tous, tant que nous sommes, que nous le voulions ou non, nous sommes encore trop plongés dans le grand courant historique, né de 1789, pour que les idées et les impressions si contradictoires d'alors ne soient pas toujours vivantes parmi nous. Toutes les émotions, douces ou violentes, par lesquelles ont passé nos grands-pères, tous les sentiments d'enthousiasme, de haine ou d'effroi qu'ils ont ressentis au spectacle des scènes que nous allons voir ensemble, vibrent encore dans nos âmes, et les malheurs communs eux-mêmes n'ont pu faire disparaître encore chez tous cet antagonisme bientôt séculaire. Je dois donc forcément me résigner à choquer une partie de mes lecteurs, soit en jugeant autrement certains hommes et leurs actions, soit en n'appréciant pas comme eux certains événements historiques. Peut-être même aurai-je le malheur de mécontenter à la fois les partisans de l'ancien régime et ceux des idées nouvelles, les adhérents de l'unité catholique et ceux de la libre pensée, en m'efforçant de rester équitable pour les uns et pour les autres. Je tâcherai du moins de ne froisser, de parti pris, aucune conviction sincère, et de ne jamais oublier qu'il y a sans doute parmi mes lecteurs plus d'un descendant des personnages qui figureront dans mon récit. Mais je revendique en même temps pour moi le droit le plus évident de l'historien, celui de signaler avec franchise les erreurs et les fautes du passé, d'autant que c'est le seul moyen parfois d'en empêcher le retour. On voudra donc bien m'accorder à l'occasion le bénéfice de cette parole bien connue d'un orateur célèbre: „L'histoire doit des égards aux vivants; elle ne doit aux morts que la vérité!”

      NOTES

       POUR SERVIR A L'HISTOIRE

       DE LA

       Cathédrale de Strasbourg

       pendant la Révolution.

       Table des matières

      Au moment où s'ouvrait l'année 1789, la Cathédrale de Strasbourg, autour de laquelle allaient s'engager tant de compétitions, puis des luttes si violentes, semblait devoir jouir en toute tranquillité des hommages que les touristes de l'Europe entière venaient payer à ses splendeurs. Jamais ses visiteurs n'avaient été plus nombreux, ainsi que l'attestent encore tant de noms, obscurs ou connus, gravés avec plus ou moins d'art sur les pierres mêmes du vieil édifice. Il avait été débarrassé depuis peu des misérables échoppes et boutiques, groupées autour de sa base et que nous représentent les gravures du dix-huitième siècle. L'architecte de la Cathédrale, Jean-Georges Gœtz, les avait remplacées par ces arcades néo-gothiques, d'un goût remarquablement pur pour l'époque, qui lui forment encore aujourd'hui comme une ceinture. On l'avait enlaidie, par contre, il faut bien l'avouer, en dressant sur la plate-forme cette lourde et massive demeure des gardiens, que cent ans d'existence n'ont pas rendue plus attrayante à nos yeux. Fière de ses richesses artistiques, elle l'était plus encore de ses richesses matérielles et du nombreux et brillant état-major ecclésiastique groupé dans son chœur et tout autour de ses autels.

      Dans cette France de l'ancien régime, où foisonnaient les grands noms nobiliaires, il n'y avait point de chapitre qui pût rivaliser, même de loin, avec celui de l'Eglise Cathédrale de Strasbourg. Son chef était à la fois prince de la très sainte Eglise romaine et prince du Saint-Empire romain-germanique. Il avait été grand-aumônier de France, ambassadeur à Vienne, et, malgré les révélations fâcheuses du procès du Collier, le dernier des Rohan qui ait porté la mître strasbourgeoise, continuait à tenir le premier rang dans la province. Autour de lui venaient se ranger vingt-quatre prélats, chanoines capitulaires ou domiciliaires, presque tous princes, soit en France, soit en Allemagne, ou du moins comtes du Saint-Empire. Trois Rohan, quatre Hohenlohe, un Croy, un La Trémoille s'y rencontraient avec deux Truchsess, six Kœnigsegg et quatre princes ou comtes de Salm. Les autres stalles capitulaires étaient vacantes en 1789 et ne devaient plus être occupées.

      Au-dessous de ces grands seigneurs, richement dotés et splendidement logés pour la plupart, se trouvaient les vingt prébendiers bénéficiaires du Grand-Chœur, le personnel de la maîtrise, le clergé séculier, attaché à la paroisse de Saint-Laurent et toute une série de fonctionnaires ecclésiastiques accessoires. Privilégiés de l'ordre des choses existant, ils devaient perdre forcément à tout changement politique ou social. Aussi ne pouvaient-ils être qu'hostiles aux idées nouvelles qui allaient enfin bouleverser l'Etat, après avoir, depuis longtemps déjà, travaillé les esprits. Dès l'aurore de la Révolution, c'est à l'ombre de la Cathédrale que viennent se grouper les éléments de résistance et ce que nous appellerions aujourd'hui le parti réactionnaire.

      Une ordonnance royale avait convoqué, le 7 février 1789, les différents ordres en Alsace afin de nommer leurs députés respectifs aux Etats-Généraux de Versailles. Le 10 mars suivant, le Magistrat de Strasbourg prenait un arrêté qui fixait la nomination des électeurs primaires de la ville au 18 de ce mois et prescrivait en même temps de donner lecture de ce long document au prône du dimanche, 15 mars, afin que nul des citoyens ou habitants de la cité ne pût en ignorer. C'est donc à cette date du 15 mars 1789 que commence, à vrai dire, l'histoire de la Cathédrale pendant la période révolutionnaire, et que sous ses voûtes retentirent pour la première fois des déclarations d'ordre politique, bien différentes de celles qui venaient les frapper d'ordinaire. Le 18 mars suivant, les vieilles cloches, qui jadis appelaient, au début de chaque année, la bourgeoisie de la petite République au Schwœrtag traditionnel, convoquèrent pour la première fois les citoyens au scrutin général de la nation française.

      Avant même que les représentants de la bourgeoisie de Strasbourg, élus en ce jour, eussent nommé, dans un second scrutin, les deux députés de la ville, à la date du 8 avril, le prince-évêque avait vu sortir, lui aussi, son nom de l'urne électorale. Dans l'assemblée du clergé des districts réunis de Wissembourg et de Haguenau, le cardinal de Rohan avait été choisi comme l'un des députés de cet ordre. Sans doute il ne se souciait point alors de reparaître à la cour, ou plutôt il craignait que Louis XVI ne voulût point reprendre l'ordre d'exil qu'il lui avait intimé quelques années auparavant. Il refusa donc de quitter son fastueux palais de Saverne, et c'est son grand-vicaire, l'abbé d'Eymar, qui fut nommé à sa place et joua plus tard, comme nous le verrons, un rôle assez actif parmi les droitiers de la Constituante.

      Nous n'avons rien trouvé dans nos sources qui nous permette de rattacher, de près ou de loin, l'histoire spéciale de la Cathédrale à celle des événements qui se déroulèrent d'une façon si vertigineuse, dans les mois qui

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