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terminait bien par des paroles onctueuses sur la douceur de „vivre dans la paix” et par l'invocation du „Dieu d'amour et de paix”, mais cette phraséologie de convention ne pouvait faire illusion sur la véritable portée du document. Il faut bien avouer, d'autre part, qu'on se figure difficilement, à cette date, un prince de l'Eglise usant d'un langage différent de celui que nous venons d'entendre. La génération d'alors allait se trouver en présence d'une de ces antinomies, insolubles en théorie, et qui provoquent des conflits grandioses, comme l'histoire en a déjà tant vu entre l'Eglise et l'Etat, conflits de principes également exclusifs et qui se terminent d'ordinaire au moyen de quelque coup de force brutale, sauf à renaître plus tard avec une nouvelle violence. Quand un souffle puissant d'indépendance et de foi libre agite les esprits, c'est l'Eglise qui recule et plie; quand au contraire ce souffle fait défaut, l'Etat autocratique ou révolutionnaire, les politiques souples et déliés, ou terrifiants, finissent d'ordinaire par avoir le dessous, parce que du côté de l'Eglise on invoque un principe qui, même égaré, même allégué sans raison, reste toujours auguste et sacré, celui de la liberté des consciences.

      Il n'en est point d'autre qui permette de juger avec quelque justice les partis ennemis dans une lutte religieuse pareille. C'est à sa lumière que nous tâcherons d'apprécier les événements qui vont se dérouler en Alsace et tout particulièrement à Strasbourg. Nous honorerons la liberté de conscience chez le prêtre réfractaire, qui sacrifie sa position mondaine, et bientôt la sécurité de son existence, aux exigences de sa foi religieuse. Nous la respecterons aussi chez le prêtre assermenté sincère, qui ne croit pas impossible d'unir les vertus ecclésiastiques à la pratique des devoirs du citoyen, et quand nous verrons bientôt les partis se déchirer avec rage et se couvrir d'injures, nous tâcherons de rendre à chacun d'eux la justice qu'ils se refusent l'un l'autre, sans voiler les fautes et les excès que l'histoire est obligée de leur reprocher à tous.

       Table des matières

      La déclaration du cardinal de Rohan fut immédiatement dénoncée à la Société des Amis de la Constitution de notre ville. Dans sa séance du 30 novembre, un membre appela l'attention de ses collègues sur cette „insolente protestation” et demanda qu'on la signalât à l'Assemblée Nationale. La réunion fut unanime à „témoigner son horreur pour un écrit dont chaque phrase est un monument de calomnie et d'hypocrisie intéressée”, et adopta la proposition, qui fut également votée, deux jours plus tard, par la municipalité, sur la proposition du procureur-syndic de la commune. Déjà le maire avait fait saisir chez l'imprimeur et chez un relieur les formes et de nombreux exemplaires de l'Instruction pastorale. Les journaux strasbourgeois applaudissaient à ces actes de rigueur et se plaisaient à faire ressortir la différence marquée entre l'attitude du clergé catholique et celle des ministres du culte protestant. Ils rapportaient tout au long les prières patriotiques prononcées chaque jour au Séminaire protestant pour appeler les bénédictions divines sur les travaux de l'Assemblée Nationale, et signalaient l'entrain avec lequel les jeunes théologiens de l'Internat de Saint-Guillaume se faisaient inscrire sur les listes de la garde nationale. La Société populaire décidait, quelques jours plus tard, qu'elle ne s'en tiendrait pas à cette mesure plus négative, mais qu'elle chargerait des commissaires de faire des extraits des Canons de l'Eglise et de les traduire dans les deux langues, afin de les répandre parmi le peuple, pour lui montrer que les plus anciennes constitutions ecclésiastiques elles-mêmes prescrivaient l'élection des évêques par tout le peuple chrétien[11]. Elle espérait les meilleurs résultats de cette campagne théologique.

      [Note 11: Procès-verbaux manuscrits de la Société des Amis de la

       Constitution, séance du 3 décembre 1790.]

      Cependant le clergé n'avait point osé suivre jusqu'au bout, du moins à Strasbourg, les instructions du prince de Rohan et donner lecture de son mandement aux fidèles. Quelque bien disposée que fût la majorité du Directoire du département, elle avait craint pourtant d'exciter le mécontentement public en connivant à pareille transgression de la loi. Saisi d'ailleurs par une dénonciation formelle des administrateurs du district, le président du Directoire, l'ex-ammeister Poirot, avait pris un arrêté défendant toute communication officielle du factum épiscopal. Cette soumission apparente du clergé strasbourgeois fit même naître chez certains observateurs superficiels des espérances tout à fait illusoires quant aux sentiments intimes et à l'attitude future de l'immense majorité des ecclésiastiques d'Alsace. Trop semblable en son optimisme à la majorité de l'Assemblée Nationale, la bourgeoisie libérale de Strasbourg ne se rendait que fort imparfaitement compte de la véritable disposition d'esprit des masses catholiques.

      Elle s'exagérait volontiers des faits sans importance majeure, comme la réception, à la Société populaire, d'un recollet défroqué, dont les effusions patriotiques étaient vivement acclamées[12]. Elle applaudissait aux attaques virulentes contre la ladrerie de l'évêque fugitif, quand, dans la même séance où le P. David avait pris la parole, un jeune peintre, nommé Guibert, dénonçait Rohan comme refusant d'acquitter une vieille dette de cinq cents livres, et faisait le récit de son pèlerinage à Ettenheim pour obtenir au moins un à-compte, pèlerinage dont il était revenu sans le sol. Ce n'était pas cependant par des épigrammes, par des attaques personnelles de ce genre, quelque justifiées qu'elles pussent être, qu'on pouvait espérer vider la question religieuse. Le cardinal, tout criblé de dettes peu honorables, n'en restait pas moins le chef obéi du parti catholique en Alsace, et ceux qui en doutaient encore allaient être forcés d'en convenir tout à l'heure eux-mêmes.

      [Note 12: Procès-verbaux de la Société, 14 décembre 1790.]

      A la campagne, en effet, les doléances de l'évêque étaient prises fort au sérieux; le bas clergé répandait à pleines mains les protestations de ses supérieurs; les colporteurs juifs étaient chargés (chose bizarre!) de la propagande des écrits séditieux et l'indignation contre les persécutions infligées à la religion était générale. C'était un cas bien exceptionnel quand on pouvait annoncer au club strasbourgeois le triomphe des principes constitutionnels, comme son correspondant de Bürckenwald près Wasselonne, qui se vantait d'avoir facilement détruit l'effet du prône chez ses concitoyens par quelques observations calmes et sensées[13]. Comment d'ailleurs cela aurait-il été possible autrement chez des populations assez arriérées et naïves pour qu'on pût leur expédier, sous le cachet (naturellement falsifié) de l'Assemblée Nationale, des ballots entiers de pamphlets incendiaires, imprimés dans les officines d'outre-Rhin! Les maires eux-mêmes, auxquels parvenaient ces envois, les distribuaient avec empressement à leurs administrés comme documents officiels et n'y mettaient peut-être aucune malice[14]. On ameutait surtout les paysans contre les acquéreurs de biens ecclésiastiques; dans certains villages les officiers municipaux annonçaient de confiance que ces ventes étaient défendues par le gouvernement[15], et cela encore ne paraissait pas extraordinaire à ces pauvres cervelles troublées et mises à l'envers par le prodigieux bouleversement des deux dernières années.

      [Note 13: Procès-verbaux du 10 décembre 1790.]

      [Note 14: Wöchentliche Nachrichten für die deutschredenden Bewohner Frankreichs, du 10 décembre 1790.]

      [Note 15: Gesch. der gegenw. Zeit, 18 décembre 1790.]

      La vente des biens nationaux se poursuivait en effet avec une lenteur désespérante en Alsace. Les journaux du chef-lieu annonçaient, il est vrai, le 22 novembre, la mise en vente de quelques-unes des principales maisons ecclésiastiques de Strasbourg, l'Hôtel de Neuwiller (mise à prix 60,000 livres), l'Hôtel d'Andlau (26,000 livres), celui de Massevaux (32,000 livres), etc. Mais ce ne fut que le 17 décembre que l'administration du district réussit enfin à trouver des acquéreurs pour quelques biens nationaux à la campagne. Ce fut l'ancien schultheiss de Kuttolsheim qui, le premier, s'enhardit à payer 4000 livres pour les biens curiaux de son village, et cet acte de „patriotisme” parut tellement extraordinaire que la Société des Amis de la Constitution résolut de le fêter par un grand banquet, dont la description

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