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La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802). Rodolphe Reuss
Читать онлайн.Название La cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution. (1789-1802)
Год выпуска 0
isbn 4064066086060
Автор произведения Rodolphe Reuss
Жанр Документальная литература
Издательство Bookwire
III.
Mais avant d'entrer dans le récit de ces conflits déplorables qui devaient si profondément affecter le sort des édifices religieux catholiques de notre ville et tout particulièrement celui de la Cathédrale, il nous reste encore quelques instants de calme et de paix publique, où nous pourrons rencontrer le vieux sanctuaire du moyen âge sous un autre aspect que celui d'une citadelle prise d'assaut et occupée par une garnison étrangère. La municipalité nouvelle, sortie du scrutin de février, avait décidé de célébrer son entrée en fonctions par des cérémonies civiles et religieuses, et d'appeler sur sa gestion future les bénédictions divines, par la bouche des prédicateurs de tous les cultes. Aussi la voyons-nous, à la date du 18 mars, se rendre en cortège à l'Hôtel-de-Ville, pour y recevoir les pouvoirs des mains du Magistrat intérimaire, resté jusqu'à ce jour en fonctions. De là le cortège officiel se dirige vers la place d'Armes, où l'on avait érigé une immense estrade et que couvrait une foule compacte. C'est devant cette masse d'auditeurs que M. de Dietrich, après avoir prêté le serment civique, ainsi que ses collègues, fit un appel chaleureux à la concorde de tous les bons citoyens. „Sacrifions, leur dit-il, tout esprit de parti; réunissons-nous pour toujours! Que la France apprenne que les Strasbourgeois ne forment qu'une seule famille de citoyens; embrassons-nous comme des frères. Je vais le premier vous en donner l'exemple. On verra que nous n'avons plus qu'un même cœur, que nous sommes indissolublement liés par les liens sacrés de la liberté et du patriotisme.” Et le procès-verbal officiel de la fête continue en ces termes: „Le respectable maire s'est alors livré à la douce effusion de son cœur; à l'instant même, chacun éprouvant le même sentiment, on a vu le spectacle touchant des citoyens de tout âge, de toute qualité, de tout culte, confondus dans les bras les uns des autres, les cœurs aussi vivement affectés. Ce ne fut qu'au milieu des sanglots que les citoyens purent s'écrier: Vive la Nation, Vive le Roi, Vive la Constitution, notre Maire et la Municipalité!”
C'est au milieu de l'enthousiasme trop passager de cette scène fraternelle que le cortège, suivi par des milliers de citoyens, se remit en marche pour se rendre à la Cathédrale, au son de toutes les cloches de la ville, au bruit de l'artillerie de la place, à travers les rangs de la garde nationale qui formait la haie le long des rues et présentait les armes, en battant aux champs. Le suisse et le bedeau de la Cathédrale vinrent recevoir les autorités à la grande porte de la nef et les menèrent aux bancs préparés devant la chaire, où les officiers municipaux et les notables prirent place, tandis que les détachements de la garde nationale se rangeaient sur les bas-côtés et qu'entre eux se groupaient les orphelins, les enfants trouvés, les pensionnaires de la maison des pauvres des différents cultes. „Un peuple immense” remplissait le reste de l'église. M. l'abbé de Kentzinger, prêtre du diocèse de Strasbourg et secrétaire de la légation de France à la cour électorale de Trèves, monte alors en chaire et prononce un discours sur ce verset du cent quarante-troisième psaume: „Bienheureux est le peuple dont Dieu est le Seigneur!” Ce qui caractérise cette homélie à la fois religieuse et politique, ce qui fait que l'on doit s'y arrêter un instant, c'est le souffle patriotique qui l'anime, c'est l'affirmation répétée de la nécessité de l'accord entre la religion et la loi civile, c'est l'assurance donnée au maire que „tous les citoyens de la croyance de l'orateur” sauront reconnaître son zèle, et apprécier ses talents „avec autant d'empressement que si vous étiez né dans notre Eglise”. „Il existera parmi nous, j'aime à le croire, un échange mutuel de franchise, de loyauté, de confiance, et quand il s'agira du salut de la patrie, nous penserons tous de même.” L'orateur terminait en insistant sur le respect dû à la religion, mère de toutes les vertus. „Nous lui conserverons, s'écriait-il, la majesté et le respect que les peuples les plus éclairés se sont fait une gloire de lui accorder; en un mot, nous serons chrétiens, frères, amis. Français, nous crierons tous: Vive la Nation, vive la Loi, vive le Roi!” On ne pouvait parler en termes plus convenables et même plus chaleureux, dans une église catholique, en une pareille occurence, et rien ne nous autorise à douter de la sincérité de l'orateur au moment où il faisait entendre ces appels à la concorde et au respect des choses les plus respectables. Nous apprenons cependant, par une note du procès-verbal officiel, qu'à ce moment déjà, des fidèles, „en très petit nombre, à la vérité et d'une conscience plus que timorée” (ce sont les propres expressions de l'abbé de Kentzinger) avaient désapprouvé le cri final du prédicateur, estimant „que la maison du Seigneur devait retentir uniquement de ses louanges”. Aussi celui-ci dut-il ajouter une note apologétique au bas de son discours pour expliquer à ces mécontents que „la majesté de notre Seigneur Jésus-Christ ne pouvait être blessée par l'expression des vœux que forme en sa présence, pour la prospérité publique, tout un peuple assemblé. „N'est-ce pas à lui, dit l'orateur, que ces vœux sont adressés? N'est-ce point à lui encore que j'ai demandé ces bénédictions? Oui, ces sentiments étaient dans mon cœur et je croirai toujours rendre un hommage agréable à la divinité quand je publierai hautement et en tous lieux mon amour pour la Nation française, mon obéissance à la Loi, mon profond respect pour le Roi et mon désir ardent de le voir heureux; c'est l'Evangile surtout qui m'a rendu bon citoyen”.
Ce cri, dont s'étaient offusqués quelques-uns des auditeurs, mille fois répété par les voix de la foule, „retentit jusqu'aux voûtes de ce superbe édifice, de même que celui de: Vive la Constitution!” Puis le maire et ses nouveaux collaborateurs quittèrent leur banc et montèrent au chœur, où le maître des cérémonies les installa sur des bancs couverts de tapisseries. „M. le maire, dit gravement le procès-verbal, avait le fauteuil et le carreau”. Les membres du Grand-Chapitre et du Grand-Chœur avaient pris place dans leurs stalles armoriées; près d'eux se tenaient les chapitres des collégiales de Saint-Pierre-le-Vieux et de Saint-Pierre-le-Jeune; plus en arrière le clergé des paroisses et les communautés religieuses. Le commandant de Strasbourg, les officiers de la garnison, les professeurs des deux Universités